Une introduction captivante à une nouvelle ère Star Wars !


Le premier roman de la nouvelle saga littéraire Star Wars est prometteur : nouveaux personnages, lieux et situations intergalactiques inédites, introduisant une longue histoire à venir, étalée entre romans et bandes dessinées interconnectés. Si l'ouvrage n'est pas sans défauts (on y reviendra), aucun doute que le fan de la saga étoilée sera conquis par La lumière des Jedi, porte d'entrée pensée également pour les nouveaux venus dans l'univers étendu et canonique de Star Wars. Critique du livre en vente depuis le 25 mars dernier [1].


C'est un âge d'or pour la galaxie (qui se déroule un peu plus de 200 ans avant La Menace Fantôme). La paix règne entre les planètes, le Sénat agit de concert avec les Jedi, puissants et sages Chevaliers au service d'une République bienveillante qui étend ses frontières. La gigantesques station orbitale le Fambeau Stellaire est sur le point d'être inaugurée, quartier des Jedi, relai de communication… c'est un satellite important et primordial pour la galaxie. Mais un mystérieux évènement, "la grande catastrophe" est en train de se dérouler [2] ; une menace, naturelle ou humaine, aux contours volontairement flous. Un gigantesque vaisseau est-il en train de se crasher ? Est-ce un attentat contre un astre ?

Dans l'ombre, une seconde menace prend de l'ampleur : les Nihil. Des mercenaires masqués, sans pouvoirs, "unis par un désir commun de prendre, de tuer et de dévorer". Un peu cliché sur le papier mais (heureusement) mieux exploité au fil des chapitres. Ces pilleurs sont (étonnement) des ennemis à ne pas sous-estimer, plus malins que prévus. Les Nihil sont organisés en hiérarchie bien précise : trois factions de mercenaires (Foudre, Nuage, Orage) sous l'égide d'un Maître-Tempête (il en existe trois) et tous obéissant à leur chef, L'Œil, alias Marchion Ro.

 
Face à ces dangers, les Jedi s'organisent et offrent de beaux moments de communion et de sauvetages héroïques. On en suit plusieurs tour à tour, le livre est d'ailleurs une alternance successive de points de vue de tous les personnages en plus des Jedi (comme les nobles, les ennemis ou les personnages plus neutres) à des endroits différents (rappelant par exemple la formule de Game of Thrones), le tout se déroulant sur une courte période (il s'écoule quelques jours tout au plus entre le début et la fin du roman, particulièrement bien rythmé).

On apprécie le duo de Jedi Loden Greatstorm et son Padawan Bell Zettifar (rejoints plus tard par un troisième Jedi charismatique, Porter Engle). Le maître et l'apprenti sont plus attachants que les autres Jedi, grâce à des caractéristiques propres à leur personnalité (Greatstorm a un côté taquin, Zettifar est un peu plus fragile) et de belles séquences d'action où l'on craint pour leur vie après les avoir découverts dans des scènes plus intimes. Malheureusement, le traitement des protagonistes souffre un peu d'inégalité, à part ceux mentionnés et Avar Criss (sur la couverture), difficile de réellement s'inquiéter pour les autres ou de se prendre d'affection. Faute à un manque, parfois, de description pour se les imaginer plus aisément ou les approfondir. On observe, de temps à autre, une sorte de distance entre le lecteur et eux, une certaine froideur cassant une éventuelle empathie. Quand un figurant ou un héros trépasse, on est surpris et choqué à défaut d'être ému ou attristé. Toutefois, l'on perçoit (enfin) la noblesse des Jedi en action et leur grand sens du devoir, l'appellation de Chevaliers et leur grandeur d'antan n'aura jamais été aussi précise qu'ici.

Le Maître Jedi Avar Kriss entendait le chant de la Force issu du chœur que formait le Système Hetzal dans son ensemble, la vie et la mort dans un mouvement de contrepoint permanent. C'était un air qu'elle connaissait bien pour le percevoir constamment, où qu'elle aille. Ici, la mélodie de la Force se muait en mélange dissonant de peur et de confusion. Des gens mouraient ou éprouvaient l'effroi associé à l'imminence du trépas. Et au milieu de cette mélodie, les notes des Jedi et du courageux personnel de la République, ainsi que des héroïques habitants de Hetzal, exploitant les ressources à leur disposition pour tenter de sauver les peuples de ces mondes... 

        Charles Soule, traduit par Sandy Julien et Lucile Galliot

Le fan de Star Wars connaissant un peu le fameux lore ne sera pas trop perdu. Le lecteur néophyte pourra, en revanche, essuyer quelques déconvenues quant au vocabulaire employé et à la richesse de l'univers. Si le simple spectateur des films peut retrouver quelques mots familiers (Yoda est mentionné à plusieurs reprises mais pas avant 150 pages, la planète Coruscant aussi, ainsi que Kashyyyk et ses célèbres Wookies par exemple, ou le clan San Tekka, découvert dans la postlogie), il peut aussi devoir effectuer quelques recherche pour comprendre, au hasard, ce qu'est un Weequay, une Twi'lek, le cristal kyber issu de la planète Ilum [3], etc. Rien de très grave mais la lecture, limpide dans son style, peut s'avérer compliquée tant elle mentionne énormément d'éléments. Une approche à la fois exigeante mais douée d'une écriture paradoxalement accessible. C'est dense mais agréable. Les dernières pages sont stimulantes, on ressent davantage la gravité de la situation, à grande échelle.

Qui dit nouvelle ère, dit (forcément) nouveautés. Dans La lumière des Jedi, nous sommes servis, entre les vaisseaux (les Vectors, utilisés par les Jedi, le Third Horizon, le Legacy Run, le Gaze Electric, l'Aurora III…), les lieux (le système Hetzal notamment, la Lune Fruit, le Flambeau Stellaire…), les pouvoirs de Jedi (le chant de Force : Avar Kriss perçoit la Force presque comme une composition musicale (!), cf. vidéo ci-dessous ; la "chute freinée"…) et bien sûr les ennemis avec les fameux Nihil (les Sith ne sont évoqués qu'une fois, lors d'un rappel à La Grande Guerre des Sith, événement pourtant issu de l'ancien univers canonique, devenu légende, qu'on peut donc inclure à nouveau dans l'officiel ?). Toutes ces nouveautés sont séduisantes et permettent d'apporter évidemment de l'inédit tout en restant dans un monde familier (il n'y a pas besoin de présenter grand-chose, on imagine à peu près tout correctement).


Néanmoins, c'est le revers de la médaille, à force de multiplier les lieux et protagonistes, on s'y perd parfois un peu… On aurait aimé une ou plusieurs cartes en amont du récit afin de mieux visualiser ce qui se déroule à l'échelle planétaire et la distance entre tous ces astres. De la même manière, on prend des notes (ou on retourne parcourir quelques pages déjà lues plus tôt) pour se rappeler "qui est qui" dans tous ces Jedi et mercenaires Nihil. Un index pour s'y retrouver (à défaut des concept arts) aurait été le bienvenu. On peine aussi à comprendre tout ce qui se passe de temps en temps, naviguant entre les nouveaux concepts (les Sentiers, sortes de voies secrètes pour se rendre d'un lieu à l'autre, les émergences, la Tempête, etc.) et la pluralité de points de vue qui s'enchaîne à un rythme affolant.

Ce rythme, comme déjà souligné, est redoutablement efficace dans la première des trois parties : l'énigmatique "impact" est ainsi minuté en sous-titre de chaque chapitres (3 heures avant l'impact, 60 minutes avant l'impact, 4 minutes avant l'impact…). On est proche d'un page turner (une volonté de Soule), récit haletant où l'on a guère envie de faire des pauses mais surtout de découvrir la suite après chaque fin de chapitre. Charles Soule (voir encadré) réussit sans problème son tour de Force consistant à emmener le lecteur dans sa grande aventure. Un aspect très intéressant est qu'il arrive à remettre en question par petites touches les préceptes Jedi (qui n'ont, on le rappelle, pas le droit d'être amoureux ou en couple, qui peuvent aussi contrôler mentalement des esprits, etc.). Une approche qu'on espère voir se développer dans les futures œuvres de La Haute République.

Elle le soupçonnait toutefois d'envisager d'utiliser la Force à cet instant — ce que la plupart des Jedi appelaient contact mental et que lui-même qualifiait de « manipulation » mentale. Selon lui, la formule décrivait plus honnêtement le phénomène.

[...]

Il ne souhaitait pas la mort de ces ravisseurs. Il ne voulait la mort de personne — jamais ; mais parfois, avait-il réalisé, les gens déterminaient par eux-mêmes leur fin, et il n'y avait rien, semblait-il, que lui ou même la Force puisse faire pour l'éviter. Bah, il ne fallait pas être si fataliste. Il ferait tout son possible pour sauver chaque vie à bord de ce vaisseau. Mais les innocents auraient la priorité, et la ligne entre l'innocence et la culpabilité avait été clairement franchie lorsque les Nihil avaient choisi de jeter un enfant dans le vide.

        Charles Soule, traduit par Sandy Julien et Lucile Galliot

La plume de Soule, sans être extrêmement originale (ce n'est pas un défaut, ce n'est pas ce qu'on lui demande), brille par quelques éclats de poésie de temps à autre (et avec la compréhension de son titre qui prend son sens durant la conclusion, là aussi avec une certaine élégance) et permet de se projeter aisément dans son univers. Le roman aurait gagné à être épuré de quelques pages dans la deuxième partie, un peu moins passionnante, pour se concentrer sur quelques personnages secondaires qui méritaient d'être un peu plus exploités. Après tout, nous sommes tous la République comme le martèlent les héros.

Dans tous les cas, le lecteur n'aura pas trop de mal à s'imaginer la plupart des scènes (la première partie du livre bénéficie d'un aspect très cinématographique : "J'ai essayé de faire un roman assez proche d'un possible film Star Wars" expliquait l'auteur),  d'autres seront probablement un peu plus confuses, faute à ce qu'on évoquait : énormément de noms et concepts à retenir (voire comprendre). Un côté exigeant donc, mais passionnant. Saluons le travail titanesque des traducteurs français, Sandy Julien et Lucile Galliot, signant un sans-faute côté texte (aucune coquille ou erreurs de français n'ont été repérées) !


Charles Soule est un auteur bien installé sur la licence Star Wars depuis plusieurs années. Il a notamment écrit l'excellente série de comics Dark Vador - Le Seigneur Noir des Sith (complète en 4 tomes), mais aussi Poe Dameron (6 volumes) et la sobrement intitulée Star Wars, entamée en 2020 (disponible en France en magazine pour l'instant, avant le traditionnel format librairie).
On lui doit aussi les trois comics one-shot : Obi-Wan & Anakin, Lando - Le Casse du Siècle et L'Ascension de Kylo Ren (habile extension, bien qu'un peu "surcotée", de la dernière trilogie qui dévoile une partie du passé de Ben Solo).
 
Outre Star Wars, Charles Soule a signé d'autres comics, il est passé chez DC et Marvel avec des titres assez inégaux (Swamp Thing, Green Lantern, Wolverine…), a créé sa propre série de science-fiction plutôt sympathique, Letter 44, et a écrit deux romans (inédits en France) : The Oracle Year et Anyone.
 
Il est l'un des cinq architectes de La Haute République avec Claudia Gray, Justina Ireland, Daniel José Older et Cavan Scott, tous embarqués et orchestrés depuis 2015 par Michael Siglain, directeur créatif de Lucasfilm Publishing.

En synthèse, La lumière des Jedi reste une excellente introduction à un univers encore plus vaste qu'on ne demande qu'à découvrir. Mais en résulte donc une certaine frustration, le livre se suffit certes à lui-même mais aurait peu d'intérêt indépendamment de ses futures suites, il faut donc accepter de se dire qu'il s'agit là d'une sorte de "tome 0". Sont d'ailleurs mentionnés d'autres héros en fin d'ouvrage, comme le Padawan Reath Silas, absent car embarqué dans une aventure avec deux autres Jedi (à découvrir dans En pleines ténèbres, second roman de La Haute République en vente depuis le 22 avril), mais aussi le retour de la Jedi Vernestra Roh et du Padawan Imri Cantaros (pour savoir où ils étaient, il faut se tourner vers le titre jeunesse Une épreuve de courage, lui aussi déjà disponible en rayon depuis quelque temps, ces deux livres seront prochainement chroniqués sur UMAC.) « C'est cette petite histoire [La Lumière des Jedi] qui va alors rejoindre la grande histoire de la saga » stipulait Charles Soule. Il a entièrement raison, espérons que cette nouvelle ère fera date, tant elle s'annonce excitante !

On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.


[1] Disponible chez Pocket pour 9,50€ (au format poche donc) ou sur Kindle pour 9,99€ (on doit donc débourser davantage pour la version dématérialisée que la physique !).

[2] La première partie, La Grande Catastrophe, s'étale sur près de 150 pages et 18 chapitres et relate les événements avant "l'impact". Suit un interlude, Les Nihil, centré sur la menace du titre, puis la deuxième partie : Les Sentiers. Celle-ci propose 17 autres chapitres (230 pages environ) avant un autre interlude : Le Conseil. La Tempête est le titre de la troisième et dernière partie, proposant les chapitres 36 à 44 (100 pages) avant l'épilogue L'Ennemi, soit 500 pages environ au total.

[3] Les gamers la connaissent peut-être grâce à l'excellent jeu Star Wars - Jedi Fallen Order, où Ilum est une planète à explorer. Pour l'anecdote, le jeu vidéo est discrètement connecté au film Le Réveil de la Force puisque la base Starkiller est le résultat de la transformation d'Ilum en cette gigantesque arme destructrice. Un secret que l'on découvre uniquement si on retourne sur la planète une fois celle-ci visitée et qui permet d'expliquer pourquoi durant plusieurs décennies personne n'avait découvert la construction de Starkiller.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une longue et prometteuse "introduction" d'une nouvelle saga stimulante
  • Un excellent rythme (surtout dans la première partie)
  • Un bel équilibre pour séduire les fans de longue date et les nouveaux venus
  • Fidèle à l'univers Star Wars
  • D'intelligentes remises en cause des préceptes Jedi
  • Une foule de nouveaux protagonistes…


  • … tellement de personnages qu'on s'y perd un peu ; il manque un index pour s'y retrouver
  • Des cartes auraient été les bienvenues aussi
  • Parfois inutilement complexe