Osamu Tezuka – Manga No Kamisama – Catalogue FIBD 2018

L’ouvrage est à la fois imposant, fragile et d’une grande consistance iconographique et textuelle. Fragile, par sa couverture matte, très douce, élégante, mais s’abîmant au moindre frottement, imposant par son format hors normes pour profiter des reproductions pleines pages, et consistant avec la masse d’informations pertinentes distillées. Il comporte 160 pages, imprimées en quadrichromie sur papier Munken pure 150 g.

Un avertissement ouvre le livre : Osamu Tezuka ne souhaitait pas à la base que ses lecteurs et les amateurs de BD découvrent "les défauts" de ses planches : retouche à l’encre blanche, découpage, traces de vieillesse... Cependant, à la demande du FIBD, dans le cadre de l’exposition qui lui est consacrée au musée de la ville Angoulême, les œuvres sont ici reproduites dans leur intégralité, sans fard.
Le livre se poursuit avec l’indispensable, rapide et concise présentation de l’auteur, permettant de se situer dans le temps. Un paragraphe explique ce surnom de dieu, non pas au sens judéo-chrétien, mais plutôt saint patron.

Ensuite, le gros morceau reprend planches, illustrations et celluloïd vu dans l’exposition, grâce à de magnifiques photogravures, laissant savourer les détails. Elles sont regroupées selon des thèmes liés à une chronologie [1], entrecoupées de témoignages d’auteurs actuels (Naoki Urasawa, Taiyô Matsumoto, Rintarô...). Les panneaux et les cartels explicatifs accrochés aux murs sont repris à côté des reproductions des œuvres correspondantes. Certaines légendes démontent quelques mécanismes de mise en scène.

Une bibliographie complète le tout, avec tous les titres parus en français, même si la majorité sont désormais épuisés, voire introuvables.
Chose amusante, le livre est imprimé par Lego, qui tire déjà foultitude de mangas, et fait l’objet d’un tirage à 2000 exemplaires non numérotés.

En un peu plus de 40 ans de carrière, Osamu Tezuka aura su créer et renouveler le manga moderne, proposer des héros charismatiques et être encore à la pointe des innovations et recherches formelles dans la mise en scène. Un livre indispensable, complet, pour les amateurs de BD et les aspirants auteurs.

Osamu Tezuka – Manga no Kamisama
Un ouvrage de Stéphane Beaujean et Xavier Guilbert.

En vente exclusivement pendant le Festival d’Angoulême (du 25 au 28 janvier 2018) et sur ce site.

[1] En détail :  1. l’âge de l’innocence — la naissance du manga moderne : 1945-1950, 2. la recherche d’idéal — le développement du manga jeunesse : 1950-1965, 3. Confronter le réel — l’émergence du manga adulte : 1966-1978, 4. la révolution du "ciné-manga", 5. le dessin de manga selon Tezuka , 6. rencontre avec l’histoire 7 inventons et narration.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Les photogravures
  • Des textes instructifs
  • Édition de qualité

  • Couverture fragile

L'Homme Craie


Après L'Homme Craie, vous vous méfierez des dessins apparemment innocents que les enfants tracent sur le sol...

Ed a la quarantaine. Il est professeur dans une petite ville. Il mène une vie sans histoires dans la demeure qu'habitaient autrefois ses parents. Un jour, il reçoit une lettre contenant un dessin malhabile et des morceaux de craie. Le voilà replongé trente ans plus tôt, alors qu'il était enfant, dans les... évènements qui ont marqué sa petite bande d'alors.
À l'époque, tout avait commencé par un jeu. Un code secret mis au point par une bande de potes. Juste des petits bonshommes de craie. Jusqu'au jour où les dessins ne sont plus le fait des enfants et qu'ils mènent droit à un cadavre démembré dans les bois...
Et si, trente ans après, l'Homme Craie n'en avait pas terminé avec Ed ?

Voilà un excellent premier roman, sorti le mois dernier chez Pygmalion et écrit par C. J. Tudor. La jeune femme (le "C" signifie "Caroline") réussit ici le double exploit d'allier une trame relativement habile et un style enlevé et efficace.
Tout amateur de Stephen King verra obligatoirement dans The Chalk Man des proximités au niveau de la narration (notamment dans le traitement des personnages) mais parfois aussi dans certaines scènes qui font penser à plusieurs de ses récits, dont Ça (une bataille de cailloux, une brute perverse, deux trames narratives, une petite fille violentée par son père, des apparitions monstrueuses... les points communs sont nombreux) [1]. Toutefois, bien que certaines scènes oniriques flirtent avec le genre, il ne s'agit pas d'un récit fantastique mais bien d'un thriller.

La thématique principale s'avère originale mais un peu sous-employée tant il était possible d'infiniment plus développer cette idée de petits dessins à la craie, aussi enfantins que terrifiants. Elle est par contre très habilement reprise sous forme métaphorique en ce qui concerne le père du personnage principal, dont l'esprit s'efface peu à peu, comme un dessin à la craie exposé à la pluie.
L'intrigue est également soutenue par une construction narrative minutieuse (avec des flashbacks très bien gérés), des personnages épais, profonds, à la psychologie fouillée, et quelques sous-thèmes forts, comme la lutte larvée entre partisans et opposants de l'avortement, ou encore l'amour interdit entre une jeune élève et un professeur très... particulier.

Caroline Tudor, même si elle a du mal à trouver encore sa propre signature (les scènes fortes du roman ont presque toute une résonance très directe avec l'œuvre de King, dont l'auteur avoue être fan), fait preuve d'une aisance certaine et d'un goût pour la noirceur assez marqué, ce qui rend sa retranscription des rapports humains aussi douloureuse que foutrement réaliste. Il est juste un peu étonnant que Tudor, inconditionnelle de King et James Herbert, en vienne à écrire un "simple" polar, d'autant que l'on sent son goût pour l'épouvante et le fantastique poindre dans bien des scènes.
Impossible en tout cas de lâcher ce livre une fois commencé.

Un très bon roman, aussi jubilatoire que sombre.
Et un auteur de talent à surveiller.
 


[1] Il n'est cependant aucunement question ici de plagiat. Rappelons qu'une idée n'est pas "protégeable", c'est sa mise en œuvre, l'originalité de son traitement, qui l'est. Le Nuit d'Été de Dan Simmons aligne d'ailleurs encore plus de points communs avec Ça.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une construction habile, tant dans le rythme que l'alternance des deux trames.
  • Des personnages forts.
  • Un petit côté "presque" paranormal.
  • Quelques scènes "coup de poing" assez osées.

  • Difficile de ne pas voir des ressemblances très appuyées avec les romans de King.

Monster

Le pauvre Kenneth (Kenny, pour les intimes) habite une grande demeure en pleine campagne anglaise. Il creuse un trou dans le jardin pour y enterrer son père, retrouvé mort à l’étage après une soirée à le battre, puis une nuit à délirer en appelant sa défunte femme. Ce dernier refusait depuis toujours que son fils aille voir ce qui faisait tant de bruit dans la pièce défendue du deuxième étage, soi-disant encombrée des affaires personnelles de son épouse. Désormais livré à lui-même, après avoir recouvert de terre le cadavre de son père, Kenny brave l’interdit et pénètre dans la pièce tant redoutée. Il y trouve au sein d’un capharnaüm un effrayant être difforme et nigaud, qui s’avère être son oncle du côté de sa mère. Une lettre écrite par cette dernière détaille l’origine de la laideur de son frère. Responsable de cet homme — qualifié de monstrueux tant par son physique que par son mental —, Kenny va tenter de l’aider, mais rien ne va se passer comme prévu, entraînant le garçon dans une spirale de fuites, de morts et d’incompréhension.

Cette intégrale de 200 pages éditée par Délirium se concentre sur une bande dessinée horrifique britannique qui fut publiée pour la première fois dans la revue Scream !, et qui se poursuivit dans Eagle, entre 1984 et 1985. Cette étonnante et addictive série, en noir et blanc, raconte le voyage mouvementé, à travers le Royaume-Uni puis l’Australie, d’un adolescent de 12 ans débrouillard et de son oncle naïf à la force colossale. Ils découvrent notamment des contrées où les habitants vilipendent la différence. L’ambiance s'avère sombre, oppressante et poisseuse. La fatalité s’est écrasée sur le jeune garçon... et la question en suspens : va-t-il s’en sortir ?

Le concept de Monster fut mis en place par le scénariste Alan Moore [1], qui s’occupa du premier épisode, avec, aux dessins, Heinzl. Les épisodes suivants sont assurés par un certain Rick Clarke, pseudo cachant le duo Alan Grant [2] et John Wagner [3]. La partie graphique est prise en charge par Jesus Redondo. Les planches apparaissent parfois un peu bouchées, charbonneuses ; le matériel de base ne doit plus exister ou si peu ! La présence d’un encart publicitaire en bas de l’une d’entre elles participe au charme désuet, mais surtout indique que des pages de la revue ont servi de support à cette édition. Hormis cela, l’encrage maîtrisé avec ces aplats de noirs et le contraste dans les représentations des protagonistes apporte à l’angoisse palpable. Les éléments naturels (bois, rochers, vagues...) sont eux aussi tracés de manière tourmentée.

Monster s’apparente aux comics d’horreur américains tels que les parutions de Warren Publishing, Eerie et Creepy : titrage, cases déstructurées, planches denses, noir et blanc contrasté... Du fait de sa publication par courts épisodes de 4/5 pages, le récit possède un suspense intense, au rythme enlevé et chargé en informations. Une combinaison attractive de relations familiales tendues, vengeance, fuite, entraide, handicap, acceptation, pardon... les rebondissements s’enchainent, malgré quelques incohérences.
Le livre se clôt par trois nouvelles à l’intérêt plus que relatif, mais qui ravira les plus exigeants.

Monster fait partie de ces œuvres patrimoniales, peu connues sous nos latitudes, mais qui démontrent que les anglais se défendent aussi en bandes dessinées. Cet album rejoint ainsi Judge Dredd, Slaine, Charley’s War, l’anthologie Misty...
Une histoire prenante, touchante et divertissante qui plaira aux amateurs de thriller horrifique.


[1] Est-il encore besoin de le présenter ? Alan Moore est l'auteur entre autres de V pour Vendetta, Watchmen, Top 10, From Hell...
[2] Alan Grant a scénarisé La Balade de Lobo, Judge Dredd, Mazeworld...
[3] John Wagner a scénarisé L’Exécuteur, Judge Dredd, History of violence...


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit prenant et angoissant
  • Une intégrale de qualité
  • Un graphisme efficace malgré son âge
  • Rapport qualité/prix
  • Un seul épisode par Alan Moore
  • Les nouvelles à l’intérêt relatif

La Parenthèse de Virgul #7


Après le sabre laser, on reste dans la testostérone et la symbolique phallique avec le moyen de locomotion préféré d'un certain détective taciturne, amateur de chauve-souris.
Gratouillous les matous !

À fond la caisse !
Bien qu'il possède d'autres engins, comme le Batcycle ou le Batwing, c'est sans doute la Batmobile qui représente le mieux le Dark Knight. Le protecteur de Gotham a d'ailleurs accumulé, au fil des ans, toute une collection de véhicules. Il faut dire que lorsque l'on a les moyens de Bruce Wayne, c'est sans doute plus facile de changer régulièrement de caisse.
Batman avait déjà utilisé de belles voitures avant, mais c'est en 1941 que la première batmobile officielle fait son apparition. Si elle est de couleur rouge, les modèles suivants seront, eux, plutôt sombres, ce qui semble un poil plus logique.
Un tas de marques d'automobile vont servir de bases aux dessinateurs. Batman va ainsi conduire des bolides inspirés de différentes Studebaker, Porsche, Cadillac, Lincoln ou encore Chrysler.
Et bien entendu, les gadgets ne manquent pas. La batmobile peut embarquer radar, fusées, laser, ordinateur de bord, mitrailleuse Vulcan, et même un moteur... atomique. Pas spécialement écolo, mais pratique pour traquer le super-vilain en maraude.
Certains modèles vont durablement marquer les esprits et devenir emblématiques : en 1966, la version de la série TV, très kitsch, avec Adam West ; en 1989, la version des films de Tim Burton ; ou encore, en 1992, la version découverte dans Batman : The Animated Serie. Il faudra attendre 2005 et Batman Begins pour passer à une déclinaison plus militaire du véhicule, certes très fonctionnel mais perdant en charme. Ce modèle, appelé Tumbler, sera d'ailleurs par la suite mis en vente sur un site de produits de luxe pour la modique somme d'un million de dollars. Pour le prix, l'engin était équipé, entre autres, d'un moteur V8, d'un GPS, de cinq caméras et d'un lecteur de DVD. Par contre, il ne disposait que de deux places assises, oubliez donc la balade familiale, il faudra vous contenter d'un seul passager. La jolie Catwoman par exemple ? Ou Robin... question de goût.
Bien entendu, il existe une foultitude de modèles réduits, de diverses tailles, vous pourrez en découvrir quelques-uns ici.
Miaw !



la Première Loi, par Joe Abercrombie


Ce n'est pas la première fois que l'auteur Joe Abercrombie est traité sur UMAC : Nolt s'était fendu d'une chronique tout à son avantage concernant un roman (Les Héros) situé dans le même univers que La Première Loi mais indépendant de la trame principale (quoique sa présentation puisse occasionner quelques spoilers pour ceux qui n'auraient pas encore lu la saga susdite).
Il va de soi qu'il vaut mieux, pour des raisons de continuité, s'essayer d'abord à la trilogie avant d'envisager la lecture des annexes. Celle-ci est constituée de trois tomes publiés en France en 2007 chez J'Ai Lu, puis réédités chez Pygmalion une première fois et, tout récemment, chez Bragelonne qui a également en charge les romans indépendants fondés sur le même univers) : même traductrice, qui a fait du bon boulot, mais quelques différences notables, à commencer par les titres des volumes (L'Éloquence de l'épée est devenu Premier Sang, par exemple). Nous en reparlerons.

Sans être révolutionnaire (mais combien d'œuvres de fantasy le sont depuis Tolkien ?), les livres constituant l'intégrale de la Première Loi ont réussi à s'immiscer dans le panthéon du genre, et relativement rapidement. Sans user des artifices habituels grâce auxquels on reconnaît souvent ce type d'ouvrages (des cartes du monde en début de volume, des parties plus ou moins intégrées au corpus concernant son passé mythique, des glossaires ou galeries de personnages voire des tableaux généalogiques - quand ce ne sont pas des extraits de légendes ou d'épopées), Abercrombie dépeint les grandeurs et décadences de royaumes et d'empires par le truchement de personnages aussi divers et charismatiques que souvent pathétiques.
C'est assurément son point fort, cette façon de faire avancer différentes lignes narratives attachées à des héros atypiques tout en les faisant doucement converger les unes vers les autres afin de dévoiler une intrigue sous-jacente révélant le destin d'un univers. On le voit, rien de bien nouveau (le découpage "un chapitre/un point de vue" étant connu des lecteurs du Trône de fer), mais c'est dans le choix de ses protagonistes et la manière de s'insérer dans leur quotidien (ou carrément leurs pensées intimes) que se révèle l'incontestable talent de l'auteur britannique. Que ce soit Neuf-Doigts, ce chef de clan nordiste au passé hanté par des actes de violence inouïe, éternel survivant dans les conflits agitant la lisière septentrionale de l'Union ; Bayaz, s'évertuant à faire croire qu'il est bien le Premier des Mages et a vécu à l'époque ou des demi-dieux ont façonné la réalité ; Ferro Maljinn, une ancienne esclave des déserts du sud, irascible et haïssant à peu près tout le monde ; le capitaine Jezal, un petit noblaillon tout mignon rêvant de gloire mais faisant dans ses hauts de chausse à l'idée d'affronter un champion au cours d'un tournoi d'escrime ; enfin et surtout cet Inquisiteur, au corps meurtri par des années passées dans les geôles ennemies, sans pitié dans ses interrogatoires mais non sans raison. Tous vont finir par se croiser, œuvrer ensemble ou contre les autres et tâcher parfois de conjuguer leurs efforts alors que tout les oppose.

Et ces antihéros, si caractéristiques de la tendance actuelle de la fantasy, n'auraient pas cet impact et cette richesse sans les très nombreux seconds rôles souvent fascinants, parfois grotesques, qui partagent leurs aventures, pions parmi les pions dans cet échiquier inhumain où le sang gicle et les territoires tombent suivant les décisions politiques des puissants. Ils auront beau lutter de toutes leurs forces contre l'inéluctable, on sait d'avance qu'ils connaîtront invariablement un destin funeste. Abercrombie, sans pourtant décrire outre-mesure son terrain de jeux, nous plonge aisément dans les recoins de cet empire qui tombe en capilotade, menacé au Nord par un chef de guerre irrésistible, aiguillonné au Sud par l'autoproclamé empereur du Gurkhul et surtout rongé en son sein par les intrigues de palais autour de ce monarque fantoche dont les conseillers, vraies têtes pensantes de l'Union, tirent les ficelles. On passe des montagnes glacées où les tribus hostiles font tant bien que mal face à une armée d'humanoïdes venue de nulle part aux déserts brûlants méridionaux où d'immondes sorciers cannibales traquent les rebelles, en passant par les ruelles de la métropole, bondées et splendides en plein jour mais sordides et recelant d'inavouables secrets lorsque la nuit tombe. Dans Première Loi, on enquête sur les pas de l'Inquisiteur et des ses fidèles Tourmenteurs, on survit aux basques de Logen Neuf-Doigts, on se bat au sein de l'équipe de Sequoia et Renifleur, on compte fleurette et on brette au rythme des hésitations de Jezal. Et la magie, sournoise, discrète, peut exploser à tout moment, sans explication autre que de vagues rumeurs liées à un Au-Delà peuplé de démons...
C'est sombre, cruel, parfois hystérique, souvent ironique. Et violent, sans être déraisonnablement gore. Ça se lit aisément, avec cette sorte d'efficacité abrupte qu'on trouvait chez Gemmel, bien que plus acide, plus éloquente.
C'est là que le parallèle avec l'appréciation de Nolt n'est pas inintéressant lorsqu'il évoque le style "élégant et percutant" du roman qu'il avait apprécié (Les Héros). Si le premier tome de la trilogie (intitulé Premier Sang dans sa seconde édition française) est loin d'être à la hauteur de ses éloges (manquant justement d'élégance, trop sec ou répétitif), on s'aperçoit que cela s'améliore dès le deuxième avec davantage de richesse dans les expressions et les descriptions, des caractères plus fouillés et des dialogues piquants. Il est incontestable que le jeune écrivain progresse de livre en livre, développant autant ses intrigues tortueuses que son écriture. Les relations entre les personnages ne manquent pas de sel et l'auteur parvient souvent à nous surprendre avant de nous rassurer, tout en ne manquant jamais de nous faire partager les sombres pensées qui les agitent. Il use en outre d'une technique particulière avec son Inquisiteur, Sand dan Glotka (renommé Glokta dans les volumes édités chez Bragelonne qui multiplient d'ailleurs les approximations et les coquilles - curieusement, alors qu'il s'agit de la même traductrice, les noms sont parfois modifiés : le Sinistre devient Harding Grim, le Sanguinaire devient le Neuf Sanglant, la cité de l'Agriont perd son déterminant) en modifiant la typographie pratiquement à chaque paragraphe pour révéler les impressions à chaud de l'individu, comme une voix intérieure permanente et audible aux lecteurs, à la manière d'un Paul Atréides dans Dune.

L'évolution du style est également notable dans un autre domaine, particulier, mais représentatif dans la grimdark fantasy à la George R. R. Martin : le sexe. Alors que tous les autres ingrédients sont densément présents dès le premier tome (violence permanente, complots et trahisons à foison, alliances et mésalliances entre personnages ambivalents et des réflexions crues), le sexe en est presque oblitéré, laissant place à des rapports discrets et timides presque incongrus dans cet univers si sombre. C'est peut-être poussé par ses amis ou collaborateurs qu'Abercrombie se laisse davantage aller à partir de Haut & Court (le second tome, intitulé précédemment chez J'Ai Lu Déraison & Sentiment) mais on a tout de même la forte impression qu'il préfère adjuger à ses héros des sentiments profonds, même si inavouables, que des pulsions bestiales à satisfaire sur-le-champ. Dans cet univers qui a connu son Age d'or et se précipite inexorablement vers sa chute, c'est finalement tout à son honneur.

Moins poétique et engagé que Moorcock, moins profond et littéraire que Le Guin (deux auteurs auxquels il aime se référer), Abercrombie nous livre ici une pourtant très bonne saga dans l'air du temps, enlevée, haute en couleur, dotée de personnages inoubliables voguant vers un destin aussi pervers que grandiose - qui ont fini d'ailleurs par être adaptés en comic books, affaire à suivre.
Après les 200 premières pages un peu mornes, tout s'accélère alors que les têtes tombent et les mystères se dévoilent, en annonçant d'autres encore plus palpitants. Et ça devient, malgré soi, passionnant.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une galerie de personnages variés et fascinants malmenés par le destin.
  • Un univers aisément identifiable traversant une période intense en rebondissements.
  • Une écriture fluide et de nombreuses péripéties savamment orchestrées sachant tenir en haleine : tant dans la survie pure que dans les batailles rangées, l'auteur est convaincant.
  • Un style qui progresse de tome en tome.
  • De la violence, du sang, des larmes, de la souffrance et, parfois, une once de sentiment.

  • Même si on n'en a pas vraiment l'utilité, une carte du monde aurait été la bienvenue. Il semblerait qu'elle apparaisse dans les romans annexes.
  • Pas de nouveauté notable, juste une malicieuse manière de raconter des histoires connues avec des personnages disparates.
  • Un premier tiers pas franchement palpitant, mais une fois les jalons posés, ça s'améliore.
  • L'édition Bragelonne multiplie les coquilles et modifie les noms.

Yamraj Century Comics


Le collectif Yamraj Comics vient de sortir sa première anthologie : Yamraj Century Comics.

Arborant une couverture réalisée par notre ami Sergio Yolfa (The Gutter), l'ouvrage contient une sélection de titres du Golden Age. Ambiance old school donc pour ces planches en noir & blanc ayant bénéficié d'un travail de restauration.
Au sommaire, une flopée de justiciers, dont Captain Freedom, The Flag, Black Hood ou encore Miss Victory. Les aventures de tous ces héros patriotiques se déroulent alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, les personnages affrontant l'ennemi Japonais et Allemand, voire même la menace intérieure personnifiée par la sinistre cinquième colonne !

En ce qui concerne les auteurs, l'on peut citer, entre autres, Bernie Klein, Dick Ayers, Al Camy ou Cliff Campbell.
L'anthologie est disponible sur lulu.com, au prix de 8,00 euros, pour 158 pages.
Format 13,97 x 21,59. Couverture souple, dos carré.

Quelques pages, ci-dessous, pour vous faire découvrir l'ambiance visuelle de ces comics historiques.



Exposition Osamu Tezuka à Angoulême

L’exposition consacrée à Osamu Tezuka est un événement en soi : plus de 200 originaux sont présentés, planches de manga, illustrations et celluloïds.

Incontournable pour ce qu’il a apporté à la bande dessinée nippone et au monde de l’animation, les Japonais surnomment Osamu Tezuka : Manga no kamisama, « Le Dieu du Manga » [1]. Inventeur du manga moderne [2], il a produit environ 170 000 pages et est le père de plusieurs héros emblématiques [3] devenus chers aux japonais.

Né en 1928, il connut la Seconde Guerre mondiale, ce qui conditionna une appétence pour des thématiques fortes qui vont imprégner ses productions : un solide engagement contre la guerre, le respect de la nature, de la vie et de toutes les créatures, et un profond scepticisme envers la science et la civilisation. Les films (Chaplin...), les dessins animés (Disney, Popeye...), les livres en provenance des États-Unis l’influencent fortement.
Il suivit des études de médecine, dont il sortit diplômé, sans cesser de dessiner, et devint rapidement professionnel. Sa narration fit évoluer les récits destinés aux garçons et aux filles. Ils marqueront des générations de lecteurs et permettront l’émergence de mangakas tels que Gô Nagai, Shotaro Ishinomori, Ryoko Ikeda et tant d’autres. Osamu Tezuka va ainsi nourrir l’imaginaire de millions de japonais. Il tenta l’aventure de l’animation en fondant Mushi productions puis Tezuka Productions. L’adaptation pour le petit écran d’Astro le petit robot, en 1963, aura beaucoup de succès. Ses créations les plus célèbres, Astro, déjà cité, mais aussi  Léo et Princesse Saphir, ont été diffusées à la télévision française.
Il s’aventurera aussi du côté de la bande dessinée adulte et plus marginale avec le magazine Com. Il adapta ses histoires à un lectorat plus âgé en réaction aux nouveaux mangas, qui paraissent créés parfois par d’anciens assistants, sous la bannière du gegika, ces mangas pour adultes où le sexe, la violence, les sujets de société, les tranches de vie sont traités dans un style plus réaliste, plus dur que les autres bandes dessinées.

Les histoires de Tezuka s’avèrent variées, intelligentes et touchantes, avec un trait qui s’adapte au ton ainsi qu’un travail de mise en page et de mise en scène recherché (cadrages audacieux, trouvailles graphiques pour appuyer certaines situations, personnages récurrents d’une œuvre à une autre, rythme trépident...). Le Dieu du Manga n’aura de cesse de s’améliorer, affinant son trait, devenant plus mature dans ses thématiques, explorant les noirceurs et les recoins de l’âme humaine, tout en interrogeant la société de l’époque avec une continuelle envie de se renouveler. Longue carrière, avec plus de 500 œuvres papiers, sans compter toute la production animes, les illustrations, le développement de merchandising...
Tezuka était venu dans les années 80 au FIBD. Il nous quitte en 1989 à Tokyo.

Cette exposition est co-réalisée par Stéphane Beaujean et Xavier Guilbert, avec l’aide de Tezuka Production. Elle se concentre sur les travaux de l'auteur situés entre 1950 et 1990. Les œuvres sont divisées par ordre chronologique et par thème. L’exposition se situe dans la salle un peu étroite et sombre qui a accueilli l’an dernier l'exposition consacrée à Kamimura.
Les planches, illustrations et celluloïds, sous verres, sont accompagnés de cartels à côté desquelles des panneaux touffus délivrent moult informations les contextualisant par rapport à leur époque. En regardant ces originaux, le travail de Tezuka et de ses assistants saute aux yeux : outre des traits maîtrisés, l'on distingue du collage, des retouches à la gouache blanche, des poses de légères trames, ou encore du scotch, tout cela modifiant ingénieusement les planches. Dès le début, on sent l’amour du japonais pour Disney, les frères Fleisher : des personnages élastiques, hyper expressifs, qui deviennent au fur et à mesure des décennies et du ton plus réalistes. L’ensemble des pièces présentées a plutôt bien vieilli. Les planches demeurent magnifiques, propres et éloquentes, sans que la compréhension de la langue originelle ne soit nécessaire.

Grâce à sa boulimie de travail, sa remise en question perpétuelle, et ses nombreuses expérimentations, tout en cumulant succès et échecs dont il titre des enseignements, Osamu Tezuka demeurera un artiste important qui aura plus que marqué son Art. Depuis 1971, une récompense à son nom est décernée tous les ans à un mangaka pour la qualité de son scénario.

Jusqu’au 11 mars 2018 au musée d’Angoulême.

[1] Dans le sens de "saint patron", pas d’un dieu monothéiste.
[2] Le manga est passé d’un ensemble de strips à un récit s’étalant sur une centaine de pages.
[3] Astro, le petit robot, Saphir l’héritière du trône pourvue d’un cœur de fille et d’un cœur de garçon, Léo, le lionceau courageux, Black Jack, le médecin marron talentueux, Phénix, l’oiseau traversant le temps et les époques à la rencontre de la destinée des humains.






Résolution #23 : Bricolage Saint Seiya


— Mais qu’est-ce que c’est que ça encore !?
— Rassure-toi, je n’ai rien dépensé, c’est du bricolage maison.
— Et… c’est censé être quoi ?
— Une armure divine de Saint Seiya. Admire les finitions !
— Tu as pris quoi pour faire ça ?
— Heu… différents trucs qui trainaient…
— Mais encore ?
— La table de nuit, l’aspirateur, l’horrible vieux meuble hérité de ta grand-mère et qui encombrait le garage, le robot, là, censé faire des soupes et des jus de fruits, dont on ne se servait jamais, l’appareil à raclette, et quelques machins en trop.
— La commode lorraine de ma grand-mère ? Tu es sérieux ?
— Juste une partie, il me fallait de longues planches pour les ailes.
— Bordel, mais… et c’est quoi les « machins en trop » ?
— Des trucs que j’ai trouvés dans la maison et dont je n’ai pas pu déterminer l’utilité.
— Je rêve… t’es débile ou quoi ? Tu veux vraiment qu’on divorce ?
— Attends, tu vas comprendre, je n’ai pas fait ça pour rien. La Toei et Netflix ont annoncé… un remake de Saint Seiya !!
— Et ça implique que tu détruises les meubles et l’électroménager ?   
— C’est plus du recyclage que de la destruction, tu sais, je…
— Juste une question avant que je décide si je dois te foutre dehors ou te faire interner… à quoi il a servi l’appareil à raclette ?
— C’est le devant de l’armure, le plastron en quelque sorte. Alors, je suis ingénieux ou pas ?

Résolution #23 – initier ma compagne aux joies du bricolage : failed

Y, The Last Man



Retour sur une excellente série, Y, Le Dernier Homme, qui conte les aventures mouvementées de Yorick, dernier représentant de la gent masculine dans un monde exclusivement peuplé de femmes.

Le label Vertigo est véritablement un vivier de comics culte (cf. cette encyclopédie) dans lequel l'on peut trouver des tonnes d'excellentes séries, couvrant de nombreux genres (SF, western, fantastique, polar...). Dans le lot, il serait dommage de passer à côté de Y, The Last Man, un titre surprenant et addictif.
Au scénario, Brian K. Vaughan (Runaways, Buffy, Saga). Les dessins sont de Pia Guerra.
Les premiers épisodes ont été publiés par Semic, puis Panini, avant qu'Urban Comics ne reprenne la main (et accessoirement les droits) et réédite le tout dans une intégrale Vertigo Essentiels.
Mais commençons par nous pencher sur l'histoire.

Yorick est un jeune homme charmant, un peu glandeur et passionné de tours de magie. Plutôt désordonné et maladroit, il a même du mal à s'occuper de son singe, Esperluette, qui n'hésite jamais à lui balancer quelques crottes à la tête. Le genre de type qui n'est pas franchement destiné à devenir célèbre. Pourtant, du jour au lendemain, il devient l'homme le plus convoité au monde. Pour la bonne et simple raison qu'il est - si l'on fait exception de son animal de compagnie - le seul mammifère mâle encore en vie sur la planète.
Ce monde post-apocalyptique dans lequel il va évoluer est donc entièrement constitué de femmes, ce qui a certes quelques avantages, mais aussi malheureusement de gros inconvénients.
De parfait anonyme, Yorick devient le seul espoir de survie de l'humanité. Flanqué d'une spécialiste en clonage et d'une experte en combat, membre de l'organisation secrète Culper Ring, il va devoir, à travers le pays et bientôt le monde, se mettre en quête de réponses tout en échappant aux pires dangers. Car si les hommes ont été éradiqués, leur folie n'a pas succombé avec eux. Ainsi, les Filles des Amazones, une organisation extrémiste, et même un commando israélien vont tenter de mettre la main sur... le dernier homme.


Vaughan développe ici un récit varié et passionnant. Malgré parfois quelques épisodes un peu "en dessous", il maintient un véritable suspense tout au long de la saga, riche en rebondissements bien amenés. Yorick ne manque pas d'humour, il fait des rencontres plutôt hautes en couleur, les dialogues sont très bons, l'action n'empiète nullement sur la psychologie des personnages, et l'on a droit en prime à quelques histoires d'amour et une explication du phénomène (à l'origine de la disparition des hommes) qui, si elle est un peu tirée par les cheveux, n'en reste pas moins présente (tous les auteurs ne s'en embarrassent pas forcément). Mine de rien, Vaughan aborde un paquet de sujets sociétaux (le clonage, le féminisme, la politique en général) et parvient à les éclairer d'une manière personnelle et pertinente.
Les dessins, s'ils ne sont pas désagréables, souffrent un peu d'une certaine simplicité par moments, en ce qui concerne notamment les décors. Les visages manquent également de diversité, difficile par exemple de s'y retrouver dans le paquet de jeunes femmes blondes qui jouent un rôle dans le récit.

Quelques défauts donc, qu'il est légitime d'évoquer, mais surtout un véritable bon moment de lecture, encore amplifié par une fin qui n'est pas avare de surprises et de chocs émotionnels.
Le scénariste livre en effet une conclusion forte, quelque peu dérangeante et amère, mais terriblement réussie. Contrairement à ce que pouvait laisser présager le ton parfois léger de la série (avec notamment le duo contrasté à la buddy movie, les vannes, et le graphisme, pas franchement "sombre"), ce final est une cascade de crochets au menton et de directs au bide, qui vous laissent sans voix, le souffle court et la gorge serrée. Du grand art.

L'intégrale des 60 épisodes de la série est disponible en cinq tomes de 320 pages, chez Urban Comics (28 euros pièce sauf le premier, à 22,50), le tout étant agrémenté de nombreux bonus.
Hautement conseillé.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un Vaughan parfaitement à l'aise sur ce récit fleuve.
  • Une thématique abordant de nombreux sujets de société.
  • Une conclusion couillue et émouvante.
  • L'humour.

  • Un style graphique souvent fade.