West Legends 5/6 - Wild Bill Hickok, forty bastards
Par

"Attelez des mules et des bœufs mais donnez à un cheval une chance de courir."
Wild Bill Hickok


Cela faisait un moment que je n'étais pas revenu sur cette série (on avait causé du tome sur Wyatt Earp et de celui sur Billy The Kid) mais le volume consacré à Hickok m'a bien plu alors... voilà, quoi : retour dans l'ouest sauvage pour quelques lignes de chronique !

On connaît tous Wild Bill Hickok, ne serait-ce que de nom. Pour la cinquième sortie dans la Collection West Legends, les éditions Soleil se focalisent sur un épisode tardif de la vie de cet ancien shérif. Épisode certes romancé mais néanmoins authentique qui vit Hickok affonter les "forty bastards" du capitaine Custer (le frère de l'autre, pas le "héros des guerres indiennes" mais le salaud recruteur de hyènes).
 
L'histoire commence alors que Hickok est dans un train fonçant à vive allure à travers les collines enneigées près de Hay City. La vitesse de la lourde locomotive lui garantit assez d'élan pour ne pas être freinée par la neige et pour éviter de rester coincée dans la tempête à venir.
Mais c'est l'Ouest américain : des indiens tirent sur le train juste pour se divertir et une bagarre éclate dans le wagon. Hickok, forcément, intervient... on a l'art de se faire des ennemis ou on ne l'a pas !
Wild Bill l'a, de toute évidence : à la gare où il a embarqué, Custer et les repris de justice qui le suivent et qu'il a l'audace de nommer "soldats" sont sur ses traces. Il faut dire de Hickok a récemment abattu trois des hommes de Custer pour venger la mort d'un honnête cultivateur dont la fillette orpheline est venue chercher de l'aide auprès du fameux shérif.
Custer ne lâchera pas l'affaire : il poursuivra Hickok jusque dans les montagnes glaciales. À tel point, d'ailleurs, qu'on comprendra assez vite que la vengeance ne doit pas être sa seule motivation : il n'accorde pas tant d'importance à ses hommes, après tout. Il doit y avoir une autre raison à cette traque acharnée.
Peu de temps après l'altercation avec les brigands dans le wagon, Hickok revient à lui, le cul dans la neige au milieu des pins : le train a déraillé ! Il y a de nombreuses victimes et il faut aller chercher des secours à plusieurs jours de marche de là. Wild Bill va alors se mettre à la tête d'un groupe de rescapés pour rejoindre la ville la plus proche. 
À ses côtés, un ex-officier russe habitué au froid, un vieil indien connaissant la région et habitué à tuer des hommes blancs, un jeune garçon devenu orphelin dans l'accident de train, le chasseur de primes Old White Jack, un représentant de la firme Colt désireux de faire essayer un 1851 Navy à Hickok, une femme enceinte redoutable et une institutrice. Autant d'alliés que de sources d'emmerdes potentielles !
Cet assemblage improbable va devoir affronter bien plus que le froid et les loups : il vont avoir maille à partir avec les gars de Custer ; et ça ne finira pas en concours de devinettes !


Il y a plusieurs raisons qui m'ont poussé à revenir sur cette série en ces pages.

La première, c'est la façon dont est traitée le personnage de Hickok qui incarne, dès lors, une sorte de stéréotype de héros solitaire aux motivations compréhensibles de lui seul : mu par sa seule ambition de faire avec la main dégueulasse que la vie lui a servie à la naissance, le Hickok de cette BD joue coup de poker sur coup de poker. Il a sa propre vision de ce qui est bien et de ce qui est mal ; au nom d'une vérité qui n'a rien de constitutionnelle mais semble juste émanée du bon sens, il se fait l'instrument d'une justice immanente quand frappent autour de lui les êtres les plus vils.
On a ici un Wild Bill vieillissant tâchant souvent d'éviter le conflit mais n'hésitant jamais à tirer le premier, voire à créer une situation lui imposant de le faire ; un homme taillé pour survivre dans un univers où tous les salopards ont plus de munitions que de vocabulaire ; un univers où la loi n'existe que si elle est incarnée par un homme, quitte à ce qu'il l'interprète parfois à sa façon, de manière expéditive.

Il est ici confronté à Custer, sorte d'infect salopard pilleur de cadavres et meneurs d'une troupe de tueurs, qui semble être un parfait antagoniste de Hickok.
L'amoralité de Wild Bill contre l'immoralité de Custer.
Oui, les philosophes, je sais : il faudrait plutôt parler d'une "suspension de moralité", pour Wild Bill... mais la formule serait moins sexy.

La deuxième raison de revenir sur cette série, c'est pour souligner sa constance : on est sur de la série de qualité qui peut sans complexe revendiquer une place parmi les meilleures séries western en bande dessinée de ces dernières années. Réalistes mais épiques, soignés et intéressants, chacun de ces albums mérite d'être lu. Certains sont certes un peu moins enthousiasmants mais cela reste néanmoins de très bonne facture.
L'idée de se baser sur une vraie légende de l'ouest par album et de pouvoir ainsi se concentrer sur un seul fait d'armes augmente grandement la crédibilité de l'ensemble : aucun héros imbattable qui traverserait des tas d'aventures sans coup férir... juste six durs à cuire lors d'un événement marquant de leur vie agitée.

La troisième raison est la parfaite adéquation qu'il y a dans celui-ci entre le scénario, le dessin et les couleurs. Ce tome-ci dégage une cohérence qui m'a vraiment plu.
Au scénario, nous avons Nicolas Jarry (qui est une des plumes références de Soleil avec West legends, Azaqi, Conquêtes, Nains, Mages, Elfes, Pionnières, Orcs et Gobelins, Brocéliande, Les Maîtres inquisiteurs, Merlin, Troie, Le crépuscule des dieux ou Dragons de la cité rouge). C'est généralement l'indice d'une histoire bien foutue et sans incohérences majeures, avec des personnages marquants et des relations interpersonnelles crédibles. Il sait équilibrer action et exposition et doit avoir pris un certain plaisir à composer cette aventure offrant un terrain de jeu taillé sur mesure pour la personnalité qu'il a imaginée à son Wild Bill.  
Laci (Mages, Les Maîtres inquisiteurs, Sherlock Holmes et les voyageurs du temps, Ghosted, Sherlock Holmes et le Necronomicon) signe les dessins. Et le moins qu'on puisse puisse dire est que l'ouest sauvage lui va bien ! Même si Jarry et lui se sont déjà croisés sur d'autres projets, c'est ici que l'on trouve la plus grande symbiose entre eux : l'aridité de l'histoire et du personnage central collent parfaitement au dessin réaliste.
Et cette aridité est plus encore tangible grâce aux couleurs d'un autre de leurs complices habituels : J. Nanjan (Mages, Les Maîtres inquisiteurs, Sherlock Holmes et les voyageurs du temps, Ghosted, Sherlock Holmes et le Necronomicon, Orcs et Gobelins, ISS Snipers, Mages, Injustice, Elfes, Androïdes, Le Chevalier errant...). 
Ces hommes ont l'habitude de travailler ensemble et ça se sent. Trois hommes, une seule vision.
Ce tome en particulier dégage une ambiance qui m'a donné envie de le chroniquer avec du Ennio Moricone et du Francesco De Masi en fond sonore. Ce que je fis, d'ailleurs. 
Le désert, ici, a beau être un désert de neige, le souffle épique des grands espaces y est et l'on n'a, après lecture, qu'une envie : relancer un vieux western avec de vraies gueules et des couleurs ambiantes dévorant l'image.
J'ai envie de prolonger les sensations stimulées par cette BD : les cahots du train à vapeur, la moiteur de la brume sur la ville endormie, l'odeur de la poudre des gunfights, la chaleur réconfortante du feu de camp au milieu d'une étendue hostile, les voix de gros durs et le sel des larmes... 


Mais le tableau n'est jamais parfait. Et pour le grammar nazi que je suis, certaines entorses à la langue française, même minimes, suffisent à me faire sortir du récit. 

Or, dans cet album, au détour de bien trop de phylactères, l'on fait prononcer aux protagonistes des phrases négatives en omettant l'adverbe de négation "ne". Ce n'est rien, me direz-vous... certes (encore que... cf. cet article). 
Mais moi, ça me fait sortir du délire ! C'est bon, on a compris que ces gars étaient de gros durs de western, du genre à faire l'élision du "ne" à l'oral... on s'en doute bien : l'écriture des personnages, le dessin, l'histoire... tout nous les décrit de manière à ce que l'on n'ait aucun doute sur la façon dont ils doivent s'exprimer avec des voix mentales terrifiantes dans nos caboches. Alors écrivez ce "ne" qui ne vous coûte rien et cessez avec ces phrases boiteuses qui m'obligent à les relire deux fois : ça me rappelle que je suis en train de lire et ça casse l'ambiance ! L'illustration à droite n'est pas le meilleur exemple mais ça donne un joli point de vue sur le tchouc-tchouc depuis la colline d'où des indiens lui tirent dessus... alors, voilà.

Oui, c'est un coup de gueule vraiment ridicule mais il me tient quand même à cœur. Quand on respecte son lectorat autant que ces gars le font, on lui doit de ne pas le prendre pour un tas d'imbéciles inaptes à imaginer une élision orale au point de la transcrire à l'écrit ! Na !

Et, accessoirement, j'adresse le même message aux auteurs de théâtre amateur : chers collègues, mentionnez dans les didascalies que vos personnages ont un accent, sont bègues ou articulent mal... ne le retranscrivez pas dans le discours direct : c'est illisible et ça ralentit l'étude du texte ! 
Aaah, ça fait du bien de crever l'abcès, boudiou ! 

À part ça, très chouette BD bien écrite, bien dessinée, bien colorisée, dotée d'une couverture classieuse et complétant avantageusement une collection déjà très qualitative !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une aventure fleurant bon la poudre dans un décor de neige hostile mettant en scène le légendaire Wild Bill Hickok.
  • La qualité de l'écriture, du dessin et de la mise en couleurs.
  • Honnêtement, pas grand-chose si ce n'est cette habitude dégueulasse d'écrire dans les phylactères ce que l'on est supposé entendre... au prix de la rectitude de la syntaxe.