Real Account (ReA) est un réseau social très prisé. Le lycéen Ataru Kashiwagi s'y est inventé une vie basée sur le mensonge et son compte est suivi par plus de 1.500 personnes. Au quotidien, il traîne pourtant un lourd poids sur ses épaules : il n'a aucun ami et vit avec sa sœur depuis la mort de leurs parents. Un jour, Ataru est « aspiré » dans ReA avec d'autres joueurs, soit dix mille êtres pris en otage. La mascotte Marble leur explique les nouvelles règles : dans cette réalité alternative du réseau social, si quelqu'un meurt alors non seulement il décède également dans le monde réel mais tous ses followers perdent la vie aussi !
« Seuls ceux qui seront capables de franchir les différents niveaux du jeu pourront retourner dans le monde réel » explique le déluré Marble (on ignore c'est un humain ou un avatar virtuel). En prime, tous les faits et gestes des joueurs sont retransmis en direct sur les écrans au Japon (1). Premier niveau : ceux qui suivent les joueurs prisonniers de ReA ont trois minutes pour se désabonner de leur compte favori, ils sont ainsi certains d'avoir la vie sauve. Problème : si une personne dans ReA n'a plus d'abonnés, elle meurt. Comment Ataru va réussir à s'en sortir ?
Parmi les nombreux mangas héritiers de Battle Royale, c'est à dire le traditionnel « jeux de massacre » chez de jeunes adolescents (citons parmi les plus réussis Darwin's Game, La Cité des Esclaves, Judge, Sky-High Survival, Lesson of the Evil), Real Account tire son épingle du jeu pour ce premier volume (onze sont actuellement disponibles au Japon, la série est toujours en cours de publication). Il est écrit par Okushô, édité par Kurokawa et en vente depuis le 10 novembre.
« Mille cinq cent quarante amis sur Real Account,
alors que dans la vraie vie, je n'en ai aucun. »
alors que dans la vraie vie, je n'en ai aucun. »
L'originalité du titre provient évidemment de la réutilisation des codes et du pouvoir d'Internet et, surtout, des réseaux sociaux. La force du « paraître » (l'image qu'on renvoie), plus connue sous le nom de « merci Photoshop ! » et sa variante « thanks les filtres Instagram ! » pour le physique et le visuel, mais aussi la vraie-fausse vie sur laquelle on joue pour tenter d'avoir un semblant d'identité. Le narcissisme en prend pour son grade, c'est certes un peu facile de dresser une critique acerbe de notre monde ultra-connecté mais toujours plaisant à lire quand c'est bien réalisé. Bien sûr il y a beaucoup de clichés mais il est fort probable qu'une majorité d'internautes se reconnaissent dans certains faits, sauf s'ils sont hypocrites.
Du reste, nous sommes en terrain plus que classique pour un manga « shônen » : le lycéen solitaire qui va devenir malgré lui un leader, une timidité maladive chez lui et sa potentielle petite amie, des dessins très convenus, signés par Shizumu Watanabe (My girlfriend is a fiction) qui n'a pas vraiment un style particulier ou reconnaissable. Le point faible de cet ouvrage est le manque d'exploration de personnages secondaires, on n'a pas le temps de s'attacher à eux (ni même au héros). D'autres défauts sont à lister mais ils peuvent se corriger avec la suite. Le titre doit en effet gagner en « cohérence » pour être plausible. Actuellement, le lecteur ignore le registre auquel Real Account appartient : thriller, fantastique, science-fiction ? Il est impératif d'apporter des pistes d'explications rapidement (sinon on se retrouve avec une fin ratée qui prend le dessus sur le reste de l'œuvre, à l'instar de Doubt ou de King's Game, qui révélaient de grossières hypnotisations ou un virus informatiques impactant des capacités neuronales).
La série se rattrape d'ailleurs de justesse sur la fin en évoquant l'impressionnant nombre de morts « dans la vie réelle ». Là aussi, il ne faut pas que Real Account omette cet aspect important de l'histoire : il y a beaucoup de morts, ceci a donc un impact et des conséquences qu'il ne faut pas négliger (un élément sur lequel la série Darwin's Game a parfaitement rebondi en utilisant des policiers au sein de cet autre Survival 2.0).
Real Account rappelle également d'autres mangas, moins sanglants, comme l'habile Liar Game et, dans une moindre mesure, le mythique Hunter X Hunter — comme cette dernière, la série navigue entre la légèreté et l'humour tout en montrant un côté noir et violent, là aussi il va falloir imposer son genre rapidement. Le manga pourrait aisément basculer dans le seinen en devenant plus sombre mais vu ce qui est mis en place, le public ciblé reste adolescent et les dialogues confirment cette éternelle « entraide obligatoire » du côté des « gentils », et blagues et situations ubuesques du côté du « méchant ». Autres références, l'anime Summer Wars ou le récent film Nerve. Tous deux réussissaient à établir une solide critique de notre génération connectée tout en se gardant d'être moralisateur face aux réseaux sociaux. Un aboutissement sur lequel tend plus ou moins Real Account (même si les joueurs sont là à cause de leur addiction à ReA, ils gagnent un niveau « mortel » en étant solidaire grâce à leurs connexions en ligne).
Un bon premier tome donc, non exempt de défauts mais qui propose un univers plutôt original (dans un genre pourtant déjà vu et revu) dont on est très curieux de découvrir la suite.
(1) 42% de la population japonaise est présente sur les réseaux sociaux ! Soit 53 millions de Japonais. Le pays a même ouvert des camps de désintoxications pour lutter contre l'addiction à Internet. Les participants doivent se déconnecter totalement pour renouer avec la réalité.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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