Monster

Le pauvre Kenneth (Kenny, pour les intimes) habite une grande demeure en pleine campagne anglaise. Il creuse un trou dans le jardin pour y enterrer son père, retrouvé mort à l’étage après une soirée à le battre, puis une nuit à délirer en appelant sa défunte femme. Ce dernier refusait depuis toujours que son fils aille voir ce qui faisait tant de bruit dans la pièce défendue du deuxième étage, soi-disant encombrée des affaires personnelles de son épouse. Désormais livré à lui-même, après avoir recouvert de terre le cadavre de son père, Kenny brave l’interdit et pénètre dans la pièce tant redoutée. Il y trouve au sein d’un capharnaüm un effrayant être difforme et nigaud, qui s’avère être son oncle du côté de sa mère. Une lettre écrite par cette dernière détaille l’origine de la laideur de son frère. Responsable de cet homme — qualifié de monstrueux tant par son physique que par son mental —, Kenny va tenter de l’aider, mais rien ne va se passer comme prévu, entraînant le garçon dans une spirale de fuites, de morts et d’incompréhension.

Cette intégrale de 200 pages éditée par Délirium se concentre sur une bande dessinée horrifique britannique qui fut publiée pour la première fois dans la revue Scream !, et qui se poursuivit dans Eagle, entre 1984 et 1985. Cette étonnante et addictive série, en noir et blanc, raconte le voyage mouvementé, à travers le Royaume-Uni puis l’Australie, d’un adolescent de 12 ans débrouillard et de son oncle naïf à la force colossale. Ils découvrent notamment des contrées où les habitants vilipendent la différence. L’ambiance s'avère sombre, oppressante et poisseuse. La fatalité s’est écrasée sur le jeune garçon... et la question en suspens : va-t-il s’en sortir ?

Le concept de Monster fut mis en place par le scénariste Alan Moore [1], qui s’occupa du premier épisode, avec, aux dessins, Heinzl. Les épisodes suivants sont assurés par un certain Rick Clarke, pseudo cachant le duo Alan Grant [2] et John Wagner [3]. La partie graphique est prise en charge par Jesus Redondo. Les planches apparaissent parfois un peu bouchées, charbonneuses ; le matériel de base ne doit plus exister ou si peu ! La présence d’un encart publicitaire en bas de l’une d’entre elles participe au charme désuet, mais surtout indique que des pages de la revue ont servi de support à cette édition. Hormis cela, l’encrage maîtrisé avec ces aplats de noirs et le contraste dans les représentations des protagonistes apporte à l’angoisse palpable. Les éléments naturels (bois, rochers, vagues...) sont eux aussi tracés de manière tourmentée.

Monster s’apparente aux comics d’horreur américains tels que les parutions de Warren Publishing, Eerie et Creepy : titrage, cases déstructurées, planches denses, noir et blanc contrasté... Du fait de sa publication par courts épisodes de 4/5 pages, le récit possède un suspense intense, au rythme enlevé et chargé en informations. Une combinaison attractive de relations familiales tendues, vengeance, fuite, entraide, handicap, acceptation, pardon... les rebondissements s’enchainent, malgré quelques incohérences.
Le livre se clôt par trois nouvelles à l’intérêt plus que relatif, mais qui ravira les plus exigeants.

Monster fait partie de ces œuvres patrimoniales, peu connues sous nos latitudes, mais qui démontrent que les anglais se défendent aussi en bandes dessinées. Cet album rejoint ainsi Judge Dredd, Slaine, Charley’s War, l’anthologie Misty...
Une histoire prenante, touchante et divertissante qui plaira aux amateurs de thriller horrifique.


[1] Est-il encore besoin de le présenter ? Alan Moore est l'auteur entre autres de V pour Vendetta, Watchmen, Top 10, From Hell...
[2] Alan Grant a scénarisé La Balade de Lobo, Judge Dredd, Mazeworld...
[3] John Wagner a scénarisé L’Exécuteur, Judge Dredd, History of violence...


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit prenant et angoissant
  • Une intégrale de qualité
  • Un graphisme efficace malgré son âge
  • Rapport qualité/prix
  • Un seul épisode par Alan Moore
  • Les nouvelles à l’intérêt relatif