Des Erreurs dans l'Édition


Ce que l'on met en lumière n'a pas toujours un bel aspect, mais est-ce vraiment la faute des lampes ?

Petit billet d'humeur un peu spécial sur un sujet que beaucoup évoquent mais que peu maîtrisent : les erreurs des éditeurs et leur éventuelle "paninisation".

Assez régulièrement, des amis me font remonter des posts et des captures issus de gens qui sont tout contents d'exhiber une coquille qu'ils ont dénichée dans un quelconque ouvrage, croyant ainsi prouver l'impéritie de telle ou telle maison d'édition. Bien souvent, dans les comics en particulier, le réflexe de certains est de sortir une ânerie, du genre "ah, vous voyez, il n'y a pas que Panini qui se plante !" ou "tiens, tel éditeur se paninise".
Revenons déjà sur quelques évidences. Car, malheureusement, nous vivons à une époque où les évidences ont perdu leur qualité première et doivent être expliquées, lentement de préférence, aux béotiens. Des erreurs, tout le monde en fait. Il est rarissime par exemple de ne pas trouver au moins une ou deux coquilles dans un roman, qu'il soit publié par Albin Michel, Gallimard, Bragelonne ou Robert Laffont. Alors, c'est certes dommage, mais ce n'est pas grave. Parce que sur un volume de 500 000 caractères, laisser passer deux ou trois conneries, cela ne prouve en rien la nullité de l'auteur ou le manque d'implication et de travail de l'éditeur. 

Surtout, ce qui est important, c'est le rapport entre les fautes et le volume de texte. Vous comprenez bien que deux fautes dans un roman, même court, et cinquante fautes dans une BD, ce n'est pas la même chose. Or, Panini, à une époque, c'était plusieurs centaines de fautes par ouvrage. Ça a l'air délirant (en tout cas, vous devriez trouver ça délirant), mais c'est rigoureusement exact.
Il m'est arrivé de travailler sur des recueils, qui bien entendu avaient déjà été commercialisés auparavant, qui contenaient 400, 500, 600 voire plus de 700 erreurs grossières (pour un ouvrage de 180 à 220 planches). Et attention, car ces chiffres rendent en fait compte des modifications apportées. Or, un "s" ajouté ou une virgule en plus, c'est une modification, mais réécrire entièrement trois ou quatre phrases dans un pavé de texte, c'est également "une seule" modification. Je vous laisse imaginer le résultat final : ce n'est plus du tout le même texte. [0]

Je précise bien entendu qu'il ne s'agit pas de remanier une phrase pour le plaisir de donner du travail aux lettreurs. Il s'agit toujours d'inepties qu'il faut impérativement corriger. Car même si Panini s'est grandement amélioré ces dernières années (vu qu'on partait de zéro, ce n'est pas un exploit non plus), je rappelle qu'à une époque, Panini, c'était ça : Le désastre Panini. Et cet article est loin, très loin, d'être exhaustif. 
Donc, non, tout ne se vaut pas (ceux qui vous font croire ça sont des ignorants ou nourrissent un objectif peu avouable, cf. cet article par exemple), et non, Urban ou Delcourt ne sont pas en voie de "paninisation", ils ont même une marge gigantesque avant d'en arriver là. Ça ne veut pas dire que tout ce qu'ils font est bien, ça veut dire que ce n'est pas du tout le même résultat ou la même échelle en termes de "plantage".

Ayez donc toujours du recul lorsque quelqu'un, frissonnant de bonheur à l'idée d'avoir trouvé matière à polémique, affirme démontrer, par un ou deux exemples isolés, le manque de professionnalisme de dizaines de personnes. C'est très couillon (et même insultant) comme procédé. Encore une fois, les erreurs n'ont de sens que si elles sont nombreuses, répétées (parfois même non corrigées au fil des éditions) et qu'elles viennent saturer et dénaturer une œuvre. 
Ceux qui pensent avoir découvert l'envie d'uriner parce qu'ils se retrouvent par hasard seuls dans une pissotière ne démontrent en réalité rien de ce qu'ils affirment, si ce n'est leur naïveté et leur ignorance.

Abordons maintenant un sujet connexe. Parmi les lecteurs d'UMAC, certains pensent que je suis "anti-Panini". Les mêmes d'ailleurs qui pensent que j'ai "retourné ma veste" quand je loue, de bonne foi, l'une de leurs rares réussites (comme la réédition en Marvel Select de House of M par exemple, bien meilleure que le Deluxe, pourtant plus cher). En fait, je sais que c'est difficile à comprendre, mais Panini, je m'en fous un peu, je juge (enfin, jugeais, ce n'est plus trop le cas aujourd'hui) ce qu'ils publient, en montrant des exemples, en argumentant, et... c'est tout. Ils ne m'ont rien fait, hein. Ils ne sont pas venus violer mon chat pendant la nuit. Pourquoi je leur en voudrais ? De plus, à chaque fois que j'ai pu m'entretenir avec certains de leurs traducteurs, je les ai toujours trouvés sympathiques et ouverts (d'autant qu'ils m'ont toujours confirmé, en off, ce que je dénonçais dans mes articles). 

Je vais prendre un exemple anecdotique mais illustrant parfaitement l'idée pour que tout le monde comprenne bien. À une époque, pour diverses raisons, j'écoutais régulièrement l'émission de Ruquier, sur France Inter (c'est vieux, ça doit remonter facilement à 25 ans). Il était entouré d'une bande de chroniqueurs insupportables, des bobos parisiens incultes, véhiculant des idées reçues à tour de bras. Et leur job consistait notamment à critiquer les programmes télévisuels. Donc, forcément, ils conchiaient régulièrement TF1 (à cause de Dorothée, des séries américaines...). Ils considéraient vraiment cette chaîne comme une "télé poubelle" (c'est risible de nos jours, TF1 paraissait bien soft et familial en comparaison de la télé-réalité). Et un jour, voilà que l'un des programmes de la chaîne à l'heur de leur plaire. Il me semble que c'était l'adaptation du Comte de Monte Cristo, avec Depardieu. Là, la bande est survoltée, au bord de l'orgasme collectif. Tout le monde s'extasie devant la mini-série. Puis arrive le tour d'Yvan Le Bolloc'h (un acteur et musicien). Il balance comme tout le monde son petit compliment et termine par un édifiant "dommage que ce soit sur TF1".
Et ça, ça veut tout dire.
Pour eux, que TF1 fasse "de la merde" (selon leurs critères), ce n'était pas du tout un problème, au contraire. Mais cela devenait gênant si TF1 se mettait à diffuser une fiction qui leur plaisait, parce que cela allait à l'encontre de leur représentation faussée et manichéenne du monde (en gros, "le secteur privé, c'est des gros cons, le secteur public, c'est des génies", ce qui est quand même simpliste et loin d'être vérifié). 

Je n'ai, pour ma part, jamais eu cette approche à l'égard de Panini, que je pense sincèrement ne pas être voué à demeurer dans la médiocrité. Personne n'a rien à y gagner, ni les lecteurs, ni les auteurs, ni les libraires, ni même les autres éditeurs. Ce n'est jamais bon qu'un acteur éditorial important (et qu'on le veuille ou non, Panini conserve une place non négligeable dans le secteur comics) renvoie une image aussi désastreuse. D'autant qu'ils ont les moyens techniques et financiers de faire du bon boulot. C'est le côté "recrutement" qui semble parfois très... étrange.

Prenons l'exemple de la pauvre Coulomb (encore une fois, n'hésitez pas à lire cet article pour bien comprendre de quoi on parle). Voilà quelqu'un qui ne parle pas anglais (pas couramment en tout cas), qui ne sait pas du tout écrire le français correctement, qui emploie en plus un argot désuet et inadapté, et pourtant, elle est bombardée "traductrice". Mais comment est-ce possible ? D'autant qu'elle n'a pas traduit deux ou trois comics à la va-vite hein, elle a plombé des centaines d'ouvrages, elle a bousillé des collections entières (les Intégrales notamment, illisibles). Dans l'indifférence générale. Parce qu'à l'époque, au contraire de maintenant où le premier couillon venu croit avoir mis à jour une infernale hérésie sous prétexte qu'il relève une vague erreur, peu de gens se sont offusqués du manque de sérieux de Panini, pas même le fameux magazine qui n'existe plus aujourd'hui et qui était pourtant intégralement consacré aux comics. Paraît, selon le rédacteur en chef, que leur "ligne éditoriale" les empêchait d'aborder ce point. C'est bien pratique la "ligne éditoriale" quand elle permet de s'asseoir sur le devoir d'information et d'impartialité de la presse, tout en conservant de bonnes relations avec l'éditeur qui détenait, à l'époque, un monopole de fait. 
Après ça vient mendier et chialer sur le net, et des cons lui font des dons... heurk. Enfin, chacun fait avec sa conscience et ses couilles (ou leur absence).  

Revenons à nos moutons. Ou à nos chèvres. Actuellement, Panini a bien entendu un meilleur niveau, mais les versions françaises restent souvent lourdes et approximatives, certains traducteurs peinant (sans que l'on comprenne pourquoi) à s'écarter de la version originale, même quand leur transposition "mot à mot" s'avère inélégante ou fautive. Et je ne parle même pas de certains rédacteurs, signant des éditos à l'intérêt discutable et à la forme anarchique (apparemment, ne pas savoir écrire n'est plus un frein lorsque l'on envisage une carrière littéraire).
Je crains toutefois que la situation ne fasse qu'empirer. Je constate tous les jours les tares importantes de certains traducteurs ou relecteurs (que j'évalue parfois dans un cadre professionnel). Et c'est assez inquiétant. Évidemment, il s'agit d'une généralité, il existe donc heureusement des exceptions, mais elles sont rarissimes. La plupart des jeunes qui arrivent sur le marché de l'édition de nos jours (malgré pourtant l'obtention de diplômes spécialisés dans les métiers du livre) n'ont même pas un niveau scolaire (alors que leur travail requiert un niveau littéraire) [1]. L'effondrement qualitatif de ces dernières années est tout aussi spectaculaire que logique, l'école étant devenue un immense champ de ruines (une simple garderie de luxe, qui coûte des milliards), elle ne peut remplir ses missions (simplement instruire ou même préparer à une vie professionnelle). Ceux qui s'en sortent sont les autodidactes, qui lisent beaucoup. Et comme peu de gens lisent de nos jours... les bons éléments sont donc mécaniquement rares. Et sans bons éléments à recruter, difficile de redresser la barre.

Voilà, encore une fois, l'état des lieux est assez sinistre, mais il arrive rarement que l'on déniche un remède salvateur si l'on minimise le diagnostic. Nous sommes à l'aube d'un règne sombre, où chaque secteur de la société se délite peu à peu. L'ensemble de l'édition n'y échappe pas. Quant à la niche comics, qui a toujours été le "parent pauvre" (pour ne pas dire "le rejeton attardé") de la "grande famille du Livre" [2], elle surnage grâce à de nombreux viandards et quelques virtuoses qui, malheureusement, se comptent sur les doigts d'une main.






[0] Ce qui explique pourquoi certains traducteurs nuls deviennent subitement corrects chez un autre éditeur : quelqu'un a réécrit tout le bordel.
[1] Pour expliquer en quelques mots, un "niveau scolaire", c'est savoir écrire sans faire de fautes, donc en gros, maîtriser la grammaire. Un "niveau littéraire", c'est être capable d'écrire un texte en tenant compte du contexte, en y apportant des nuances subtiles, en jouant même sur certains effets, sur sa mélodie, sa métrique, etc. Donc, maîtriser l'art de l'écriture. 
[2] Cette niche "bénéficie" en outre d'analystes fameux. On m'a mis sous le nez, il y a quelque temps, un article stupide qui prétendait analyser l'état du marché dans le secteur comics (analyser la quantité, c'est pratique, ça permet de ne pas se faire d'ennemis... la qualité, c'est autre chose). Or, ces "experts" avaient eu l'idée brillante de soustraire les meilleures ventes du secteur, pour ensuite en venir à une conclusion mythique : "Si on enlève les meilleures ventes, le marché ne se porte pas si bien que ça, en fait, il stagne, voire il régresse."
Wow. Ah ben, on est en route pour le prix Nobel d'économie là.
Évidemment que si l'on enlève les meilleures ventes, les chiffres ne sont pas bons. Mais qui fait ça ? Pour quelle raison ? C'est pareil dans tous les secteurs, si on prend l'automobile et que l'on enlève les deux ou trois modèles qui se vendent le plus, ben... ça modifie carrément les résultats.
Là, les champions mettaient à l'écart The Walking Dead et je ne sais plus quoi. Mais des best-sellers, il y en aura toujours, demain, quelque chose prendra la place de la série de Kirkman, tout comme en romans d'autres succès prendront la place des livres de Martin ou de ceux de Rowling. Les "meilleures" ventes font partie des ventes, on ne peut pas les soustraire de l'analyse globale.
L'auteur du même article se demandait ensuite comment "aller chercher" un public qui ne lit pas encore de comics, et évoquait des comics publiés au format franco-belge. C'est bien une idée de commercial à la con ça, tiens. T'aimes pas les gaufres, mais si au lieu d'un emballage en plastique, on te met un emballage en carton, tu vas acheter des gaufres ? Mais... si c'est le cas, tu es d'une connerie insondable mon pauvre ami ! 
D'ailleurs, le lectorat comics est déjà à son maximum, surtout lorsque l'on voit l'offre actuelle, totalement démentielle, sur le marché. Il faut bien se rendre compte que les gens ne lisent pas, dans leur immense majorité. Et ceux qui lisent, lisent très peu. Les acheteurs compulsifs et les collectionneurs constituent un marché de niche qui n'est pas extensible à l'infini, certains éditeurs ont pu le constater de manière violente. Même aux États-Unis, les ventes ont drastiquement baissé en quelques décennies. Or, en France, l'on publie de plus en plus de comics (pas encore l'intégralité de tout ce qui se fait aux States, mais quand même une part très importante), sans tenir compte du fait que le marché français ne pourra jamais absorber ça, quel que soit "l'emballage". D'autant que chaque comic est en concurrence en réalité avec les comics du mois, mais aussi ceux de l'année précédente (qui ne disparaissent pas des librairies), et même avec les manga, les BD franco-belges et les œuvres dématérialisées.
Les légions de lecteurs censées venir sauver le marché n'existent pas. Elles ne viendront jamais récupérer in extremis la situation. En fait, il y a gros à parier que le marché du livre connaisse, dans les années à venir, un "réajustement" violent, aucun secteur ne pouvant survivre éternellement en proposant une offre supérieure à ce point à la demande.