Salut les Matous ! L'on se penche aujourd'hui sur un album de Spirou à la destinée bien singulière.
Miaw !
L'Album Maudit
Nous sommes en 1982. Une nouvelle aventure de Spirou est prépubliée dans un supplément du Journal de Spirou. Yves Chaland, qui en signe scénario et dessins, rend un hommage appuyé à Jijé en employant un style graphique très rétro.
L'auteur signe des strips d'une demi-page qui reprennent le principe de l'aventure feuilletonnante. Chaque semaine, les lecteurs peuvent donc suivre une histoire qui commence par la livraison, chez Spirou, d'un étrange robot et se poursuit par la quête d'un majordome disparu.
Tout cela pourrait donner lieu à un album très classique si la parution n'était pas subitement interrompue. Plusieurs équipes artistiques travaillent alors sur Spirou et Fantasio. Dupuis, qui possède les droits des personnages, décide de ne pas donner suite aux travaux de Chaland. Celui-ci se voit interdit de donner une fin à son récit et son hommage s'arrête donc là. Pour le moment...
En 1984, l'histoire inachevée est publiée dans un album pirate intitulé À la recherche de Bocongo. Le tout est présenté dans un format à l'italienne qui convient bien aux strips originaux. L'album, en plus d'être totalement illégal, a finalement assez peu d'intérêt étant donné que les planches avaient déjà été publiées et qu'il ne contient toujours pas de conclusion.
Nouveau rebondissement en 1990 quand une maison d'édition belge, Champaka, obtient le droit de publier le travail de Chaland tel quel, sans possibilité de présenter cela comme une aventure de Spirou et Fantasio.
L'éditeur va cependant trouver une astuce pour donner une fin digne de ce nom au récit de Chaland. Cœurs d'acier - titre donné à cet album - comprendra en effet deux tomes. Le premier, reprenant les strips originaux, et un second qui raconte la fin sans pour autant se mettre dans l'illégalité.
Le deuxième tome contient en fait des textes de Yann Lepennetier [1], illustrés par Chaland. Les noms de Spirou et Fantasio ne sont jamais mentionnés (et remplacés par des sobriquets, tel que "rouquin"). Et quand ceux-ci apparaissent sous une forme dessinée, ils portent... des cagoules !
Cela pourrait tourner au pastiche ou à la farce si, d'une part, l'on ne sentait pas derrière tout cela une blessure sincère de l'artiste et, surtout d'autre part, si le récit ne prenait pas un virage sombre voire dramatique.
Spirou va en effet devoir faire le deuil de Spip, tué par des sauvages ; un trafiquant de drogue finit par errer sans fin en quête d'une rédemption qu'il ne trouvera probablement jamais ; le fameux majordome cité plus haut n'est pas retrouvé en très bon état et l'on verra même un robot, ivre de tristesse, se mettre à péter les plombs...
Inattendu, non ? Voilà en tout cas une histoire qui mérite largement d'être lue, nom d'un chat !
[1] Connu aussi sous les pseudos de Yann ou Balac, il collabore également au Journal de Spirou dans lequel il publie, avec Conrad, Les Innommables, une série mature et cynique qui lui vaudra quelques problèmes avec la censure interne du journal. Il est également connu pour sa série parodique Bob Marone, qui fait des héros de Henri Vernes un couple d'homosexuels (ce qui lui vaudra une réaction outrée de Dupuis et, pendant un temps, de nouveaux problèmes de publication).