Virgin Dog Revolution


Tokyo. Une jeune fille, en retard pour aller en classe, se fait massacrer par un doberman géant. D’autres rues, d’autres carnages, toujours perpétrés par le même molosse. Panique en ville. Sur un plateau télé, une émission dont le thème tourne autour des animaux a lieu. Soudain débarque l’immense chien accompagné d’un homme à face canine, les cheveux coupés raz, complètement nu. L’étrange créature déborde de ressentiments envers l’humanité. Messager de la terreur, il s’introduit comme Sadao Inudô et il exhorte la faune, dans sa globalité, à massacrer les habitants de Tokyo et du Japon. Il en profite pour liquider les invitées, les intermittents sauf une jeune femme, la présentatrice, Yuri Honda. Son but : « éveiller les animaux pour qu’ils se vengent des humains ». Entre-temps, Yûji, ex-catcheur et connaissance de Yuri, découvre avec stupeur le discours d’Inudô qui lui rappelle l’un de ces anciens amis. Il décide de se rendre dans le gratte-ciel de la chaine de télé pour stopper le massacre.

Délaissant rapidement le propos écologiste, l’histoire se recentre sur un conflit autour d’un trio de personnages : Sadao Inudô est l’homme chien puceau révolutionnaire. Il essaye d’éradiquer ses comparses en manipulant les animaux. Yûji Nakao, l’ex-catcheur au cœur tendre, est déterminé à le sauver. Il croit reconnaitre son ami d’enfance en lui. Yuri Honda, journaliste présentatrice TV, est l’étoile montante de la chaine, elle connait Yûji depuis sa jeunesse. L’auteur ne s’attarde pas sur des détails inutiles et entre dans le vif du sujet.
La rancune envers Yûji et Yuri - cette dernière ayant refusé de devenir sa petite amie - motive les actes de l’homme chien. Sa rancœur est telle qu’il est resté puceau et a passé son temps à rejeter ses fautes sur les autres, sans jamais se remettre en question. S’il se métamorphose partiellement en toutou, c’est par mimétisme, pour en convoiter la puissance. Il oublie cependant le défaut majeur du mammifère : sa fidélité. Détail qui le perdra. Sadao Inudô apparait comme un être torturé plus humain qu’animal, malgré son grimage. Un individu qui n’a jamais su trouver sa place dans une société très codifiée ni comprendre le rejet dont il a été la victime. Ce personnage improbable, manquant de confiance en lui, assume très difficilement sa virginité face au culte de la performance. Dégouté, il pose un point de vue acerbe sur le monde mais cherche à trouver sa place parmi les siens.
Pour mener à bien sa vengeance, l’extinction des humains, il instrumentalise la faune. Soit il la manipule, sans que les êtres comprennent ce qu’ils subissent, soit il la dirige à la manière d’un dictateur, poussant ses compagnons de révolte à d’abord s’en prendre à lui à cause de sa loyauté envers les hommes. Le premier groupe d’animaux vit à proximité de ceux-ci, plus ou moins en symbiose ou en harmonie. Il obéit par hypnose aux ordres d’Inudô, en écho à ses souffrances. Le second - composé de mâles - les imite avec leurs postures, leurs vêtements et il acquiert les caractéristiques humaines et pas les meilleures : violence et instinct de domination. Mais au fond de leur cœur de bêtes, la tristesse, le regret d’avoir été sorti de leur condition et le désir de retrouver leur quiétude les rongent. L’existence des humains ne leur parait que comme complications relationnelles et souffrances.

Inudô fait le mauvais choix de devenir un chien, une espèce qui s’est laissé apprivoiser. Trop proche de l’humanité, il ne peut amorcer la révolution dont il rêve, celle qui rendrait la Terre à tous les êtres vivants. La créature à face canine reste vierge comme la majorité des bêtes de compagnie. Les animaux que les individus gardent auprès d’eux n’existent plus à l’état sauvage. L’analogie entre le chien et l’homme est présente : peu de liberté de mouvement, obéir à des ordres… Le manga met face à face la sagesse des bêtes indomptées, loin de tout aspect matérialiste face à la domesticité des congénères de compagnie. L’auteur propose un laïus sur l’asservissement par le biais des animaux et la destruction de la nature en général. Il montre aussi que les humains ne tolèrent pas ce qui sort de l’ordinaire, ce qui pourrait faire basculer leur monde qui poursuit sa course inexorable vers la destruction, au détriment de la nature. Inudô doit donc disparaitre pour éviter un bouleversement radical des mœurs. Finalement, si changement il doit y avoir, il ne viendra pas d’Inudô mais d’une autre génération.

La thématique du regret, lié à Yûji va beaucoup se modifier entre les deux tomes. Son regard sur son ami, l’homme-chien, va évoluer et lui permettre de se rapprocher de lui. L’auteur en profite pour désigner certains des travers de la société contemporaine : outre la difficulté à communiquer entre les êtres (humains et animaux), il critique la course à l’audience lors d’événements dramatiques, les émissions ridiculisant les invités, la mise en scène des actions brutales pointant le désintérêt du public lambda. Dans les rues, de larges écrans abreuvent les passants d’informations catastrophiques, mais à peine un souffle de panique se manifeste. Toute cette violence exposée, scénarisée, n’est en fait qu’un petit événement isolé à Tokyo. L’auteur ne montre pas si le reste du pays s’en préoccupe. Aucun autre média du globe n’est présent non plus. L’armée est décrite comme un corps obtus et non ouvert à la discussion. La grande majorité des animaux suivants de près Sadao est issue d’espèces en voie de disparition ou mises en danger : calao bicorne devenu gigantesque, nasique, koala…
Virgin Dog Revolution ne pouvait que mal se terminer pour ce pauvre Inudô : un chien est un chien et demeurera toujours dévoué à celui qu’il considère comme son ami, son maître. Les humains et les chiens ont ça en commun : la fidélité réciproque entre deux individus, autres que la relation amoureuse.
À la première lecture, on découvre que le premier tome de Virgin Dog Revolution se suffit à lui-même. Le second opus utilise une ligne directrice similaire à celle de la partie précédente - Inudô apparait pour faire sa révolution tout en massacrant la population avec sa faune - mais développe son propos dans une autre voie.
La construction de ces deux tomes se répond. Si le premier promet l’éveil des animaux, il s’agit surtout de la prise de conscience de Yûji envers Sadao, où comment un événement mal interprété peut précipité dans le désespoir un individu. Mais il choisit son amour plutôt que l’amitié. Le second, l’illumination, permet à Yûji de méditer sur ses actes et de tout faire pour sauver Sadao ou du moins, de lui montrer que la réalité s’interprète de différentes manières. Il cherche à se réconcilier avec Sadao, à le comprendre et à s’excuser pour le passé, ce qui aura d’importantes conséquences... Cependant, l’auteur ne livre pas toutes les clés : la provenance du chien géant, la force surhumaine d’Inudô…
Graphiquement, Shôsei Sasaki, au style semi-réaliste, propose des planches denses aux décors détaillés et immersifs et ancre le récit dans notre monde contemporain, avec un véritable sens des volumes. Le visage canin d’Inudô est une réussite de finesse. Le grotesque et le gore ponctuent l’ensemble et appuient le cynisme teinté d’humour noir : effusion de sang, expressions faciales exagérées au sein d’ambiances plus dures et douloureuses... tel le combat final du tome 1, climax dont l’issue est précipitée à l’aide d’une situation pitoyable. La seconde partie voit l’apparition d’un bestiaire humoristique, caricature de plusieurs travers humains.
Virgin Dog Revolution est un manga atypique à destination des ados et des adultes, proposé par les éditions Akata. Complet en deux volumes avec son pitch étonnant entre action et horreur, il entre dans leur collection WTF, au côté de l’excellent Lady boy VS Yakuzas. La version française s’avère de belle facture : un logo recherché, onomatopées traduites, bon choix des polices de caractère et des illustrations, couverture avec léger gaufrage, vernis sélectif. Ce manga comporte 17 chapitres élaborés entre 2011 et 2013 et fut publié dans Young Magazine de Kôdansha (Akira, Dragon Head, Prison School [1]...).

Virgin Dog Revolution est une courte bande dessinée à mi-chemin entre récit d’action violent, grotesque et drame humain. La touche d’érotisme ne dénote pas dans la continuité de l’histoire. Son graphisme attrayant, sa créature canine des plus intrigantes, ajoute de l’intérêt à ce manga dont l'accroche s’avère des plus improbables et frise le nanar. Bien que s’éloignant d’un fond écologiste sur la condition animale qui aurait mérité d’être développé, cette série se laisse lire d’une traite et propose, comme c’est la spécialité dans la BD nippone, de se concentrer sur les rapports humains. L’écoute, l’empathie, la volonté de comprendre, des choses simples qui pourtant pourraient sauver tellement de personnes désespérées. 

Virgin Dog Revolution,  Akata, 2 tomes, complet, 8,50€.


[1] Respectivement dans l'ordre : de Katsuhiro Otomo, Minetarō Mochizuki, Akira Hiramoto.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'homme-chien, un personnage original.
  • Deux livres épais.
  • Le travail d'adaptation.
  • Des idées bien tordues.
  • Un propos écologiste léger.