Oscars 2018 : les meilleurs films ?

La 90ème cérémonie des Oscars s'est déroulée le 4 mars 2018. L'on pourrait débattre des heures de l'intérêt de ces récompenses du septième art mais force est de constater qu'elles forment un indicateur culturel et cinéphile relativement pertinent. Cette année, six longs-métrages ont reçu plusieurs récompenses dont l'excellent Blade Runner 2049 (meilleurs photographie et meilleurs effets visuels) et Coco (meilleur film d'animation et meilleure chanson originale). Nous allons revenir sur les neuf longs-métrages qui ont été nommés dans la catégorie meilleur film. Parmi eux, quatre ont aussi bénéficié de multiples récompenses (La Forme de l'eau, Dunkerque, Les Heures Sombres et Three Billboards).

Les neuf films présentés sont encore diffusés au cinéma, ce qui suit vous permettra de vous faire une idée avant peut-être d'aller vérifier par vous-même !


Lion d'or à la Mostra de Venise en 2017, puis Golden Globes du meilleur réalisateur et de la meilleure musique début 2018 et désormais Oscars du meilleur film, du meilleur réalisateur, des meilleurs décors et de la meilleure musique ! Le dixième film du metteur en scène Guillermo del Toro croule sous les récompenses et est nominé un peu partout dans toutes les catégories. Tous ces éloges et ces prix sont-ils mérités ? Oui et non. S'il est évident que le savoir-faire technique du réalisateur (à qui l'on doit, entre autres, le superbe Le Labyrinthe de Pan et les deux volets de Hellboy) sert à merveille l'esthétisme de La Forme de l'eau, on ne peut que déplorer les similitudes avec le cinéma du français Jean-Pierre Jeunet. Ce dernier a d'ailleurs accusé son homologue mexicain de plagiat. Mais cet univers de conte désenchanté séduit tout de même grâce à sa musique, à ses très justes interprétations et, surtout, à son originalité : une histoire d'amour entre une créature amphibienne et une femme muette, le tout sous fond de guerre froide. Problème majeur : impossible d'être véritablement touché et ému par cette romance, assez « froide » in fine. Guillermo del Toro ne plonge jamais assez en profondeur dans la relation si particulière entre ces deux êtres, privilégiant son intrigue militaire prévisible au possible et n'apportant pas l'équilibre nécessaire pour susciter un réel chamboulement chez le spectateur. On reste donc dubitatif face à cette déferlante de prix. Certains sont mérités bien sûr mais de là à le hisser en meilleur film de l'année, c'est incompréhensible.


Meilleur montage, meilleur design de son et meilleur mixage de son sont les trois Oscars remportés pour le dixième long-métrage de Christopher Nolan. Trois prix techniques très justement mérités puisque le film se déroule sur trois chronologies différentes et bénéficie d'une bande-son extrêmement soignée. Malheureusement pour le réalisateur britannique, cinq récompenses lui ont échappé dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur (tous deux revenant donc à La Forme de l'eau). On avait déjà parlé de Dunkerque dans ce Digest, on continue de penser le plus grand bien de cette version historique de l'évacuation des soldats britanniques des plages de Dunkerque, en pleine Seconde Guerre mondiale, malgré des choix de mise en scène parfois curieux : ce fameux montage non-linéraire qui n'était pas forcément utile, un manque de contexte au début, etc. Nolan a réalisé de biens meilleurs films (The Dark Knight, Interstellar, Inception et Memento par exemple) mais si Dunkerque n'est pas son chef-d'œuvre ultime, il mérite assurément d'être vu tant par son audace visuelle pour un film de guerre (qui est en fait un film de survie) que par son incroyable tension. En résulte un rythme effréné et une immersion totale dans l'opération Dynamo selon de multiples points de vue (soldats, pilotes, civils, marins…).


Les Heures Sombres est un biopic sur Winston Churchill se déroulant lors de sa prise de fonction de Premier ministre du Royaume-Uni en mai 1940, donc en pleine Seconde Guerre mondiale (le film peut d'ailleurs être vu comme un très bon complément de Dunkerque, ce dernier pouvant même s'insérer aux deux tiers du long-métrage puisque l'opération Dynamo y est « aperçue » depuis Londres). Sans surprise, Gary Oldman a reçu l'Oscar du meilleur acteur pour sa performance relativement incroyable. L'artiste est d'ailleurs méconnaissable, ce qui a valu à ce film de Joe Wright (Orgueil et Préjugés, Anna Karénine…) l'Oscar des meilleurs maquillages et coiffures, là aussi mérité. Les Heures Sombres est très intéressant, indispensable pour son aspect informatif, qui plus est bénéficiant d'une photographie très soignée (aussi bien dans les cadrages que les lumières) et porté par un talentueux acteur. Son seul défaut serait peut-être d'être également un film qui… ne se « revoit pas ». Il n'y a pas des masses d'intérêt à visionner à nouveau ce biopic. Par ailleurs, s'il est d'une fidélité extrême à l'Histoire, on n'est pas touché plus que ça par le personnage. Ce n'est certes pas forcément le but initial mais ça aurait permis de le défendre davantage. Un bon film donc, mais auquel il manque quelques ingrédients pour en faire un chef-d'œuvre intemporel à voir et à revoir (ce qui est le cas de quasiment tous les biopics, malheureusement).


Restons justement dans les biopics avec Pentagon Papers, de Steven Spielberg. Là aussi le film est très réussi sur de multiples aspects (il n'a gagné aucun Oscar) mais ne mérite pas d'être vu plusieurs fois (hélas, c'est ce qui est un gage d'une certaine qualité d'un film tout de même). Véritable ode à la liberté de la presse et au féminisme, The Post (son titre original) met en lumière une énorme enquête sur l'implication politique et militaire des États-Unis dans la guerre du Vietnam (sur des éléments tenus secrets évidemment). Si Tom Hanks surprend et est appréciable dans son rôle de rédacteur en chef de The Washington Post, Meryl Streep s'auto-caricature un peu en directrice du journal devant décider la publication ou non desdits Pentagon Papers… Elle est convaincante mais pas de quoi non plus la récompenser (elle était d'ailleurs nommée meilleure actrice pour ce rôle). Pentagon Papers détonne aussi par son prisme particulier, le journal n'était pas le premier sur l'affaire (le New York Times l'était), il n'avait pas forcément à en tirer une certaine gloire. Reste un vibrant hommage de l'âge d'or de la presse qui séduira forcément les amateurs du sujet.




Frances McDormand a reçu l'Oscar de la meilleure actrice pour Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance. Une statuette plutôt méritée pour l'interprétation d'une mère de famille endeuillée par la mort de sa fille (violée et tuée par un inconnu qui court toujours) mais surtout scandalisée par l'inefficacité de la police locale (l'action se déroule dans le Missouri,  dans une petite ville typique des États-Unis). Elle décide de louer trois panneaux publicitaires pour alerter l'opinion publique et pointer du doigt le chef de la police (Woody Harrelson). S'ensuit un étrange drame parfois comique, parfois tragique, très proche du cinéma des frères Coen (Fargo, No Country for Old Men…). Ce quatrième film de Martin McDonagh (Bons baisers de Bruges) est excellent en tout point. Intense dans certaines scènes, surréaliste voire absurde dans d'autres. Sam Rockwell a décroché l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, paradoxalement plus mérité que celui de McDormand. Non pas que l'actrice joue mal, bien au contraire, mais plutôt que son rôle ne génère pas forcément une certaine empathie. Toujours sanguine et vulgaire, agissant parfois stupidement, on peine à s'attacher à elle… et en même temps, il est tellement difficile de savoir comment réagirait quelqu'un à sa place. Le film multiplie les genres (thriller, drame, comédie noire…) avec brio malgré les risques que cela comporte. L'inconvénient est que cela peut perdre les spectateurs, l'avantage est que cela peut être particulièrement original si l'ensemble est bien équilibré — c'est le cas ici, c'est donc une réussite.


On avait justement évoqué le délicat exercice du mélange des genres dans un billet d'humeur l'an dernier qui avait été initié grâce (ou plutôt à cause) du film Get Out. Une petite critique négative avait aussi été publiée dans ce Digest. Ce premier film de Jordan Peele a remporté l'Oscar du meilleur scénario original. On a un peu de mal à comprendre pourquoi quand Three Billboards et La Forme de l'eau sont nommés également… Attention, Get Out n'est pas si commun et convenu que cela, mais il reste globalement prévisible en étant sympathique et réussi d'un point de vue mise en scène et direction d'acteurs. Ni bon ni mauvais, à mi-chemin entre la série B et le film indépendant, le long-métrage ne réussit pas, lui, ce fameux équilibre des genres. La hype autour reste un mystère complet. On reconnaît volontiers quelques qualités, dont son originalité (qui ne méritait pas une statuette) mais de là à s'extasier autant, c'est (là aussi) incompréhensible.

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Retournons au biopic, genre très prisé par l'Académie des Oscars (dont la majorité des votants est constituée d'hommes âgés) avec Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Ce dernier est atypique dans le milieu, capable du pire (The Master, Inherent Vice) comme du meilleur (Magnolia, There Will Be Blood). Ici, on est clairement dans ce que le réalisateur fait de mieux. Pour son huitième film, il met en scène Daniel Day-Lewis dans le dernier rôle de sa carrière : celui du couturier Reynolds Woodcock, dans le Londres des années 50. Un créateur, hyper-maniaque, de robes exceptionnelles ; celles-ci ne sont pas « spécialement » mises en avant à l'écran mais le film a tout de même remporté l'Oscar des meilleurs costumes (peu étonnant). Phantom Thread s'attarde sur la relation que noue Woodcock avec une serveuse (Vicky Krieps), à l'opposé du monde dans lequel il évolue. Les débuts sont plutôt convenus pour un film de ce genre mais le magnétique Day-Lewis, impressionnant comme toujours, et l'évolution de la relation entre les êtres aimés en font un chef-d'œuvre romanesque. Pas forcément émouvant mais très touchant avec un couple fascinant d’ambiguïté.
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Difficile aussi de ne pas être touché par la rayonnante actrice Saoirse Ronan (qui fêtera ses 24 ans en avril prochain) dans son rôle de « Lady Bird » dans le film du même nom. Comédie douce-amère sur l'adolescence et tout ce qui va avec : premiers émois amoureux, relations sexuelles, conflits mère-fille, etc. Lady Bird surprend pas son rythme (aucun temps mort) et sa bande originale (envoûtante). Si l'ensemble du film a un air de « déjà-vu » mais reste extrêmement plaisant, on a du mal — une fois de plus ! — à comprendre cette nomination. Ce premier long-métrage (mi-autobiographique) en solo de la comédienne Greta Gerwig n'a d'ailleurs remporté aucune statuette malgré ses cinq nominations. Reste un agréable film, générant plusieurs sourires et, peut-être, quelques larmes.





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Des larmes, il n'y a qu'un seul film de cette sélection qui en aura fait couler : l'excellent Call Me by Your Name. Proche aussi de la thématique du passage à l'âge adulte mais avec une toute autre approche que Lady Bird. Le film part d'un pitch à priori banal : la romance entre un adolescent en pleine découverte de sa sexualité avec un étudiant américain venu passer l'été chez ses parents, en Italie, en 1983. Adaptation du livre éponyme, le long-métrage met beaucoup de temps avant de fasciner et toucher son spectateur. En cause : deux rôles principaux particulièrement peu empathiques. Mais tout ceci change lorsque les carapaces se fendent, les acteurs Armie Hammer et Timothée Chalamet parviennent à créer une alchimie incroyable. C'est peut-être la première fois, aussi, qu'une histoire d'amour homosexuelle n'est pas représentée uniquement en tant que telle. Bien sûr, l'émotion viendra de la justesse des mots, des regards, des actes de cette relation amoureuse « éphémère », mais le point culminant surviendra lors d'une scène incroyablement bien écrite et remarquablement interprétée entre le père (épatant Michael Stuhlbarg) et son fils. Rares sont les films qui procurent de telles sensations et voilà pourquoi Call Me by Your Name méritait l'Oscar du meilleur film.

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En conclusion, voici notre « Top » des neuf films de cette nomination. Bien sûr tous les longs-métrages évoqués restent globalement excellents mais certains — comme nous l'avons vu — ne méritaient pas forcément d'être récompensés, voire nommés.

1. Call Me by Your Name
2. Dunkerque
3. Phantom Thread
4. Three Billboards
5. Les Heures Sombres
6. Lady Bird
7. Pentagon Papers
8. La Forme de l'eau
9. Get Out