Man Down



Il y a de grosses chances pour que vous ne connaissiez pas Man Down vu que ce film, pourtant réussi, a abouti chez nous dans le cimetière des "direct to video" (un peu comme le magnifique Defendor). Du coup, on va terminer l'année sur une note positive, en évoquant non un chef-d'œuvre mais un film couillu, intelligent, émouvant et à la forme léchée. C'est quand même pas rien, merde !

Gabriel Drummer est un brave type. Il a une femme qu'il aime. Un enfant qu'il adore. Mais Gabriel est aussi un Marine. C'est un soldat qui a subi l'un des entraînements les plus durs au monde. Un jour, Gabriel doit partir pour l'Afghanistan. Là, il va connaître la guerre, la vraie, celle qui laisse des traces indélébiles dans l'esprit des vétérans.
Quand il revient chez lui, Gabriel retrouve une Amérique défigurée et en ruine. Quelque chose s'est passé, ici aussi, emportant les souvenirs, noircissant les immeubles, défigurant un monde autrefois sûr et aimé.
Dans cette apocalypse ultime, Gabriel est encore porté par un but : retrouver son fils.

Alors, ça va être très dur de parler de ce film sans spoiler un élément essentiel (pour le coup, ce serait un vrai spoiler, cf. l'échelle de Virgul), mais... on va faire gaffe.
Man Down est un film de Dito Montiel, un réalisateur et scénariste américain plutôt méconnu. Le film est cependant surtout porté par Shia Labeouf, qui livre ici une prestation honnête, dans la lignée des films indépendants qu'il semble aujourd'hui privilégier. Précisons tout de suite que cet acteur, même s'il a ses idées et ses excès, dénote tout de même dans le paysage hollywoodien, tant par ses choix artistiques que la manière dont il "communique". Rarement une "révolte" aura paru  aussi peu calculée et aussi sincère.
Mais revenons-en au film...

Bon, voyons tout de suite les critiques qui reviennent le plus souvent : il ne se passe "rien". Sous-entendu, il n'y a pas assez "d'action". Là, on va faire une grosse parenthèse. L'action, bien souvent, si elle n'est portée par rien, peut plomber un film (ou un roman d'ailleurs). L'action, dans un film, peut même être particulièrement chiante. Franchement, à part des attardés en train de sniffer de la colle et de patauger dans leur merde, qui peut encore vibrer avec la millionième pauvre scène de poursuite ou de fusillade ? Ce n'est pas ça qui fait qu'un film est bon ou nul.
Prenons par exemple Garde à vue, avec Lino Ventura et Michel Serrault. Pendant les 1h30 de ce fantastique film de Claude Miller, selon les critères de certains crétins actuels, il ne se passe "rien". Et c'est vrai, il n'y a pas d'action, de gun fight, d'effets spéciaux, de poursuites en bagnole. En fait, tout le film consiste en une longue conversation entre deux types autour d'une table. Mais en réalité, il se passe tellement de choses, c'est tellement bien foutu, que l'on peut revoir ce long métrage 5, 10, 15 fois, avec le même plaisir.
Si vous ne pouvez vous exciter que sur du Transformers, c'est clair, Man Down n'est pas le médoc qu'il vous faut. Mais si vous aimez les récits originaux, ayant du sens, portés par de vrais acteurs, là, vous allez peut-être passer un bon moment. Parce qu'il y a ici tout ce que l'on est en droit d'attendre d'un vrai bon film : des personnages crédibles et attachants, une véritable tension, attisée par l'entremêlement de plusieurs lignes temporelles, et une tragique poésie qui prend aux tripes.


On comprend très bien pourquoi le film a été mal (ou pas du tout) distribué. L'on est loin ici de l'image du héros guerrier combattant le mal, on est même loin du Chris Taylor de Platoon, jeune témoin de l'affrontement manichéen de deux sergents qui le fascinent, ou de l'engagé Guignol de Full Metal Jacket, faux anti-héros surfant sur les dysfonctionnements épars d'une Amérique encore placée sur un piédestal. Drummer est un type normal, qui souffre d'une manière anormale. Labeouf incarne ici un homme broyé de multiples manières. Un type dont le traumatisme est si grand qu'il va transformer le monde entier.
Il convient à ce stade de revenir sur le titre même du film et ses multiples significations. Man down (un homme à terre) désigne bien entendu un soldat touché par les balles ennemies, mais il revêt aussi d'autres sens au sein de cette histoire. "Man down" va ainsi être la phrase code, entre Drummer et son fils, pour dire "je t'aime" (le gamin étant harcelé à l'école parce que sa maman lui avait dit "je t'aime" devant tout le monde). Et "man down" peut aussi s'entendre au sens figuré, quand Drummer rentre chez lui en étant plus que l'ombre imparfaite de l'homme qu'il était. Un homme détruit, hagard, au fond du trou... à terre.

Est-ce que Man Down est un chef-d'œuvre ? Probablement pas. Il lui manque un petit quelque chose pour passer du film indé un peu détonnant à la borne mythique transcendant son sujet. Peut-être un traitement scénaristique moins égocentré, bien que ce parti pris soit particulièrement réussi au niveau émotionnel.
Est-ce que Man Down est une merde ? Ah, tellement pas ! C'est un beau et bon film, ambitieux et pas con. Le genre de truc qui fait du bien entre les conneries habituelles (Star Wars ou Avengers, ça a beau être joli, c'est souvent vain et mal écrit).
Est-ce que Man Down est un film à voir ? Ça dépend. De toi, ô lecteur. Si tu pries chaque matin pour un Fast & Furious 17 (je ne sais pas à combien ils en sont) tout en dévorant le dernier Tuning and Boobs, j'avoue, tu vas peut-être trouver ça chiant. Si t'as un peu l'esprit aventureux, que tu sais lire entre les lignes et que tu peux bander sans pornographie, alors, ça peut le faire.

Un bon film, poignant, poétique et à la portée universelle.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Shia Labeouf, parfait dans ce rôle.
  • Le travail sur la photographie.
  • La thématique du traumatisme de guerre, abordée d'une manière originale et "grand public".

  • Le va-et-vient entre les différentes lignes temporelles, le plus sûr moyen d'effrayer un producteur à la con et un spectateur ayant un QI inférieur à la pointure de ses godasses.