Chroniques des Classiques : Le Monde vert


Grand classique du genre post-apocalyptique, Le Monde vert de Brian Aldiss se démarque par sa vision radicale du futur de l'humanité et de notre planète, qui annonce avec une certaine élégance bienveillante les tensions actuelles liées au réchauffement climatique.
À l'image de Walter M. Miller ou de Kurt Vonnegut, l'auteur britannique est devenu écrivain juste après avoir servi pendant la Seconde Guerre mondiale, et ses récits enlevés et visionnaires sont entrés dans le panthéon des grandes œuvres de la SF (Aldiss est lauréat de trois prix Hugo, un prix Nebula et du prix du Meilleur auteur de SF à la convention de 1976). Son roman Croisière sans escale développant astucieusement le thème des arches stellaires est un modèle du genre, où son écriture imagée et pertinente fait merveille.

Dans Le Monde vert, et contrairement à Quinzinzili (qui se déroulait juste après le cataclysme) ou même à Un cantique pour Leibowitz (quelques siècles plus tard), Aldiss choisit de nous présenter une Terre complètement transformée des milliers d'années après notre ère. Alors que le soleil se  meurt et que la température augmente inexorablement, notre planète a cessé sa rotation et présente la même face aux feux de l'astre du jour ; une face entièrement couverte de végétation, la Nature ayant repris ses droits et écrasé toute autre forme de vie, au point que les animaux sont devenus très rares et survivent comme ils peuvent, tandis que les végétaux ont développé des systèmes de défense et de consommation ingénieux, voire mirifiques, comme ces travertoises, sortes de gigantesques araignées végétales ayant tissé des toiles jusqu'à la Lune ! Dans ce monde implacablement vert dont chaque branche, chaque feuille, chaque recoin regorge de vie et dissimule un danger, qu'est devenue l'Humanité ? Elle existe pourtant. Quelques tribus de petits humains arboricoles se sont adaptées, vivant au jour le jour, ayant perdu la mémoire des ancêtres, la moindre notion de technologie et disposant d'un langage simplifié, adapté à des pensées peu profondes. D'espèce dominante, l'homme est devenu une proie insignifiante, vivant dans l'instant, n'ayant aucune incidence sur un milieu régulé par les arbres et les plantes mutantes, certaines capables de se déplacer, voire de voler ; un milieu où le sol à la végétation trop dense ou la cime des arbres, trop exposée, s'avèrent interdits à ces petits humains à l'espérance de vie bien faible. Pourtant, un petit groupe défiera les lois de son environnement et tentera l'impossible : fuir ce monde hostile pour un autre où l'Humanité pourrait recommencer à prospérer. Peut-être avec l'aide de ces champignons étranges, ayant évolué pour conserver la mémoire de chaque être vivant sur lequel ils se développent ? Ou de ces autres humains ayant muté au point de posséder des ailes ?

Construit comme un survival, Le Monde vert nous met aux trousses des rescapés d'un petit groupe forcé de se séparer suite à la mort de plusieurs de ses membres : d'un côté Gren, un jeune mâle ambitieux et plein de fougue, de l'autre Lily-Yo, la matriarche, prête à céder sa place et à "retourner au vert" dans l'espoir d'une vie meilleure dans l'au-delà. Leurs tribulations animeront un récit empli de péripéties où les dangers pullulent sous des formes inouïes. Brian Aldiss propose un roman d'une densité rare dont les trouvailles peuvent facilement perdre le lecteur, d'autant que les héros manquent étrangement de charisme et d'empathie - peut-être parce qu'ils sont également trop éloignés de nous ?
Cet univers incroyable, extrêmement spectaculaire dans sa présentation, est peuplé de myriades de créatures végétales nées d'un cerveau très imaginatif, au point que les repères manquent souvent pour tenter de visualiser le déroulement des événements. Heureusement, çà et là, quelques vestiges dévoyés de notre pauvre civilisation condamnée referont surface, de même que quelques rares descendants d'espèces animales déviantes. Il n'en reste pas moins que le récit s'avère souvent cruel et que les perspectives sont bien minces pour ces aventuriers de l'impossible auxquels il ne reste, après tout, que l'espoir d'un avenir illusoire dans un hypothétique ailleurs.



La traduction de Michel Deutsch est efficace et même admirable, tant les néologismes sont légion. L'édition française de 1962 reste honnête, même si quelques coquilles se dévoilent dans la seconde moitié (essentiellement des erreurs de grammaire grossières).

Un roman perturbant, jusqu'auboutiste et fascinant.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une vision incroyable d'une Terre future à son crépuscule, parfaitement en phase avec les craintes actuelles.
  • Un bestiaire d'une rare densité, des paysages troublants voire dérangeants.
  • Une écriture sensible, attachée tant à la description de chaque espèce qu'aux réactions de chaque protagoniste.
  • Une traduction efficace.

  • Des personnages manquant cruellement d'empathie, un "héros" sans saveur ni charisme et un peu trop passif.
  • Des tribulations qui peuvent perdre le lecteur par l'incroyable inventivité dans la description de la faune et de la flore.