Le Secret du Treizième Apôtre




Le Secret du Treizième Apôtrechacun de ces mots est un programme en soi.
Y a-t-il eu plus que 12 apôtres autour du Christ ? Et cet homme, ce Jésus divinisé justement par la bonne parole de ceux qui ont partagé son dernier repas, est-il véritablement ressuscité ? Et si, comme bien souvent dans la longue histoire des civilisations, la Vérité n’était pas celle qui a été rédigée ultérieurement ? Les Évangiles, formidables instruments de propagande au sein d’un Empire romain fragilisé, ne seraient-ils alors qu’une sélection calculée, stratégiquement pensée, de moments réinterprétés de la vie d’un homme sans doute exceptionnel, mais pas forcément divin ? De quoi non seulement questionner la Foi des Chrétiens (mais également certains éléments fondamentaux des religions cousines, juive et musulmane) mais interroger également les fondements sociaux et culturels de notre civilisation.

Le sujet est, sinon passionnant, du moins fortement intriguant car touchant aux valeurs les plus anciennes de notre monde occidental. Le fait est que Michel Benoît connaît son boulot (il n'en est pas à sa première incursion dans ce domaine sensible) et s'appuie sur de solides arguments souvent étayés par l'Histoire, axant son tour de force sur une toile de fond unissant dans un même dessein la Passion du Christ, la création de l'Islam et la fortune des Templiers.
Ses personnages, des moines érudits interrogeant les faits historiques au travers de documents et de témoignages, sont autant de détectives temporels qui iront jusqu'à questionner leur propre conviction et les croyances profondes à l’origine même de leur vocation. Évidemment, la Quête de cette Vérité que de nombreuses puissances tenteront sinon d'arrêter, du moins de détourner à leurs propres fins, constituera un accomplissement en soi et leur apportera l'Illumination... ou le Châtiment.

Construit sur ses trois quarts par un chassé-croisé entre les événements actuels (de retour d'un voyage à Rome, un moine se fait défenestrer d'un train ; un de ses condisciples décide de continuer les travaux qu'il avait entrepris concernant l'étude de l'Évangile de Jean et l'identité de celui qui avait hébergé le dernier repas du Christ) et une sélection d'instants passés, rédigés comme s'ils étaient perceptibles dans certains documents comme la Bible ou les Manuscrits de la mer Morte (la trahison de Judas, le choix par Pierre de la divinisation de Jésus, la mise en scène de la prétendue résurrection, l'organisation de la première Église, la fuite des dissidents, la conquête de Jérusalem par Titus, l'Hégire de Mahomet, le procès des Templiers...).
Le roman parvient à capter l'attention par la manière habile dont certaines hypothèses réussissent à se justifier mutuellement. Malheureusement, le style haché, le découpage un peu trop artificiel et des personnages presque caricaturaux nuisent au plaisir qu'on pourrait prendre dans cette enquête eschatologique percluse de redondances. 


Le passionné sera interpellé et complétera comme il le pourra les blancs plus ou moins volontairement laissés par l’auteur, naviguant entre l’Histoire proprement dite, les hypothèses communément admises sur la naissance du christianisme et les ouvrages qu’il aura lus çà et là, de Gérard de Sède à Dan Brown en passant par Steve Berry, qui mettaient en lumière certains doutes ténébreux, certaines zones d’ombre ayant conduit à l’avènement de Jésus-Christ, à la naissance de l’Islam ou à la montée en puissance des Templiers.

Dans un contexte géopolitique rappelant Anges & Démons (l’essentiel de l’intrigue se situant à Rome, autour du Vatican, avec des cardinaux assoiffés de pouvoir agissant dans le secret de leur congrégation et ne dédaignant, malgré leurs vœux, ni la bonne chère ni le péché de chair), ce roman suivant pas à pas les progrès du Père Nil dans sa quête d’une preuve éventuelle de l’existence de ce mystérieux apôtre supplémentaire, soi-disant "bien-aimé de Jésus" mais éradiqué de la mémoire humaine, saura pour le moins proposer des enjeux élevés et entretiendra un certain suspense quant à la survie de nos investigateurs spirituels, surveillés, traqués sans qu’ils en aient conscience par des représentants du Mossad et du Fatah, qui ont su étrangement s’associer contre un possible ennemi commun.


Nettement moins abscons qu’un Pendule de Foucault, ce roman a le mérite de susciter l’envie d’en savoir davantage, et de voir d’un tout autre œil la structure de pensée et l’architecture de notre civilisation judéo-chrétienne.
Notons qu'il existe une version de poche et une version audio (disponible chez Audible).



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un sujet passionnant, qu'on ait ou pas la fibre religieuse.
  • Une mise en lumière de certains éléments clefs de notre Histoire, accompagnée d'une mise en relation entre des événements qu'on croyait sans lien entre eux.
  • Une habile réinterprétation de certaines sources.
  • Un voyage plaisant dans ce passé mystérieux.
  • Une édition propre et sérieuse (Albin Michel, 2006), comportant très peu de coquilles en dehors de ponctuations manquantes.

  • Des personnages grossièrement dépeints, aux motivations équivoques.
  • On n'est pas loin de la caricature pour certains dirigeants de l'ombre, du prélat obsédé sexuel au cardinal nazi.
  • Un style hésitant, souvent flou, avec des sentences abruptes et un découpage étrange.
  • Aucune bibliographie citée hormis les autres ouvrages de l'auteur.