Une saga de science-fiction de Dan Simmons (1989 à
1997).
Des pèlerins soigneusement
sélectionnés par différentes factions politiques ou religieuses doivent se
rendre sur la planète Hypérion, un astre à l’écart du centre galactique, afin
de trouver dans les Tombeaux du Temps (qui évoluent chronologiquement à l'envers,
artefacts expédiés depuis un lointain avenir et censés s'ouvrir prochainement)
une réponse à la crise intermondiale qui se prépare, car l’Hégémonie humaine
est au bord de l’implosion. Durant leur voyage frappé du sceau du désespoir,
ils se (nous) racontent leur histoire : entre le père éploré narrant la
souffrance de sa fille grandissant à rebours, le poète adulé et maudit qui a
« perdu les mots » après avoir quitté la Terre mourante, le soldat
décrivant sa rencontre avec une beauté surnaturelle apparaissant dans ses
entraînements holographiques, le prêtre parlant d'une race de primitifs
vénérant un cruciforme vampirique et la chasseuse de prime évoquant un cybride
de poète disparu... S’y ajoutent un consul possédant son propre vaisseau privé
(un luxe inouï) et un mystérieux Templier arrivé à bord d’un Vaisseau-Arbre.
Au-dessus de tout cela, l'ombre des IA qui régentent tout l'empire humain et des Extros dont personne ne sait rien plane en autant de menaces protéiformes.
Au-dessus de tout cela, l'ombre des IA qui régentent tout l'empire humain et des Extros dont personne ne sait rien plane en autant de menaces protéiformes.
Les grands créateurs d’univers aiment détruire leur œuvre.
Du moins le font-ils volontiers. Sans doute toutefois versent-ils
(au moins) une larme chaque fois qu’ils entreprennent l’éradication de tout ce
qu’ils avaient développé.
Pour mieux reconstruire sans doute. L’appel de la table
rase.
C’est tellement vrai en SF. Moorcock qui nous dépeint les Jeunes Royaumes que son héros Elric traverse de long en large avant d’être à l’origine de son anéantissement – qui permettra la naissance d’une nouvelle réalité – la nôtre - où les hommes auront une nouvelle chance de trouver l’équilibre entre la Loi et le Chaos ; dans une saga parallèle, son monde du Tragique Millénaire est le décor d’une Europe se relevant difficilement d’un holocauste nucléaire. Robert Jordan qui évoque l’inévitable cataclysme qui frappera, une fois encore, le monde lorsque le Ténébreux se libèrera et mettra fin au règne des hommes. Philip José Farmer qui raconte les hauts faits d’une poignée d’hommes affrontant les dangers de cette mystérieuse planète au fleuve gigantesque au bord duquel ils ont ressuscité – jusqu’à ce qu’on apprenne que tout était destiné à disparaître à la fin d’une étrange expérience extraterrestre (le Fleuve de l’Eternité). Peter F. Hamilton qui se plaît, dans l’Aube de la Nuit, à nous narrer la façon dont l’Humanité essaimée dans les étoiles se trouvera confrontée au pire péril de son existence, voué à semer le chaos dans les bases même de la société humaine. Asimov qui, au travers de la série Fondation (voire de son œuvre entière), décrit un empire, celui de Trantor, qui s’effondrera avant que des descendants des premiers psychohistoriens ne tentent de le faire renaître de ses cendres.
C’est tellement vrai en SF. Moorcock qui nous dépeint les Jeunes Royaumes que son héros Elric traverse de long en large avant d’être à l’origine de son anéantissement – qui permettra la naissance d’une nouvelle réalité – la nôtre - où les hommes auront une nouvelle chance de trouver l’équilibre entre la Loi et le Chaos ; dans une saga parallèle, son monde du Tragique Millénaire est le décor d’une Europe se relevant difficilement d’un holocauste nucléaire. Robert Jordan qui évoque l’inévitable cataclysme qui frappera, une fois encore, le monde lorsque le Ténébreux se libèrera et mettra fin au règne des hommes. Philip José Farmer qui raconte les hauts faits d’une poignée d’hommes affrontant les dangers de cette mystérieuse planète au fleuve gigantesque au bord duquel ils ont ressuscité – jusqu’à ce qu’on apprenne que tout était destiné à disparaître à la fin d’une étrange expérience extraterrestre (le Fleuve de l’Eternité). Peter F. Hamilton qui se plaît, dans l’Aube de la Nuit, à nous narrer la façon dont l’Humanité essaimée dans les étoiles se trouvera confrontée au pire péril de son existence, voué à semer le chaos dans les bases même de la société humaine. Asimov qui, au travers de la série Fondation (voire de son œuvre entière), décrit un empire, celui de Trantor, qui s’effondrera avant que des descendants des premiers psychohistoriens ne tentent de le faire renaître de ses cendres.
Grandeur et décadence… La
trilogie Matrix ne dit pas autre chose : Zion, dernier bastion
de l’Humanité, est vouée à tomber, à moins que…
Pour en revenir à Asimov, il avait affirmé avoir trouvé
dans ses premiers travaux scientifiques sur l’Histoire la source de la plupart
de ses récits ultérieurs : le passé offrait tant d’exemples probants dans
lesquels il suffisait de piocher en adaptant intelligemment. L’empire romain,
c’est Trantor sur Terre.
Le space opera se délecte de telles situations, à
moins qu’il ne s’engonce dans la planetary
romance à la manière de la saga Ténébreuse
(Marion Zimmer Bradley) où le but est surtout de raconter des histoires prenant
l’univers créé comme objectif en soi, presque comme un personnage (voir
aussi Ose de Farmer).
Construire, détruire, et peut-être ce besoin pervers de faire souffrir le
lecteur/spectateur qui s’était attaché aux êtres et avait admiré les décors.
Comment ne pas ressentir un pincement au cœur lorsque le Riddler détruit
la Batcave dans Batman forever ?
Ou lorsque Shiita et Pazu déclenchent l’autodestruction de Laputa dans le Château dans le ciel ?
Moi, ça me fait mal, à chaque fois.
Et Hypérion m’a
fait mal, aussi. Peut-être davantage encore tant l’univers cohérent était
décrit avec passion et finesse, avec un savoir-faire étonnant, une précision
époustouflante, combinant de nombreuses références puisées à la SF
traditionnelle aux préoccupations du cyberpunk et des romans de fin
du monde à la J.G. Ballard : 200 planètes habitées, 150 milliards
d’individus. Destinés à disparaître.
Cruelle inéluctabilité.
Hypérion est
pourtant l’archétype du space opera post-moderne, ayant accumulé les
prix littéraires, sorte de pierre angulaire du genre au détour des années 80 - comme
le soulignait John Clute, qui y voyait une œuvre définitive et absolue.
Dans son anthologie assez maligne, Lorris Murail n’y percevait toutefois rien
de véritablement révolutionnaire, mais saluait son souffle, sa maîtrise,
sa torrentueuse inspiration. Simmons y a en effet tout compris car il
a mêlé les préoccupations les plus actuelles en matière d'environnement et de
préservation des espèces au souffle épique des récits de l’Age d’or de la
SF (le spectre des Futurians est présent dans ces batailles
cosmiques, ces races extraterrestres, ces mondes étrangers) à une
structure éclatée doublée d'un vrai sens de la narration. Le premier volume est
un tour de force puisqu'il est conté par quelques-uns des protagonistes,
souvent à la première personne, parfois en un rapport circonstancié, quand ce
n’est pas la lecture d’un journal intime relatant une expérience hors du
commun, et, chaque fois, avec un souci de véracité en s’appliquant à modifier
le style d’écriture. Les fans de John Brunner ou de William
Gibson apprécieront l’histoire de Brawne Lamia, cette détective
tombée amoureuse d’un androïde reprenant les schémas mentaux d’un poète de
l’Ancienne Terre – et allant jusqu’à se perdre dans les méandres de l’infosphère,
véritable univers virtuel interne multi-strates dans cette galaxie riche de
possibilités. On pleurera devant le drame insoutenable de Sol Weintraub,
ce père éploré, professeur d’Histoire et écrivain spécialisé dans l’Ethique,
cherchant des réponses à la maladie de sa fille qui, chaque jour, se rapproche
de celui de sa naissance – il ira, tel Abraham, jusqu’à interpeller Dieu
lui-même pour trouver un sens à sa douleur. On vibrera aux aventures épiques du
colonel Fedmahn Kassad, vétéran d’origine palestinienne respecté pour ses
faits d’arme et haï pour le caractère expéditif de ses solutions martiales,
soldat dans l’âme à la poursuite d’une chimère qu’il n’a connue qu’au cours
d’étreintes aussi improbables que torrides après avoir passé sa vie à réprimer
des velléités de révoltes nationalistes. A moins qu’on ne soit secoué par ce
prêtre qui est allé jusqu’à se crucifier afin d’échapper à des souffrances
insoupçonnables et infinies dues à sa quête éperdue des origines de la
chrétienté.
Dans Hypérion,
on se déplace par des portails distrans (les plus riches ont des
maisons ouvrant sur plusieurs planètes !) car entretenir un vaisseau coûte
cher et n’est à la portée que des gouvernements planétaires : on peut
ainsi « sauter » presque instantanément d’un monde à l’autre, bronzer
sur une des îles mobiles d’Alliance-Maui (planète naguère sécessionniste),
dîner dans un des restaurants de Tsingtao-Hsishuang Panna, suivre des
cours dans l’une des universités de Barnard, fréquenter un casino sur Fuji,
faire ses courses sur Renaissance Minor ou Tau Ceti Central ou encore se
baigner dans Mare Infinitus. La majorité des gens sont connectés à l’infosphère
et les IA régentent tout, permettant aux hommes de se consacrer davantage aux
loisirs et d'oublier un passé trouble où, à la suite d’une expérimentation
fatale, la Terre a été avalée par un trou noir, forçant les hommes à migrer
vers d’autres cieux. Il y a pourtant des révoltes, des guerres vite réprimées
par les armées de l’Hégémonie. Et que dire de ces Extros, une race
humanoïde qui refuse la technologie offerte par les ordinateurs pensants du
Retz et se déplace en colonies au sein de comètes errantes ?
Alors que les signes néfastes se multiplient, que les
prélats de l’Eglise gritchèque y voient une fin des temps imminente
et que la Présidente Meina Gladstone fourbit ses plans de
contre-offensive aussi impopulaire que désespérée, sur Hypérion, le
Gritche a commencé à refaire son apparition : entité semant la peine
et la douleur, étrangement liée aux Tombeaux du Temps, il est aussi
invulnérable qu'implacable, autant mythe que réalité ; il tue, découpe,
décapite et transperce avant de disparaître et de réapparaître ailleurs,
modelant le temps et l’espace à sa convenance et empalant ses victimes sur le
monumental Arbre de la Douleur où elles gémiront une éternité
entière. Révéré tel un dieu de souffrance par quelques illuminés (ou
initiés ?), il est le vrai Croquemitaine de cette époque troublée où 7
personnes étrangères l’une à l’autre se demandent en quoi elles peuvent
constituer la dernière chance de l’Humanité. A moins qu’on leur aurait
menti ? En ce cas, qui détiendrait des secrets ? Et si celui qui
précipitera la fin de l’Hégémonie humaine était parmi ces pèlerins de
l'impossible ?
Lorsque l’un d'eux disparaît, les autres comprennent qu’il
est temps de se serrer les coudes en partageant leurs informations. Le
crépuscule de l’Hégémonie s’annonce insensiblement : des mondes, des
civilisations entières sont en passe de disparaître – et l’ennemi n’est ni
clairement identifié, ni vraiment identifiable.
Un livre univers, racontant la grandeur et la décadence
d'une civilisation trop ambitieuse mais inconsciente de ses excès et de la
façon dont elle renaît de ses cendres en cherchant à se départir de ses anciens
alliés trop encombrants. Un drame poignant autant qu’une vraie tragédie grecque
à multiples facettes : les hommes se mêlent aux demi-dieux et divinités
issues de la technologie et accomplissent leur destin, écrit de toute
antiquité. Une réflexion sur la condition humaine teintée de philosophie (les
références à Nietzsche, Kant et Kierkegaard sont
manifestes, pour peu qu’on les connaisse) et mâtinée de références bibliques et
littéraires (Shakespeare et Dante s’ajoutent aisément à
l’incontournable John Keats). En creusant un peu, on est surpris de
trouver de nombreux parallèles avec la métaphysique abordée dans Matrix : le dilemme persistant
entre le choix d’une vie balisée sur les rails des probabilités, programmée par
des entités insaisissables et pragmatiques et d’une autre axée sur le
libre-arbitre, le risque et l'aléatoire, c’est celui de Neo devant
l’Architecte.
Le thème est celui de
la mort des dieux et de leur difficulté à accepter leur exil. Celui de la
souffrance, de la transformation et de l'injustice. Celui du poète, également.
Il pensait que c'était le poète qui souffrait le plus de toutes ces injustices.
Dan Simmons (parlant de Keats et de son oeuvre Hypérion)
Hypérion, vous
l’aurez compris, est prenant, haletant, émouvant, grand, déroutant,
époustouflant. C’est à la fois novateur dans son approche et respectueux des
thèmes abordés. Et c’est fort bien écrit, même si on peut ne pas adhérer à
cette manière de présenter l’intrigue qui empêche (du moins au départ) de
s’identifier totalement à l’un des protagonistes et fait semblant de noyer
l’intrigue principale sous des ressorts dramatiques perturbants. Neault dit très bien
pourquoi il n’est pas allé au bout de l’aventure dans son article argumenté.
J’en profite pour attirer l’attention des habitués des formats poche sur le
découpage (comme souvent) peu judicieux des volumes publiés.
Seules ont été évoquées ici les bases de l’univers dépeint
dans le premier des 4 romans qui ont décroché de très nombreux prix
internationaux, dont le prix Hugo et plusieurs fois
le prix Locus. Les Cantos
d’Hypérion sont ainsi divisés en quatre parties :
· Hypérion
· La
Chute d’Hypérion
· Endymion
· L’Eveil
d’Endymion
Quatre romans plutôt touffus. Les deux premiers se suivent
et se complètent, bien qu'ils sont censés pouvoir être lus indépendamment
(je n'en vois pas l'intérêt puisque le premier pose les enjeux qui ne seront
résolus que par la suite). Les deux suivants se situent quelques décennies
après les événements décrits dans la Chute d'Hypérion : une nouvelle humanité
dans une ère nouvelle où tout pourrait être à reconstruire, de nouvelles
croyances et religions - dont certaines renaissant spectaculairement de leurs
cendres, de nouveaux héros ignorants leur propre destinée, de nouveaux drames
où les protagonistes seront chaque fois dans l'expectative, hésitant entre des
principes de vie et une foi vacillante, constamment sur le fil entre leur hubris et
leur nemesis, mais toujours les mêmes menaces, plus retorses, plus
perverses et plus résolues que jamais à précipiter la chute de l’Homme, annoncée
comme nécessaire par certaines factions. La religion y est vue à la fois comme
problème et solution et l’état quantique du célèbre chat de Shrödinger devient
une torture des plus raffinées.
Indispensable.
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