En 1960, l'ancien ingénieur radio de l'US Air Force Walter M. Miller écrivit Un cantique pour Leibowitz. Ce fut le seul roman qu'il publia de son vivant, succédant à une série de nouvelles de SF qui lui valurent la reconnaissance de la profession. Peu après, il cessa d'écrire pendant plus de trente ans, vécut en reclus avant de se suicider alors qu'il travaillait à la suite de son roman.
Tout autant qu'Abattoir 5 pour Kurt Vonnegut, Un cantique pour Leibowitz lui a directement été inspiré par un événement survenu au cours de la Seconde Guerre mondiale auquel il avait participé : le bombardement de l'abbaye de Monte Cassino. Ce traumatisme, il tenta sans doute de l'exorciser autant qu'il le put, jusqu'à ce qu'il parvienne à produire ce roman, récompensé par le prix Hugo en 1961 et unanimement considéré comme un des meilleurs ouvrages sur le thème post-apocalyptique. Il faut croire que la glorieuse stupidité des
hommes a de quoi fournir au monde suffisamment d'éléments pour créer des œuvres d'une richesse et d'une densité inégalables (outre Vonnegut, on peut aussi citer Isaac Asimov et son superbe Les Dieux eux-mêmes).
Ce roman est construit en trois étapes, trois âges suivant une
conflagration nucléaire qui n'a laissé aux survivants qu'amertume rémanente et déserts
vitrifiés. Alors qu'un ordre monastique, s'opposant à une violente vague d'autodafés, a décidé de préserver quelques lambeaux de culture prédiluvienne
(l’Apocalypse atomique étant considéré comme un Déluge de Flammes accompagné du
démon Retombées) afin que la civilisation nouvelle puisse apprendre de ses erreurs passées,
espérant qu'elle ne les répéterait pas, l'Histoire des hommes se met, irrésistiblement, à balbutier. Mais au lieu de nous proposer une vue d'ensemble de générations destinées à reproduire les mêmes errances ayant conduit à ce quasi-anéantissement, Miller choisit un point de vue particulier et c'est donc blottis dans une petite
abbaye des déserts de l'Utah que nous assistons à cette lente résurgence de
l'Humanité. C'est là qu'un jeune novice fait la connaissance d'un étrange ermite et découvre des objets enfouis sous des ruines, objets datant manifestement d'avant le Déluge de Flammes. Malgré l'opposition d'une partie de ses supérieurs ecclésiastiques, il va se donner pour tâche de recopier par le menu les textes incompréhensibles qu'il a mis au jour, afin de poursuivre l'œuvre de Leibowitz, ce visionnaire dont la confrérie tente d'obtenir la canonisation.
On disait que Dieu, pour mettre à l'épreuve l'humanité devenue aussi orgueilleuse qu'au
temps de Noé, avait ordonné aux sages de l'époque, [...] de construire de grandes machines de guerre, [...] des armes d'une telle puissance qu'elles contenaient le feu même de l'Enfer. Et Dieu avait permis que ces mages plaçassent ces armes entre les mains des princes, en leur disant : "Nous n'avons construit cela pour vous que parce que les ennemis ont eux aussi de telles machines et pour qu'ils sachent que vous les avez et qu'ils aient peur de frapper. [...]
Mais les princes, ne tenant aucun compte des paroles des sages, pensèrent tous : "Si je frappe assez vite, et en secret, je détruirai les ennemis dans leur sommeil, personne ne m'attaquera en retour et la Terre sera à moi."
Car telle était la folie des princes. Et ce fut le Déluge de Flammes…
Suivant un cycle déjà connu par tous les amateurs d'Histoire, le monde autour de l'abbaye évoluera peu à peu, passant des Temps sombres (similaires au Moyen-Age
post-romain) à une Renaissance scientifique propice aux révolutions culturelles, avant l'avènement d'une ère moderne dotée d'une
technologie encore supérieure à celle du XXème siècle (des colonies existent
même sur d'autres planètes). Chaque partie du roman s'achève sur une image similaire, une forme de point d'orgue récurrent illustrant à merveille l'amertume baignant le récit. Car malgré les beaux discours, les promesses, les
prophètes, les sages et les poètes, l'Homme finira par s'anéantir dans un cycle
sans fin d'où n'émergera qu'un espoir, encore plus infime qu’autrefois.
Les hommes doivent s’embourber dans l’erreur avant de la distinguer de la vérité... à condition de ne pas accepter l’erreur avec avidité parce qu’elle a meilleur goût.
Carte de l'Amérique du Nord à l'époque du roman. |
Bien moins pessimiste que Quinzinzinzili de Régis Messac, le texte de Walter M. Miller propose une solution qui,
quoique fondée sur des arguments solides, s’avérera vouée à l'échec tout en avançant
quelques possibilités de changements opportuns. Malgré des personnages décrits
par le menu, parfois pittoresques, souvent humbles ou glorieux, il s'agit avant tout d'un roman
sans véritable héros, se voulant écrasé par une forme de destin implacable, doté
d'une écriture agréable, enrichie de nombreuses citations latines tirées des
canons catholiques et non dénué d'un certain humour teinté d'amertume.
Son écriture élégante et sensible sait souligner le long labeur des hommes de science et des hommes de foi, s'attachant à d'infimes petits détails qui nous permettent d'évoluer aisément dans ce monde aux repères faussés. Perturbant lors de son changement d'époques, cruel dans sa gestion des personnages principaux, le livre procure des sensations inhabituelles mais sait merveilleusement délivrer certains messages d'une pertinence troublante.
Son écriture élégante et sensible sait souligner le long labeur des hommes de science et des hommes de foi, s'attachant à d'infimes petits détails qui nous permettent d'évoluer aisément dans ce monde aux repères faussés. Perturbant lors de son changement d'époques, cruel dans sa gestion des personnages principaux, le livre procure des sensations inhabituelles mais sait merveilleusement délivrer certains messages d'une pertinence troublante.
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