En 2009, Milady sortait Le Dernier des Templiers. Retour sur cette excellente série d'heroic fantasy mettant en scène de petits animaux.
Karic rêve en songeant aux légendes anciennes, des histoires d'un autre temps où les templiers étaient encore unis et assuraient paix et justice. Malheureusement pour la petite souris, ce temps est révolu. Un traître est sur le trône et la perfidie règne partout, la souricité menaçant de s'écrouler sous les intrigues et les mensonges.
Bientôt, Valcriquet, le petit village de Karic, est attaqué par une horde de rats. Son frère Leito est grièvement blessé, sa mère et sa sœur sont enlevées, même maître Deishun, l'ancien templier en exil, est tombé pendant l'assaut. Pour Karic, désespéré, il faut à tout prix se raccrocher à quelque chose, à un mince filet d'espoir, aussi ténu soit-il. Il va alors suivre Pilote, un être mystérieux qui fera de Karic son écuyer.
En plus des innombrables dangers que les deux souris rencontreront sur leur route, elles devront également démêler le vrai du faux, faire face aux complots des Liseurs de Blé ou à ceux des Prêtres-Druides. Car partout, l'ambition et la course au pouvoir ont corrompu les êtres. Et dans cette terre de ténèbres et d'oppression, bien peu vouent encore un culte à l'idéal des templiers. Mais sous l'œil de Wotan, tout peut s'accomplir et la plus frêle des créatures devenir un héros de légende...
Si Milady Graphics, le label BD des éditions Bragelonne, a trop rapidement disparu du marché, l'éditeur a pendant un temps accumulé les publications de qualité, Locke & Key en tête, tout en fournissant un travail exceptionnel (certains titres, comme Grandville, bénéficiant de bonus fort intéressants, développés exclusivement pour la version française).
Parmi le catalogue Milady figurait également The Mice Templar, une série étonnamment novatrice sur laquelle nous revenons longuement aujourd'hui. Brian J.L. Glass en signe le scénario et Michael Avon Oeming (qui officiait sur Powers) les dessins, l'idée originelle revenant toutefois à ce dernier.
Dans un premier temps, rien de bien nouveau en apparence : un âge sombre, un élu, un ordre secret, un roi illégitime, autant d'ingrédients déjà bien connus. L'originalité du traitement de cette histoire tient essentiellement dans l'utilisation d'animaux anthropomorphiques. Ainsi, là où d'habitude l'on voyait - parfois avec ennui - les traditionnels elfes, trolls et autres dragons, les auteurs mettent ici en scène des souris, des fouines ou des hiboux. Le procédé, aussi enfantin qu'il puisse paraître, n'empêche pourtant pas la maturité du propos et la dureté de certaines scènes. Car dans Mice Templar, on pleure, on saigne et on meurt pour de bon.
Ce côté réaliste provient également, en partie, de l'ambiance graphique. Oeming emploie ici le style simple et efficace qu'on lui connaît, avec des jeux d'ombres, de contrastes ou des effets de transparence. Il parvient à rendre des visages de souris relativement stylisés parfaitement émouvants. En quelques coups de crayon, il dégage l'essentiel d'une scène ou d'un personnage et la magie opère, charmant le lecteur et insufflant de la vie dans les yeux de ces petites bestioles aux grandes oreilles. De plus, repoussant le cadre trop étroit de la simple ou double planche, Oeming se fait un petit plaisir avec une très belle scène dessinée sur... une quadruple planche (qui se déplie en fait). Pas courant et ça fait toujours son petit effet.
La crédibilité de cet univers tient aussi à la richesse du background, chaque race animale faisant partie d'un tout complexe où se mêlent religion, politique et culture. Certains prédateurs naturels, comme les grenouilles, sont ainsi représentés comme des divinités étranges et maléfiques. Les animaux doués de raison ne sont pas non plus séparés de manière manichéenne et bien des souris sont ouvertement ou non dans le camp du "Mal". Il faut également noter la subtilité avec laquelle le scénariste mélange croyances et machinations politiques, tout le monde se servant de tout le monde et œuvrant, en secret, pour atteindre des buts plus ou moins nobles.
Au final, alors que l'on pourrait se trouver devant une énième déclinaison de l'œuvre de Tolkien, Oeming et Glass s'offrent le luxe d'être à la fois originaux, profonds et touchants. Des qualités qui permettent d'emmener cette série sur des sentiers pas si battus que ça. Ou en tout cas, pas avec autant d'aisance dans la démarche.
Passons à la réalisation technique qui mérite, à elle seule, bien des louanges. Beau papier glacé, une traduction de qualité, mais ce sont essentiellement les bonus et petits à-côtés qui sont remarquables. On commence par une longue préface (pas chiante) de Bill Willingham (Fables). Nous avons droit également à une belle galerie d'illustrations. Du classique donc pour l'instant, mais ça ne s'arrête pas là. On continue avec une postface des auteurs, une chronologie très détaillée des évènements marquants du monde de Mice Templar (qui mélange mythes liés à la création du monde et faits historiques), une carte du monde où se déroulent les évènements, une étude plutôt longue sur les thèmes de la série comparés aux mythes connus (ça va de la légende arthurienne à Star Wars en passant par la mythologie nordique ou de vieilles légendes irlandaises) et l'on termine par un topo sur toute l'équipe créative, coloriste, lettreur et divers autres intervenant compris.
Milady a même poussé la perfection à l'époque jusqu'à offrir une checklist de toutes les œuvres d'Oeming et Glass.
Bref, un travail exemplaire dont certains vendeurs d'autocollants pourraient bien s'inspirer, histoire de voir au moins une fois dans leur vie à quoi ressemble un vrai boulot d'éditeur.
Une série magnifique qui revisite et transcende des codes pourtant connus.
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