Quand les frères Bogdanov ne font pas les guignols à la télé, il leur arrive d'écrire de passionnants ouvrages de vulgarisation. Celui-ci, bien que s'intéressant en apparence à un sujet bien délimité, va en réalité couvrir de vastes domaines et donner de nombreuses pistes d'approfondissement pour les plus curieux.
Le livre, d'un peu plus de 180 pages, ne se lit évidemment pas en trois minutes, le titre fait référence à son découpage particulier, permettant une grande clarté et facilitant la compréhension de chaque notion. Tous les thèmes sont en effet abordés sur une double page, avec d'un côté l'explication thématique (sur Hubble et la fuite des galaxies, la conjecture de Poincaré, les corps noirs, le boson de Higgs...) et de l'autre diverses illustrations, schémas et précisions.
En trois minutes, l'on peut donc saisir l'essentiel d'une théorie ou d'une notion particulière. L'approche reste généraliste et succincte mais donne une belle vision d'ensemble du sujet qui nous intéresse, le Big Bang.
Les auteurs commencent très logiquement par les conceptions antiques de l'univers, parfois surprenantes par leur justesse au regard des avancées actuelles. Ainsi Pythagore (le mec qui vous a tant emmerdé au bahut avec son fichu théorème) est convaincu que "tout est nombre" et que l'univers a donc nécessairement eu un "début". Il s'inspire notamment de certains sages qui, 1000 ans avant lui, parlaient déjà d'œuf cosmique pour désigner le point d'origine de l'univers.
Plus tard, Platon lui-même va sentir d'instinct [1] que l'univers est né d'un chaos primordial, que le cosmos provient d'une source qu'il appelle "le monde des idées".
Malheureusement, c'est la conception d'Aristote, d'un univers figé et éternel, qui va l'emporter et s'imposer pour longtemps...
L'on fait un bond ensuite jusqu'à Galilée qui considère que l'univers est mathématique et a forcément un "commencement", tout comme la suite des nombres. Les découvertes majeures se bousculent alors (et font donc l'objet de chapitres thématiques) : Romer, en 1676, qui démontre par l'observation astronomique que la vitesse de la lumière n'est pas infinie [2], Newton qui passe à un cheveu de devenir le père de la théorie du Big Bang, Leibniz qui évoque des lois physiques mais aussi métaphysiques et part du calcul binaire pour concevoir une émergence de la réalité à partir du néant primordial... les avancées sont incroyables, les idées stupéfiantes, le génie de ces hommes indéniable.
Certaines réflexions, pourtant très simples, plaident en faveur d'un univers n'étant pas infini et ayant donc une origine. Notamment le paradoxe de la nuit noire. Cela peut sembler étonnant mais le fait que le ciel nocturne soit sombre et non d'un blanc argenté uniforme démontre clairement que l'univers n'est pas infini, puisque dans un tel cas, des étoiles au nombre infini émanerait une lumière éternelle recouvrant l'intégralité des cieux.
Certains chapitres sont ainsi plus proches du jeu intellectuel que du traité d'astrophysique, abscons et ardu. L'on surfe sur les idées avec aisance et un plaisir réel.
La période moderne est tout aussi excitante sinon plus. Hubble révolutionne l'astrophysique dans les années 1920 en parlant d'univers-îles et en imposant l'idée que la Voie Lactée n'est pas la seule galaxie de l'univers. Gödel et son théorème d'incomplétude [3] font également pencher la balance en faveur de ce Big Bang si décrié. Son nom vient d'ailleurs d'une moquerie de Sir Fred Hoyle qui, en 1949, à la radio, va parler de Big Bang de manière ironique. Ainsi, le nom qui passera à la postérité et désignera la théorie provient d'un de ses plus ardents adversaires.
L'on voit qu'à travers ce livre, l'on aborde une partie de l'Histoire de la science (il sera même question de la Cosmologie Glaciale du Troisième Reich). Mais ce n'est pas tout, des données essentielles (sur lesquelles l'on pourra méditer longuement) sont livrées, les théories les plus récentes sont abordées, même les hypothèses sur l'avenir lointain de l'univers sont décrites.
Voyons un peu ces chiffres justement, qui donnent le tournis et échappent totalement à nos efforts de représentation de part leur nature si profondément éloignée du champ humain. Remontons le temps en nous rapprochant de ce fameux Big Bang, l'univers est de plus en plus jeune, de plus en plus ramassé et dense. À un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après le Big Bang, l'univers, replié sur lui-même, a une température de 10 milliards de milliards de milliards de degrés. Cette minuscule étincelle de réalité au milieu du néant atteint la densité stupéfiante d'un milliard de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de tonnes par... millimètre cube !!
Outre ces chiffres qui laissent rêveurs, les auteurs abordent la théorie des cordes, le temps imaginaire (qui est bien réel contrairement à ce que son nom laisse penser), les univers parallèles, les singularités et, entre autres, la probable fin de l'univers et la théorie du Big Freeze. Cette fin, lointaine, est si magique, si empreinte de poésie, de merveilleux et de terreur, qu'il est impossible de ne pas être ébranlé par sa description.
Pendant encore 800 milliards d'années (je rappelle que l'âge actuel de l'univers est estimé à un peu moins de 14 milliards d'années), les étoiles continuent à se former. Dans 5000 milliards d'années environ, elles perdent peu à peu leur énergie et disparaissent. Tout se délite, galaxies, planètes, atomes, il ne reste que les trous noirs qui, eux, vont mettre très, très longtemps avant de s'évaporer à leur tour. Cette évaporation ne commencera probablement que dans... cent milliards de milliards d'années pour les trous noirs les moins massifs. Et elle pourrait durer, accrochez-vous, plus d'un milliard de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d'années. Cette durée quasiment infinie à notre échelle a pourtant une fin. Cela sera long, mais cela viendra.
Nous sommes maintenant si loin dans le futur que plus rien n'existe. Les derniers trous noirs se sont totalement évaporés. Il ne reste qu'un néant noir et glacé, sans matière, sans énergie. Le temps, privé de ses vecteurs (d'évènements pour marquer son passage) disparait à son tour. Le Tout est revenu à son état initial : l'information.
Ce dernier terme possède deux sens bien distincts et complémentaires. D'une part l'information au sens mathématique et binaire, permettant l'agencement de la matière (les réglages de notre univers sont précis au-delà du milliardième de milliardième de milliardième de milliardième, sans cette précision, la vie n'apparait pas), d'autre part l'in-formation au sens strict, signifiant l'absence de "forme".
Physique et métaphysique se rejoignent, la boucle est bouclée.
Inutile de dire que je conseille cet ouvrage avec enthousiasme en sautillant, en chantant, en allumant des feux d'artifice, bref, en tentant d'attirer votre attention sur ses nombreuses qualités.
Simple, très bien conçu, passionnant, richement illustré, très accessible, il permet non seulement de comprendre l'origine [4] de l'univers mais aussi d'aborder une foule de personnages illustres et un grand nombre de notions fondamentales que chacun pourra approfondir selon ses envies.
Si l'on est un tant soit peu intéressé par l'astrophysique, la cosmologie et la science en général, ce livre, certes très condensé, constitue l'initiation idéale.
Pour forger une passion, il faut en général trouver la bonne manière d'intéresser, de présenter les choses. Cela ne se fait pas à coups d'équations et de calculs mais d'idées et de rêves. La plus grande qualité de ce livre, en plus de son aspect didactique, vient du fait qu'il se base sur le merveilleux de la science, sur ce qu'impliquent les avancées et les théories les plus époustouflantes.
Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'ouvrage démontre aussi que scientifiques et auteurs fonctionnent avec le même moteur, fait de songes, de fantastique et de pensées en dehors des normes.
Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis.
Edgar Poe
[1] Il est stupéfiant de constater à quel point philosophes et écrivains ont pu, au cours du temps, imaginer des concepts se révélant au final très proches de ce que la science admet aujourd'hui. Saint Augustin va ainsi écrire, vers l'an 400 de notre ère, que l'univers "n'est pas né dans le temps mais avec le temps", ce qui préfigure d'une manière étonnante la conception moderne de naissance de l'espace-temps.
[2] À l'époque, l'idée communément acceptée veut que la lumière atteigne instantanément n'importe quel point, ce qui suppose donc que sa vitesse soit infinie.
[3] Einstein, extrêmement réticent à l'idée d'un début de l'univers, finira par être convaincu par Gödel.
[4] Il s'agit bien entendu d'une origine relative à notre échelle et non absolue, celle-ci étant par nature acausale, donc sans "origine".
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