Retour sur l'excellente mini-série The Vision.
Vision est un synthézoïde. Pas tout à fait un homme mais bien plus qu'une machine. Membre émérite des Avengers, il a également entretenu une relation amoureuse (plutôt mouvementée) avec la Sorcière Rouge. Après avoir purgé son système des émotions qui étaient associées à ses souvenirs, Vision se lance dans une quête bien particulière. Afin de retrouver son "humanité", il va tenter de vivre comme monsieur et madame tout le monde.
Pour ce faire, il emménage dans une petite maison d'une banlieue tranquille, à Arlington. Il est accompagné de sa nouvelle compagne, Virginia, et de ses deux enfants, Viv et Vin. Tous sont des synthézoïdes, tout comme lui. Tous ont beaucoup à apprendre. Malheureusement, il est rare que l'on apprenne sans commettre d'erreurs. Les leurs seront dramatiques...
Ce récit (que l'on vous avait conseillé à l'époque, cf. ce Digest) écrit par Tom King, et publié en français dans deux 100% Marvel par Panini (en 2016 et 2017), fait partie de ces pépites inattendues qui vous redonnent foi dans les comics mainstream, surtout après s'être tapé des events parfois soporifiques et difficilement compréhensibles (la plupart dus à un Hickman surcoté qui aura réussi à me dégoûter des Avengers, un exploit). Bien entendu, il s'agit ici d'un personnage secondaire (même s'il est très connu des fans de comics), mais ce que King parvient à en faire dépasse largement son rôle habituel et lui confère même une profondeur nouvelle.
L'une des grandes qualités de cette mini-série est sa parfaite accessibilité. Malgré de nombreuses références au passé super-héroïque de Vision, l'on peut se passer de connaissances approfondies en matière de comics Marvel pour finalement considérer ces 12 épisodes comme une passionnante histoire de science-fiction, mâtinée d'une touche de polar et d'une atmosphère dramatique.
Car, évidemment, tout ne va pas très bien se passer dans l'expérience menée par les Vision.
Le scénariste parvient d'ailleurs à installer une ambiance froide et inquiétante dès le début, grâce à une narration quelque peu distanciée et les échanges étranges entre les membres de cette singulière famille.
Si au départ, les problèmes tournent autour de points de sémantique et du vocabulaire à adopter, les vrais ennuis pointent leur nez rapidement, que ce soit au lycée pour les enfants, ou même au sein du foyer, où une Virginia, quelque peu déstabilisée par une visite inattendue, va avoir une réaction pour le moins... radicale. S'ajoute à cela un maître-chanteur qui vient encore plus pourrir la situation. Tout semble s'écrouler, petit à petit, et les efforts de Vision pour conserver un semblant de normalité n'en sont que plus pathétiques et même... effrayants.
Car à travers cette fable sur la famille type, la vie idéale et la recherche de l'intégration, c'est à une réflexion sur notre propre comportement que l'auteur nous invite habilement. Et il faut bien reconnaître que la frontière savamment floutée entre le bon père de famille et le psychopathe meurtrier fait son petit effet. Le basculement n'est jamais très loin et, lorsqu'il se fait (presque) en douceur, dans une course en avant aussi dangereuse qu'inévitable, il n'en devient que plus fascinant.
Les dessins sont, eux, réalisés par Gabriel Hernandez Walta. Le style graphique adopté, froid, descriptif, sans effets appuyés mais avec de nombreux détails au niveau des décors et un soin particulier apporté aux expressions des visages (ou même aux absences d'expression), souligne parfaitement les intentions et effets de King. La colorisation de Jordie Bellaire, tout en teintes automnales et lugubres dans un premier temps, puis jouant sur un registre plus hivernal, contribue à donner aux planches une impression de fausse normalité et de danger latent.
Difficile de ne pas éprouver de l'empathie pour ces personnages à la fois si humains dans leurs excès et si enfantins dans leurs interrogations. Entre la violence, les larmes et certaines angoissantes interrogations, un geste banal mais touchant, un mot gentil ou la farouche volonté de préserver les siens vont faire des Vision bien plus que des robots étranges ou des héros... peu à peu, ils deviennent l'incarnation de rêves, d'échecs, d'aspirations et de réactions universelles. Notamment lorsque, touchés par une peine indicible, ils vont s'agenouiller et... prier. La boucle est bouclée, le surhomme intangible, immortel, sans limites, accède alors à la souffrance, à la peine, aux baumes de l'esprit confectionnés pour permettre, un temps au moins, de supporter l'insupportable.
Poignant. Magistral.
Un excellent récit, intelligent, divertissant, touchant et dépassant complètement le registre super-héroïque.
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