Grandville



Faisons un peu connaissance avec l'inspecteur LeBrock de Scotland Yard, personnage principal de Grandville.

Lorsqu'un diplomate anglais est retrouvé chez lui, une balle dans la tête, tout le monde pense bien entendu à un suicide. Sauf LeBrock qui repère immédiatement des détails évoquant plutôt un assassinat.
Pour mener leur enquête, l'inspecteur et son assistant vont devoir partir pour Grandville, capitale des merdes de chien et, accessoirement, de l'empire de France, dirigé par Napoléon XII. Bientôt, une piste parsemée de cadavres les mène sur les traces d'un groupe de dangereux conspirateurs qui pourraient bien déclencher une guerre contre la petite république socialiste de Grande-Bretagne, fraîchement indépendante.
Pour faire éclater la vérité, LeBrock devra affronter le fort sentiment anti-anglais mais aussi la police secrète de l'Empereur. Il devra également employer des méthodes radicales, mais après tout, l'avenir de deux nations est en jeu...

Si vous ne connaissez pas Bryan Talbot, brillant scénariste et dessinateur anglais, il est temps de combler cette lacune. Nous avions déjà évoqué l'auteur à propos de Luther Arkwright, œuvre dans laquelle il faisait preuve d'une maîtrise et d'un talent hors du commun. Cette nouvelle uchronie a la particularité d'utiliser des animaux comme personnages. L'inspecteur est un blaireau, le grand Napoléon un lion, etc.

L'univers décrit est particulièrement original puisque l'on plonge dans une Europe qui est restée à l'ère des machines à vapeur et qui est dominée par la France, seule superpuissance continentale. C'est l'occasion de découvrir un tas de véhicules ou d'objets au charme certain, du fiacre à vapeur à l'acoustitube remplaçant notre téléphone moderne. Outre ce décor steampunk, Talbot parsème son récit de nombreuses références, souvent liées à la culture française. L'on pourra ainsi rencontrer des figurants célèbres, comme Bécassine, Spirou et même ce pauvre Milou, devenu un paumé accro à l'opium et rêvant ses aventures passées ou imaginaires.
Les clins d'œil ne s'adressent pas uniquement aux fans de bande dessinée puisque l'on reconnaîtra également des pastiches de tableaux de Manet ou David. Enfin, l'auteur semble aussi connaître la politique française puisque le premier ministre de l'empire, un nationaliste convaincu, se nomme... Jean-Marie Lapin.


Comme toujours avec Talbot, tout est pensé, soigné, minutieusement mis en place. Les planches sont superbes et le récit, une histoire de complot somme toute classique, nous entraîne dans un univers bien plus dur qu'on n'aurait pu le penser.
Reste l'édition française, sortie en 2010 chez Milady, et là encore le résultat est impressionnant de professionnalisme et de sérieux. Grand format, hardcover, papier glacé, pour une quinzaine d'euros, c'est déjà plus que correct. Mais l'éditeur ne s'est pas contenté de cela et a demandé une longue postface à Talbot, en exclusivité pour la version française ! En tout, 22 pages supplémentaires, avec illustrations et commentaires. L'artiste nous explique certaines phases de son travail, il revient sur des références ayant pu nous échapper et nous dévoile même la première planche du tome #2 de Grandville.

Et justement, la suite (publiée en 2011) est tout aussi bonne.
À Londres, juste avant qu'il ne soit exécuté, Mastock parvient à s'échapper. Le criminel s'est illustré en assassinant de nombreuses prostituées mais aussi par son sadisme et ses exactions pendant l'occupation française.
Lorsque l'inspecteur LeBrock, qui se remet difficilement de la disparation de Sarah, apprend que celui qu'il avait naguère arrêté a franchi la Manche pour se réfugier à Grandville, il embarque pour la capitale française, accompagné de son ami Ratzi.
La traque officieuse peut commencer, car bien entendu, LeBrock n'a nullement l'aval des autorités de Scotland Yard et encore moins celui de la police française.
Après une longue enquête et de nouveaux meurtres, l'inspecteur va découvrir un secret d'état qui le mènera sur les traces des anciens résistants et même sur celles de son propre père.
Pour LeBrock comme pour tous, la vérité a malheureusement un coût. Celui de l'innocence.


Comme dans le premier opus, Talbot part d'une enquête banale pour ensuite dévoiler un peu le passé politique d'une Grande-Bretagne restée longtemps sous domination française avant de devenir une république socialiste qui a sa part de corruption et de secrets honteux. En partant ainsi de la vie (ou de la mort plutôt dans ce cas !) de quelques individus, LeBrock influe encore une fois sur l'avenir de son pays et des relations anglo-françaises. Sa vie privée n'est pas en reste puisque Talbot va également développer les failles et obsessions du héros, à travers la douloureuse disparition de Sarah ou la fin tragique du père de LeBrock. Une manière également de parler, presque avec pudeur, de l'épineux sujet des crimes de guerre et de distiller l'idée, difficilement admissible mais juste, que deux camps opposés peuvent abriter autant de gens respectables que de salauds. Et sans doute autant de noblesse que de mensonges.

Les dessins sont souvent d'une grande beauté et l'on regrette presque qu'il n'y ait pas plus de pleines pages tant Talbot fournit un travail d'une qualité extraordinaire. Les petits clins d'œil, aux personnages de BD bien connus ou à la culture française, sont moins nombreux que dans le premier tome, même si l'on pourra par exemple constater la présence d'un illustre canard (revisité, tendance crados, par l'auteur) ou de l'icône, dans le décor, d'un célèbre... fromage à tartiner.
Les inventions et l'aspect technique de l'univers sont également moins présents et l'on devra se contenter de quelques armes exotiques, des traditionnels dirigeables ou d'une étrange pelleteuse à vapeur découverte au détour d'un cimetière.
Niveau bonus, moins de choses également. Simplement deux pages en fait, montrant les différentes étapes du travail, du crayonné à la colorisation, en passant par l'encrage. On est loin des 22 pages supplémentaires du premier livre.
La même chose donc, avec un peu moins d'idées et de contenu, ce qui ne nuit toutefois pas à la qualité de cette suite, au graphisme léché et au récit habilement construit.

Du polar à vapeur avec des bestioles finalement très humaines.
Une série magnifique, une édition particulièrement soignée et l'incomparable style de Talbot.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le côté steampunk.
  • Le style Talbot.
  • Une uchronie originale.
  • L'utilisation des animaux.
  • Les bonus exclusifs de l'édition française.

  • Une colorisation parfois un peu criarde et manquant de subtilité.