Le survivant d'un monde parallèle


Une catastrophe aérienne tue 332 passagers d'un Boeing 747 mais épargne le pilote...
Crash-test d'un film fantastique vieux de 40 ans qui est ressorti depuis peu en Blu-Ray dans sa version intégrale.


Première adaptation d'un roman de James Herbert, Le survivant d'un monde parallèle date de 1981 et s'inspire de Celui qui survit, sorti en 1976. Le livre originel a donc pile poil le même âge que moi... ça me fait plutôt bizarre, du coup, d'en chroniquer l'adaptation en 2021. Mais si je me prête à cet exercice, c'est parce que les éditions Rimini ont eu l'idée louable de rééditer ce film il y a peu dans une version tellement soignée que j'en suis venu à me poser la question toute bête : ce film mérite-t-il une telle débauche de luxe ? Suis-je passé toutes ces années à côté d'un chef-d'œuvre ? 1976 a-t-elle pu engendrer plusieurs miracles en 365 jours seulement ? Ah ben non, suis-je bête : le film date de 1981... Alors c'est possible. Ça se tient !

Quand on sait que le titre original de ce long métrage est The Survivor, on mesure à quel point les traducteurs de l'époque étaient poussés au cul par une team marketing sans doute avide de surfer sur le succès de programmes tels que La quatrième dimension (à ce propos, si vous ne l'avez pas encore lu, dévorez L'homme de la quatrième dimension narrant la vie de son créateur : c'est très intéressant !). Comment leur en vouloir ? Néanmoins, ça donne au titre un côté suranné bienvenu tant il est annonciateur de ce à quoi l'on va avoir droit après avoir inséré la galette dans le lecteur (et ouais, j'appelle ça comme je veux !). En effet, je tiens à prévenir les gamins et autres Jean-Kévin qui se seraient perdus et auraient atterris ici : mon p'tit gars... si pour toi, le cinéma, c'est une Marvellerie avec des gars en tenues fluorescentes auréolés d'éclairs qui volent au secours d'un scénario vide à grand renfort d'effets spéciaux sur fond vert, passe ton chemin, tu n'es pas prêt pour l'expérience !

Une fois ceci dit, qu'avons-nous donc là ? Ce film vaut-il les honneurs de ce très beau packaging ou mérite-t-il davantage l'infamie des cotes qu'il se ramasse sur IMDb et autres sites du genre, dans lequel on le classe avec un mépris non feint au rang des plus insipides ozploitations (pour info, Ozploitation est la contraction des termes "Aussie exploitation", qui désignent les films d'exploitation souvent un peu fauchés produits en Australie du début des années 1970 au milieu des années 1980) ?
Et avant toute autre chose : de quoi ça parle ?


Attachez vos ceintures, l'atterrissage risque de secouer un peu.

Le film débute par un crash aérien mis en scène avec assez d'intelligence et de professionnalisme pour que l'on ne regrette pas le budget visiblement trop étriqué et l'absence logique de tout effet digital.
Cette ouverture fait même figure de leçon de cinéma à bien des égards : si certains réalisateurs actuels pouvaient se souvenir, parfois, qu'une suggestion subtile peut faire plus d'effet qu'une exposition balourde, j'irais peut-être davantage au cinéma !

Seul le Commandant Keller (Robert Powell) sort indemne de l'avion, et autant dire que c'est miraculeux (mais malgré cela, point de propos ouvertement religieux ici ; pour une fois que je parle d'un film sans parler de religion, je sens comme un soulagement !). 
Avec lui et les enquêteurs sur place, nous chercherons à remonter le fil des événements ayant mené à cette catastrophe... malheureusement, l'étrange amnésie sélective qui le frappe n'aide guère ses recherches.
Très vite, des voix se feront entendre chez lui comme chez les personnes qui furent présentes sur les lieux de l'accident sans venir en aide aux secours (principalement un photographe très avide de sensationnalisme et sa compagne). Lesdites voix sont-elles des manifestations de leur culpabilité ou la manifestation de quelque force paranormale ?
Après le décès du photographe dans des circonstances ne laissant aucun doute au spectateur sur le fait que le film inclura du fantastique, Keller rencontre la médium Hobbs (Jenny Agutter) qui va lui proposer qu'ils s'entraident pour élucider les origines de toutes les manifestations surnaturelles et, peut-être, comprendre ce qui a bien pu précipiter la chute du Boeing de Keller.

Petits bémols...
Dans ce film, le fantastique prend bien des formes cinématographiques et la plus "réaliste" semble, de nos jours, maladroite et grossière : ces "fantômes" simplement joués par des comédiens apparaissant ici et là au gré du montage et assassinant hors champ des gens dont on ne verra que le sang trop dilué pour être honnête couler à l'écran... désormais, cela ressemble à une mauvaise parodie, tout au plus. C'est d'autant plus dommage que ces scènes n'ont à vrai dire que très peu d'utilité dans le propos du film et qu'elles en cassent le mystère et la fantasmagorie... 
Même avec une version longue restaurée qui en dévoile un peu plus, le film reste assez énigmatique. Ce fantastique nébuleux qui ne s'explicite qu'à moitié, même à la fin du film, pourrait déplaire à certains.


Pourquoi ce désamour de la part de certains et cette fascination de la part des autres ?

C'est que Le survivant d'un monde parallèle est très imparfait dans sa construction narrative : il mêle enquête de terrain et enquête paranormale avec un goût prononcé pour le fantastique et ce qui semble être un amateurisme assez évident pour l'enquête rationnelle.
Mais je pense que c'était intentionnel : tout le film baigne dans une ambiance fantasmagorique étrange et ouatée... après le crash qui est assez percutant de tangibilité, après la vision des corps calcinés et rigidifiés des victimes (rien de gore ici, je vous rassure), tout semble assez vite devenir partiellement irréel, un peu comme si cet état comateux dans lequel Keller se trouve logiquement après un tel drame se répandait sur tout le film. 

Il y a, me semble-t-il, un intéressant parti pris et une réelle maîtrise technique, dans ce film... mais aussi une certaine maladresse dans la mise en œuvre du projet qui en fait un objet cinématographique intéressant, voire même assez captivant.
Indéniablement, l'ambiance a été terriblement travaillée : les musique de Brian May sont disséminées de-ci de-là et étendent à l'envi des sons dérangeants et lourds de sous-entendus, les fondus au blanc (oh, mon dieu, ils ont osé !) se glissent entre les scènes comme si des voiles de brume se perçaient pour en découvrir davantage, le travail sur la lumière est de toute évidence le fruit d'une recherche stylistique intéressante avec ses teintes tantôt réalistes et crues, tantôt nimbées d'un éclairage irréel...

Mais si ce travail sur l'ambiance est à saluer, la narration, elle, souffre d'un manque de clarté et d'une possible indécision quant au ton à employer. Par moments, le film semble presque être une longue rêverie ponctuée de quelques lignes de dialogues ; à d'autres instants, il se fait verbeux et presque surjoué... il donne l'impression d'être doté de deux jambes qui jamais ne parviennent à parfaitement se coordonner et qui dansent une gigue de pantin manipulé par un marionnettiste peu adroit.

Cinématographiquement parlant, s'il est bien un intérêt à trouver à ce film, c'est la réussite de son atmosphère.
Nous parlions de la musique de Brian May.
Évoquons aussi la photographie experte de John Seale qui s'étale avec bonheur sur un cinémascope bien maîtrisé aux cadrages souvent pertinents et significatifs orchestrés par David Hemmings.
Mais parlons aussi du jeu énigmatique et parfois au bord de l'excès de Powell (avec son air accablé perpétuel) et Agutter (dont il émane ici un charme étrange et qui joue une médium tâchant de contenir ses visions mais qui y cède parfois dans la douleur ; à noter que dans le roman, ce rôle était masculin).


Qui sont ces gens ?

Le maître d'œuvre, David Hemmings, signe ici son troisième film et sans doute le plus connu, malgré l'oubli dans lequel il a sombré et duquel cette réédition va peut-être l'exhumer. Il est bien plus connu pour sa carrière d’acteur... c'est le photographe du Blow Up d’Antonioni et le pianiste dans Frissons de l’angoisse d'Argento. Au niveau de la réalisation, il marquera surtout toute une génération de son nom estampillé au début de génériques de séries télévisées telles que Supercopter, Magnum ou L'agence tous risques. Si ça vous rappelle des week-ends pluvieux, nous avons sensiblement le même âge !

Robert Powell est le Jésus de Nazareth de Zeffirelli (film dont je ne parlerai pas, marre de causer religion !) mais aussi Phoebus dans Le bossu de Notre-Dame. Il compte bien des films à son palmarès et énormément de saisons de diverses séries télévisées. Il trimballe depuis des décennies son air étrangement accablé et presque mélancolique sur nos écrans.

Jenny Agutter fut par exemple l'infirmière Alex Price du Loup-garou de Londres mais aussi Joanne Simpson dans Chucky 2 et, récemment, la conseillère Hawley dans les films Avengers... Actrice multiprimée, elle a tourné dans un bon paquet de films et téléfilms et, à chaque fois, a marqué par cet indéfinissable charme qui semble venir d'une certaine assurance, d'un charisme naturel.


Qu'a de si particulier cette édition ?

Rimini Editions sort, depuis quelque temps, d'anciens films fantastiques leur semblant injustement oubliés dans des fourreaux intégrant un Blu-Ray et un DVD du film accompagnés d'un livret très documenté. 
Ce qui est exceptionnel, dans le cas présent, c'est que ce film n'est jamais sorti dans sa version intégrale. Ici, l'on nous gratifie de la version courte non restaurée (déjà rééditée par le magazine Mad Movies il y a quelques années) sur DVD, mais aussi de la version longue restaurée sur DVD et d'un Blu-Ray supportant les deux versions.
La version longue n'a apparemment jamais été doublée dans son intégralité et nous ne trouverons donc pour elle que la VO sous-titrée. Qu'il me soit d'ailleurs permis de faire remarquer à Rimini que : "Je me fiche de ce que Slater et toi disez" est une traduction plutôt maladroite de ce que dit le personnage de Powell lorsqu'il s'énerve après l'enterrement des victimes du crash (énervement qui arrive d'ailleurs un peu de nulle part... le jeu est parfois décontenançant dans ce film, mais pas de quoi en perdre à ce point sa conjugaison, voyons !).
La version Blu-Ray offre une image très "cinéma" qui respecte le grain d'époque et restitue une image très propre pour un film de cet âge. Le son est limpide, même au casque. La VO bénéficie même d'une version DTS-HD 2.0 qui est si pure qu'on la croirait récente.
Le tout est accompagné d'un reportage sur le tournage chipé d'une émission australienne de l'époque (Clapper board) et d'interviews contemporaines de quelques intervenants revenant sur les difficultés d'un tel projet (tant au point de vue financier que technique).

Le packaging de l'ensemble m'a charmé : nous avons ici les trois disques susmentionnés dans un digipack solide et de bon goût glissé dans un fourreau assorti.
On trouve aussi, à l'intérieur, un livret agrémenté de photos où Marc Toullec, du magazine Mad Movies, nous parle du film, de son flop à sa sortie, de son aura actuelle et de l'avis carrément mitigé de James Herbert pour cette adaptation de son roman... tout ce qu'il faut, en somme, pour nous motiver à regarder ce film comme une œuvre à côté de laquelle on est peut-être injustement passés, au lieu de lui attribuer cette étiquette de cette série B.


J'ai lu plusieurs articles réclamant un remake du Survivant d'un monde parallèle. Ce n'est pas une idée idiote mais il faudrait pour cela un réalisateur qui ne cèderait pas au sensationnalisme des esprits effrayants et autres fantômes hurleurs en images de synthèse.
Je verrais bien un film mêlant, comme ici, deux ambiances mais avec les moyens actuels : l'inquiétante et lancinante enquête sur cette survie miraculeuse filmée de façon suspendue, presque minimaliste, précédée ou entrecoupée de la crudité et de l'horreur d'un crash hyper réaliste traité avec violence et sans aucune complaisance... ça aurait de la gueule, entre les mains d'un bon réal.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un film qui vaut pour son témoignage cinématographique, sa photographie et cette curieuse ambiance ésotérique.
  • Pour les cinéphiles et/ou les amateurs de curiosités en matière de fantastique, c'est un objet filmique à découvrir !
  • Un packaging de luxe très satisfaisant en matière de contenu. Rimini fait fort avec cette collection.
  • Un film inégal et partiellement raté dans sa construction scénaristique.
  • Un goût de eighties dans le jeu des comédiens qui peut faire grincer des dents.
  • Une lenteur et un mutisme qui pourraient en rebuter certains.