Le Projet Blair Witch a connu
un réel succès et, bien qu’il ne soit nullement à l’origine des found footage
(films, enregistrements censés être « trouvés » [1]), a réellement
lancé une mode, d’autant que sa réalisation n’a demandé qu’un budget minimum
[2]. Mais c’est surtout la campagne promotionnelle et le soin apporté aux
fausses informations qui ont précédé le film qui ont contribué à créer
l’intérêt et même bâtir une légende que certains pensent encore basée sur des
faits réels.
Ou comment faire peur avec
trois bâtons et deux bouts de ficelle.
Rappelons l’intrigue, très
simple : trois étudiants partent faire un reportage sur la sorcière de
Blair. Ils vont pour cela commencer par interroger les habitants de Burkittsville
avant de s’enfoncer dans les bois.
Après s’être perdus et avoir
été témoins de faits quelque peu effrayants (cris, bruits étranges dans la
nuit, symboles ésotériques retrouvés dans la forêt…), ils finissent par être
harcelés par quelque chose ou quelqu’un. Au final, ils disparaissent et ce sont
les scènes qu’ils ont filmées qui sont censées constituer le film.
Première constatation, le (pas
si) long-métrage est très simple et repose sur des éléments anodins mais
parfaitement employés. Et en premier lieu, la forêt elle-même. Les bois, ceux
qui y vivent – et même ce qui y vit – ont toujours fasciné et inquiété,
contribuant à créer légendes modernes et mythes anciens. Pour rester en
Amérique du Nord, le Wendigo, issu de la culture amérindienne, est l’une des
nombreuses créatures maléfiques qui sont censées peupler les bois et
personnifier le danger qu’ils représentent.
Si se perdre en forêt, il y a
quelques décennies, surtout en hiver, pouvait être rapidement
problématique,
cette notion de « perdition » dans une nature présentée comme peu
agréable, voire hostile, est peut-être encore plus effrayante de nos jours, à
l’aune de civilisations de plus en plus citadines, reposant sur la technologie
des villes et l’aspect « rassurant » du brouhaha qu’elles engendrent.
Autres éléments simples
pourtant constitutifs du film : les cailloux et les morceaux de bois,
accompagnés de vagues cris. Cela peut sembler curieux de se reposer sur si peu
mais il n’en faut pourtant pas plus pour créer une atmosphère tendue. Il est
d’ailleurs intéressant de constater que, même dans des films d’horreur
« gore », la peur est toujours générée par l’attente de l’action, non
l’action elle-même (l’aspect gore n’apportant alors qu’un dégoût ou un choc
visuel, qui n’a plus rien à voir avec l’angoisse suscitée par l’étrange, le
mystère, le paranormal).
Dans Le Projet Blair Witch,
pour peu que l’on soit réceptif au genre et à la forme du récit, ce qui va effrayer
n’a rien de spectaculaire. Les auteurs puisent clairement dans l’inconscient
collectif et le monde de l’enfance. La peur du noir ou de ne pas retrouver le
chemin de la maison pour les enfants, la peur d’un bruit non-identifié pour ce
qui est des peurs ancestrales logiques inscrites dans notre cerveau reptilien
(qui produit encore un réflexe de peur, donc de préparation du corps à la fuite
ou au combat, devant l’inconnu et son danger potentiel), la peur de l’inhabituel,
de l’étrange au sens large (symboles incompréhensibles, donc inquiétants), la
peur sociétale de l’isolement, de l’abandon… bref, un catalogue presque complet
de tout ce qui peut nous filer des insomnies et des crises d’angoisse.
C’est sans doute même l’aspect
clairement universel de Blair Witch qui est à l’origine de son efficacité. Un
alien, une dame blanche ou un démon vont clairement avoir leurs
« fans » mais aussi susciter l’incrédulité de certains voire le rejet,
alors qu’un petit tas de cailloux qui n’a rien à faire là, ou une silhouette
faite de branches liées entre elles, restent suffisamment flous pour impacter l'imaginaire de presque tout le monde.
C’est un peu le principe de la
« lettre de menaces ». Ce ne sont pas forcément celles qui sont
bardées d’insultes qui font le plus peur. Une phrase anodine dans un contexte
particulier (un courrier anonyme) aura un sens à la fois plus inquiétant et
permettra de ratisser « plus large ». Imaginez que vous receviez un
courrier du genre « sale connard,
je vais te défoncer, tu es une merde, je
te chie dessus ». Bon, pas agréable, mais honnêtement, à moins d’être très
sensible, ça n’a pas vraiment d’impact psychologique. Admettons que vous
receviez maintenant un courrier au contenu radicalement différent, du genre
« ta fille sort de l’école à 16h00 ». Cette version est bien plus
flippante, pourtant, elle ne fait pas appel à un vocabulaire violent. La
construction de
Blair Witch est identique. Le vocabulaire, pris isolément, n’a
rien de spécial, mais le contexte le rend éprouvant et anxiogène.
En plus du contexte formel de
la réalisation, il est important de revenir sur le travail, futé et efficace,
qui a été entrepris par la production avant la sortie du film. Le but était de
donner une aura de vérité à une fiction inventée de toutes pièces [3]. Cela a été
construit sur deux niveaux. Le premier, le plus grossier, consistait simplement
à faire croire que le film présentait réellement un assemblage de rushes
retrouvés dans les bois. Peu de gens y ont cru (encore que…) mais beaucoup se
sont interrogés, au moins un peu, sur la véracité du binz.
Le second niveau est bien plus
subtil, car c’est ce qui va permettre de créer le mythe et de l’entretenir. Il
s’agit de faire croire que, si le film est une pure fiction, il se base sur des
faits réels. Pour cela, de faux témoignages, de fausses coupures de presse, de
faux ouvrages, vont être évoqués sur des sites ou dans de faux documentaires, comme Curse of the
Blair Witch (diffusé à l’époque sur Sci-Fi, aujourd’hui SyFy). Rustin Parr,
tueur en série totalement inventé, y est ainsi présenté comme une personne
réelle dans des extraits de journaux et différents documents plutôt bien foutus.
Tout « sent » l’archive et l’enquête sérieuse. Il est également
question de donner un semblant de véracité à Elly Kedward, sorcière prétendument
à l’origine du mythe et qui aurait tenté, au XVIIIe siècle, de boire le sang de
quelques gamins (ah ben, quand on a soif et qu’on n’a pas de bière sous la main…).
Pourtant, de nombreux éléments
ne résistent pas à quelques vérifications. Ainsi, Burkittsville (qui existe) ne
s’est jamais appelée « Blair » auparavant. L’on pourrait croire
qu’il s’agit d’une maladresse de la part de la production alors qu’il s’agit en
fait d’un basique en matière de manipulation et mensonge.
Mêler du vrai à du faux rend
la séparation des deux domaines complexe. Pour ceux qui ont tendance à croire,
la touche de vrai finira de les convaincre. Pour ceux qui ont tendance à
douter, ils devront faire face à des fondations réelles qui tendent à
crédibiliser des constructions pourtant imaginaires.
Pour autant, peut-on en
vouloir aux gens qui ont « menti » autour de Blair Witch et de sa
véracité ?
Honnêtement, ce serait leur
faire un faux procès.
Il y a là au contraire une
forme de travail presque
expérimental (surtout à l’époque, 1999 quand même, le
net balbutie encore) sur la communication de masse autour d’une œuvre
« populaire ». C’est un phénomène relativement courant aujourd'hui
mais, ici, il s’agit de préparer le terrain, de mettre un terreau approprié dans
des esprits où l’intrigue va se développer, et non de surfer sur un buzz
vulgaire et sans intérêt. Parvenir à créer une légende de toutes pièces reste
un tour de force peu commun et admirable. Même s’il y a aussi un but pécuniaire
à la clé, la démarche artistique est indéniable. Reste à s’interroger sur sa moralité…
Goebbels disait que plus le
mensonge est gros, plus il passe.
Hmm… à voir. En réalité, un
mensonge passera toujours plus ou moins, quel que soit son énormité. L’on
pourrait croire que la technologie actuelle a rendu les élucubrations plus
fragiles, malheureusement, l’on constate chaque jour qu’elle les renforce, par le
biais des réseaux sociaux et de leur effet de masse, grâce également à des
trucages imparfaits mais maintenant à la portée de tous.
Le « mensonge » de
Blair Witch n’a rien de grave, il consiste à rendre plus efficace une œuvre de
fiction. Il permet d’augmenter la curiosité et les frissons.
Mais ce doute, cette dose
supplémentaire de peur, ce rapport forcé et tordu à la réalité, devrait aussi
interroger sur l’information en général, ses sources, ses
« véhicules » et son but.
Si le mensonge est la vaseline
nécessaire de la fiction, il reste l’infect acide du réel.
Qui dit art dit mensonge.
Honoré de Balzac
Tout ce qui peut être imaginé
est réel.
Pablo Picasso
[1] Le nanar horrifique Cannibal Holocaust, en
1980, jouait déjà sur ce rapport faussé à la réalité.
[2] Environ 60 000 dollars
de budget total pour… 250 millions de recettes. Joli placement.
[3] Phénomène aujourd'hui très courant sur le net et connaissant plus ou moins de succès suivant les "bestioles" ou légendes mises en scène. L'on peut citer le Rake ou le Slender Man parmi les nombreuses créatures inventées de toutes pièces et qui peuvent parfois être présentées comme réelles sur certains sites. Certaines de ces créatures imaginaires sont pourtant parfois citées comme élément déclencheur d'un passage à l'acte violent. Ainsi, en 2014, à Waukesha dans le Wisconsin, deux gamines de 12 ans, ayant poignardé l'une de leurs "amies", ont déclaré avoir agi sous l'influence du Slender Man.