Les produits dérivés estampillés The Walking Dead sont si nombreux que l'on en oublierait presque qu'à la base, il s'agit de comics. D'abord de grande qualité, la série avait récemment pris une tournure frisant le ridicule (cf. tomes #19 et #20) avant de revenir sur une bien meilleure voie (cf. tome #22). Toutefois, ce n'est plus avec la même joyeuse surexcitation que l'on se rue sur les nouveaux chapitres mais plutôt avec une sourde angoisse.
En effet, après un surplace narratif dangereux et des invraisemblances à répétition, Robert Kirkman semblait être arrivé au bout de son idée, d'autant que le scénariste n'est pas toujours brillant sur ses autres travaux (cf. cet article).
Ce tome en demi-teinte nous montre toutefois qu'il en a peut-être encore sous le coude. Peut-être...
Attention, ce qui suit contient quelques spoilers.
Après la guerre contre Negan, tout semble aller au mieux, au moins en apparence, pour les différentes communautés. Cependant, alors que des tensions internes apparaissent, une nouvelle menace surgit.
Kirkman laisse un peu de côté Rick Grimes et, comme on pouvait le pressentir dans le dernier tome, se concentre plus sur son fils, Carl. L'idée est loin d'être mauvaise car le jeune homme, qui a connu bien des traumatismes, possède un réel potentiel.
L'auteur teste ici les limites morales de Carl après une violente agression subie par son amie Sophia. A n'en pas douter, le fils de Rick n'est pas un adolescent comme les autres. Il est plus mûr mais aussi parfois dangereux, car habitué à vivre dans un monde où la violence est omniprésente. C'est ce rapport entre contrôle de la violence et civilisation que le scénariste explore d'une manière intéressante.
L'autre grosse nouveauté provient des "chuchoteurs", des survivants bien humains mais qui ont choisi de vivre parmi les morts-vivants en se grimant comme eux, notamment à l'aide de fausses peaux.
Le fait qu'ils ne soient pas complètement cinglés (style Negan et compagnie) est évidemment un plus. La jeune Lydia, faite prisonnière, est d'ailleurs un personnage très bien écrit, permettant de s'écarter de la dangereuse et trop simpliste pente du manichéisme.
Pourtant, ce nouveau groupe, pour le moins étrange, paraît tout de même peu crédible. Si l'on comprend pourquoi les zombies ne s'en prennent pas à eux (et si l'on admet qu'ils arrivent à s'habituer à l'odeur), on voit mal comment cette solution très provisoire pourrait constituer un mode de vie stable sur le long terme [1].
Être perpétuellement recouvert de saloperies ne doit déjà pas être très sain, mais cette espèce de nomadisme macabre ne va pas sans poser de nombreux problèmes. Pour la nourriture, l'on nous explique que les chuchoteurs se nourrissent de ce qu'ils trouvent dans la nature, autrement dit quelques fruits et diverses bestioles qu'ils chassent. Outre le fait que l'efficacité de la chasse en groupe, entouré d'une meute de macchabés, soit très discutable, il est encore plus douteux qu'une vague cueillette puisse nourrir une bande aussi nombreuse. Rappelons-nous les difficultés que rencontrait le groupe de Rick dès qu'ils n'étaient plus en lieu sûr. Et même là, la question de l'approvisionnement se posait parfois. L'un des personnages explique également qu'ils ne mangent pas tous les jours car "ils n'en ont pas besoin". Première nouvelle. Difficile d'imaginer que des humains pourraient supporter un tel mode de vie sans avoir d'apports nutritionnels quotidiens.
Bien sûr l'on n'est pas obligé de soulever ces points, l'on peut fermer les yeux et s'en remettre à la licence poétique, mais il faut alors une bonne raison pour cela. Or pour l'instant, on ne voit pas ce que ces chuchoteurs vont apporter, si ce n'est une menace exotique de plus.
Sociologiquement, ces chuchoteurs n'en sont d'ailleurs pas non plus à une incohérence près. Apparemment, les rapports familiaux n'existent plus vraiment puisque la mère de Lydia lui demande de l'appeler "Alpha" et qu'elle la laisse se faire violer. Pourquoi alors vient-elle la récupérer si ce n'est qu'un simple membre de sa "meute" ? Surtout, alors que les chuchoteurs semblent être des milliers (c'est une estimation qui est donnée par l'un des personnages), comment expliquer le choix d'un tel mode de vie (ils sont suffisamment nombreux pour nettoyer une zone et la sécuriser) et d'une telle régression (notamment dans les habitudes sexuelles) ?
Tout cela n'est pas inintéressant, loin de là, mais c'est bancal. Tout comme il était absurde que des dizaines d'individus se mettent à suivre aveuglément un type comme Negan, qui les maltraitait et les menaçait constamment, il n'y a aucune raison pour que des milliers de gens se mettent tout à coup à suivre une voie particulièrement difficile sur le plan pratique et psychologique.
C'est ici le principe de la "panne de voiture" qui n'est pas respecté. Prenons un récit où un personnage doit se perdre dans une forêt. Une immense forêt qu'il ne connaît pas et qu'il doit traverser pour se rendre d'un point A à un point B. S'il dispose d'un véhicule, on ne voit pas pourquoi il se farcirait tout le chemin à pied. Son véhicule peut donc être en panne par exemple. Si le personnage a une raison suffisamment importante de se rendre au point B, cela peut expliquer qu'il s'aventure dans cette forêt. Maintenant s'il décide de partir à pied, sans boussole, sans carte, alors qu'il avait un superbe véhicule en état de marche, avec GPS en plus, eh bien ce n'est pas le personnage qui agit (sauf s'il est censé être stupide), c'est l'auteur.
Et ça, c'est la pire des manières d'écrire. Les personnages doivent obéir à une certaine logique, avoir des motivations qui leur sont propres. S'ils agissent sans (bonne) raison apparente, ils apparaissent alors aux yeux du lecteur comme des fantômes sans âmes, des corps non "habités", dont la seule raison d'être est de rendre service à l'auteur, empêtré dans son récit.
C'est malheureusement un peu cela que fait Kirkman depuis quelque temps, en sortant un peu n'importe quoi de son chapeau et en oubliant d'intégrer les nouveaux éléments à son histoire de manière cohérente.
La période aussi éblouissante que fascinante de Walking Dead semble bel et bien finie. Kirkman est sorti des grosses ornières dans lesquelles il s'était embourbé (on a quand même encore droit à une ou deux scènes surréalistes, comme un double coup de pied sauté dans un combat [2]) mais la série est maintenant devenue beaucoup plus commune et anecdotique, loin du chef-d'œuvre magistral et de l'habile étude sur la nature humaine qu'elle a été.
Au niveau de la VF, Delcourt nous offre enfin, depuis deux numéros, une galerie avec les covers en couleur. Sur le même principe, on espère avoir un jour droit à une réédition du guide des personnages digne de ce nom.
Sympa. Mais "sympa" pour du Walking Dead, c'est tout de même bien peu...
[1] La pyramide dite de Maslow, représentation hiérarchisée des besoins humains, permet déjà de comprendre qu'un tel mode de vie, s'il convient à un loup, serait insoutenable pour un homme sur le long terme. En effet, après les besoins physiologiques et inhérents à la sécurité (sécurité qui déjà ici est toute relative), les besoins d'appartenance à un groupe, d'estime de soi et d'accomplissement se font sentir. L'organisation sociale des chuchoteurs permet certes de satisfaire le besoin d'appartenance, mais clairement pas les autres. Pire, le besoin d'appartenance n'a pas besoin d'être satisfait tant que la sécurité n'est pas optimale, or, pour ne prendre qu'un seul exemple, les pratiques sexuelles du groupe nuisent au besoin de sécurité individuelle.
[2] Cette scène (click) n'a aucune chance de se dérouler dans la réalité, du moins, dans le monde non super-héroïque de Walking Dead. Déjà, même pour la chorégraphie martiale d'un film, un tel double coup demanderait pas mal de boulot pour le réaliser parfaitement (sans harnais et filins). Mais dans un vrai combat, il faudrait être complètement stupide pour le tenter. Cela demande une énergie monstrueuse pour une efficacité très aléatoire (d'autant qu'un des coups de pied est donné en arrière, sans regarder). On dirait du Walker, Texas Ranger, qui est une série comique plus que réaliste sur le plan des combats.
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