Blade : la trilogie d'avant le MCU


Lorsque l'on jette un œil à la vingtaine de titres prévus pour les prochaines phases du Marvel Cinematic Universe, allant du projet vaguement esquissé au film en post-production, l'on constate que l'un d'entre-eux a une histoire déjà bien pleine sur grand (et petit) écran : Blade

En effet, Mahershala Ali, acteur talentueux au potentiel intact (formidable dans Green Book, il avait déjà tâté du super-héros Marvel dans la série Luke Cage avec un personnage récurrent), a déjà signé pour un film dont le scénario (qui a été confié à Stacy Osei-Kuffour, en charge du script de la très bonne série Watchmen) est pour l'heure inconnu. En dehors de quelques photos promotionnelles, on ne sait pas grand-chose de ce que sera ce métrage, ni quelle place il prendrait dans l'univers patiemment développé sous l'égide de Kevin Feige ; de nombreuses pistes existent pourtant, qui pourraient laisser présager des crossovers fascinants (Spider-Man/Blade, qui a déjà été concrétisé en comics, ou plus sûrement une interaction avec l'environnement du Dr Strange). Mais Blade, comme le scandait haut et fort son interprète alors qu'il purgeait une peine de prison, a d'abord été incarné par Wesley Snipes dans une trilogie qui aurait pu, qui aurait dû lancer les futurs Studios Marvel sur la voie du succès, à partir de la série créée par Marv Wolfman et Gene Colan.

On l'a déjà évoquée lors de notre dossier le Meilleur du Vampire (cf. cet article et cette synthèse), toutefois une piqûre de rappel ne fera pas de mal et permettra aux amateurs de clarifier certains points.

Quelques années avant le premier Underworld, Blade met en place quelques codes qui feront florès en soignant particulièrement le design et la photographie tout en privilégiant nettement l’action à la réflexion. Rédigés par David Goyer, les scénarios ne chercheront jamais véritablement à développer le mythe vampirique, uniquement à trouver quelques excuses pour mettre Blade à l’honneur, pousser jusqu’à l’outrecuidance son côté macho, taciturne et poseur, et faire couler des hectolitres d'hémoglobine. Un point qui fait partie des faiblesses d'un script voué surtout au plaisir des yeux : quand on admet la soif terrible dont souffrent les vampires qui ne peuvent se sustenter que de sang, on admet mal l'extraordinaire gâchis dont ils font preuve dans les films (la boîte de nuit et sa douche de sang, l'Ancien qui prend des bains de sang, etc.).

Blade (1998) réalisé par Stephen Norrington avec Wesley Snipes, Kris Kristofferson & Stephen Dorff


Dans Blade, les vampires sont parmi nous. Vaguement réunis en communautés, ils ont leurs habitudes et tentent de survivre en demeurant un tant soit peu discrets. S’ils sont supérieurs aux humains en bien des points, ce n’est pas de manière spectaculaire : certes, ils résistent aux balles, cependant un humain bien entraîné peut rivaliser avec eux dans les combats à mains nues (comme on peut le voir dans le troisième volet, où Abigail met la pâtée à une bande de vampires adolescents). Le seul problème est qu’ils demeurent difficiles à tuer : seuls l’argent, l’ail et surtout la lumière du soleil peut mettre fin à leur existence. Bien organisés, ils pourraient ainsi assez aisément diriger le monde. C’est sans compter le "Daywalker" (il faut admettre que le terme anglais fonctionne mieux que son acception française, "Diurnambule", qui fait sourire) : né d’une humaine enceinte qui venait d’être mordue, Blade a été élevé par Whistler, qui lui a transmis sa sagesse et sa vindicte contre les gens de la nuit. Aussi fort qu’eux mais capable de supporter la lumière du soleil, le vengeur noir use d’un matériel perfectionné pour traquer impitoyablement les suceurs de sang.

En 1998, c’est Stephen Norrington qui hérite du premier film. Le générique fait bien mention de la référence au comic book, mais on ne parle pas encore des Studios Marvel (Incredible Hulk et Iron Man datent de 2006). Il propose un mélange stylé et assez fun, avec un Wesley Snipes complètement investi dans son personnage. On se délectera de quelques chorégraphies de combat très graphiques distribuées sur un rythme enlevé et qui font presque passer les aberrations du scénario, la médiocrité des dialogues, le jeu sans une once de finesse et un "finale" complètement raté, où les effets spéciaux atteignent vite leurs limites (surtout en HD où les décors font pâle figure et le sang numérique trahit le manque de moyens). Difficile en revanche de passer outre la vision ridicule de ce Cénacle vampire où les Anciens (les "Sangs Purs") se font proprement balayer par une bande de parvenus. 

La bande son est évidemment un atout, saturée de basses et multipliant les effets surround, alors que l’image est propre, peu soumise aux filtres, ce qui contribue à rendre l’univers de Blade plus "réaliste" que celui d’Underworld, tout en le maintenant légèrement à distance (l’expression "futur proche" convient à merveille). La partition de Mark Isham, sans être inoubliable, a un style particulier qui sied finalement bien à l’univers esquissé à partir du comic. Norrington fait ce qu’on lui demande : en mettre plein la vue, même sans véritable texture ou talent ; il a flingué en beauté la Ligue des Gentlemen extraordinaires (trahissant l'esprit de l'œuvre de Moore, cf. cet article) et nous  livre ici un pur produit commercial à la gloire d’un héros charismatique sur la voie de l’iconisation.


 Blade II (2002) réalisé par Guillermo Del Toro avec Wesley Snipes, Kris Kristofferson, Ron Perlman & Donnie Yen

Blade continue son combat. Secondé par Scud, un jeune homme doué pour la haute technologie, il doit d’abord tenter de retrouver Whistler, qu’on croyait mort à la fin du premier épisode. C’est à ce moment qu’il est contacté par une troupe de vampires suréquipés et entraînés pour l’affronter : ce "Bloodpack" lui propose une trêve, le temps d’éliminer une nouvelle menace incarnée par Nomak, le prototype d’une nouvelle espèce de vampire mutante…

Avec l'arrivée de Guillermo Del Toro, la franchise passe un cap. Le réalisateur mexicain, en amoureux passionné du cinéma de genre, s’approprie complètement le personnage et les codes pour nous les resservir surboostés ; éliminant les longueurs et les passages inutiles du premier volet, il se concentre sur l’action, les décors, les accessoires et l’éclairage pour les faire coller au maximum à ce qu’il désire entreprendre : le film d’action ultime, sorte de digest d’anime ultraviolent (certains y ont vu l’influence de Kawajiri) et du vampirisme gothique pur jus.

Ainsi, si le scénario reste bancal (on a toujours Goyer à l’écriture), la réalisation parvient à trouver un équilibre idéal entre scènes d'action punchy, combats ultra stylisés (merci Donnie Yen, qui apparaît d’ailleurs dans le Bloodpack mais qu’on aurait aimé voir plus longtemps à l’écran) et répliques qui tuent. Snipes est plus poseur que jamais mais il trouve en Ron Perlman un rival mémorable en termes d'égo surdimensionné. Testostérone et hémoglobine inondent l’écran ; les adversaires se jaugent, se provoquent puis s’affrontent au sabre ou au poing : tous les arts martiaux sont passés en revue, sans oublier force explosions et gunfights mémorables. On frise souvent le ridicule mais pour une fois, et paradoxalement, ça sonne juste. C’est que l’amateur voit ici l’accomplissement de la plupart de ses vœux : des dialogues qui ne servent qu’à entretenir les statuts de chacun (pratiquement que des punchlines assassines, entre cynisme et humour bon enfant), à se ménager une pause avant de retourner tête baissée dans les combats. Et Del Toro de nous servir quelques plans hallucinants de plongeons acrobatiques et de rétablissements miraculeux, gérant plutôt finement l’utilisation des câbles, nous gratifiant de duels d’une lisibilité exemplaire, privilégiant les plans moyens tout en poussant dans ses retranchements les possibilités de sa L-cam nouvelle génération.


Délectable, pour les amateurs, jouissif même. On y trouvera bon nombre de plans et de séquences qui se voient propulsés au rang de "culte" et jetteront les bases des futures exigences des producteurs du genre. Notons aussi que le film semble une sorte de répétition générale de l’un des chefs-d’œuvre de Del Toro : Hellboy II. Les connaisseurs reconnaîtront sans trop de peine (malgré le maquillage) l’acteur Luke Goss dans le rôle de Nomak, le même qui devait, six ans plus tard, incarnera brillamment le très charismatique Prince Nuada.

Un mot sur cette race mutante de vampires : si l’essentiel du mythe initié dans le premier volet demeure intact, on aura la surprise de croiser ces Reapers, êtres répugnants, d’une sauvagerie inouïe et qui s’avèrent bien plus proches des créatures qu'il a imaginées pour la Lignée (cf. cet article) que de Dracula (lequel sera au cœur du troisième volet).


 Blade Trinity (2004) réalisé par David S. Goyer avec Wesley Snipes, Kris Kristofferson, Jessica Biel & Ryan Reynolds

La réussite du second volet, malgré ses faiblesses scénaristiques, augurait du meilleur pour la suite de la franchise. Toutefois, Guillermo Del Toro déclina l’offre, préférant se consacrer désormais à son projet chéri : Hellboy (et on le comprend, l’avenir lui donnera finalement raison). Le scénariste David S. Goyer, maître de son sujet, décida de franchir le pas et passa à la réalisation (l’avenir lui donnera finalement tort).

Changeant encore une fois de style visuel (on s’éloigne des teintes chaudes, très "comics", du précédent pour des tons plus froids, plus contemporains), la franchise cherche à se réinventer en introduisant également un nouveau compositeur susceptible de lui conférer une réelle signature sonore : c’est RZA qui est choisi, et qui bénéficiera d’un gros coup de main de Ramin Djawadi, encore débutant. Le tournage a lieu à Vancouver et bénéficie de décors et d'un casting impressionnants. 

Voyons le résumé. Continuant sa croisade vengeresse contre les vampires, Blade se retrouve piégé : un coup astucieusement monté le dévoile en train d’assassiner un humain. Dès lors, le voilà traqué par les forces de l’ordre, tandis que les vampires partent en quête de leur arme ultime, le premier et le plus puissant d’entre eux… 

Le troisième volet a tout de l’apothéose et les fans de comics voyaient déjà apparaître le fameux défilant d'images préfigurant les génériques des films du MCU. Néanmoins le résultat est tout sauf une réussite : l’intrigue faussement complexe reprend finalement les mêmes thèmes que les précédents films, avec un Blade chasseur devenant la proie de ses victimes. Ici, on n’a finalement plus besoin de son sang, les vampires survivants allant chercher leur sauveur dans une vieille tombe au Moyen-Orient : le premier de leur race, qui piquait un roupillon de plusieurs siècles (il a traversé les âges sans laisser de traces dans les livres d’Histoire, quel gentleman !) et se vante d’avoir assisté à la Crucifixion, se retrouve donc à devoir redorer le blason de son engeance qui est en bien mauvaise posture. À force, le gars Blade a fini par considérablement amoindrir la puissance des suceurs de sang qui se retrouvent à chasser des vieilles dames dans les couloirs du métro – et se prennent des branlées par d’autres chasseurs de vampires, dont Hannibal King, le trublion échappé d’un comic book pour ados.



Réalisé à la va-comme-je-te-pousse, le film enquille les séquences ridicules avec une sorte de désinvolture qui sauve presque les meubles, se reposant sur quelques atouts magiques constamment mis en avant : Blade, encore plus badass que jamais, ne s’exprime plus que par monosyllabes et prend la pose autant qu’il peut (à croire qu’il a un contrat avec un Peter Parker qui le suivrait comme son ombre) ; Hannibal King, c’est Ryan Reynolds, qui nous fait du… Ryan Reynolds, alignant les bons mots et les vannes foireuses même quand il est sur le point de mourir (j’avoue que le coup des lesbiennes vampires m’a arraché un fou-rire) ; comme Whistler meurt (encore !), c’est sa fille cachée qui reprend le flambeau avec des gadgets encore plus clinquants (l’arc laser est assez cool) – et comme c’est Jessica Biel qui l’interprète, avec les tenues ajustées bien comme il faut et un entraînement physique impressionnant, le sex-appeal du long-métrage se voit automatiquement boosté.

Pour du renouvellement, c’est râpé : chaque suspense est bidon et les retournements se devinent longtemps à l’avance. Dans le II, il y avait le Bloodpack incarné par des mercenaires vampires tout en muscles et en testostérone ; ici, on a plutôt un groupe de jeunes un peu geeks qui aurait pu dynamiser la franchise mais ne parviennent qu’à proférer quelques blagues bien senties, inventer des armes futuristes et occasionnellement savater l’ennemi.

Ça ne vole pas haut mais réussit à divertir, tout en arrachant quelques soupirs de frustration. Il faut dire que l’interprétation des méchants vampires est assez pathétique, et Parker Posey en Danica Talos est proprement insupportable. Quant au duel final, même s’il manque cruellement de style, il parvient à faire suffisamment monter la tension jusqu’à ce constat amer, prononcé par Drake :

 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une trilogie disponible en HD pour pas cher.
  • Trois films dynamiques, aptes à divertir (pour peu qu'on n'en demande pas trop).
  • Un super-héros badass avec un acteur investi.
  • Chorégraphies survitaminées, armes ultra-cool, héros et héroïnes aux tenues ajustées et quelques grosses cylindrées pour couronner le tout : parfait pour satisfaire l'ado qui est en vous.
  • Un second volet stylé, bourré de trouvailles et annonçant Hellboy.


  • Des scénarios allant du passable au ridicule.
  • Une vision des vampires manquant d'ampleur et de réinvention.
  • Des ennemis sans véritable charisme.
  • Un schéma répétitif : Blade traque les vampires qui le traquent pour utiliser son sang et/ou ses aptitudes exceptionnelles.
  • L'humour parfois limite.
  • Des effets spéciaux pas toujours au top (le premier film).