Asumi

Fantasme pour les uns, concurrente pour les autres, voisine d’à côté super sympa, bonne copine bienveillante, parfois naïve et très bien proportionnée, voilà quelques qualificatifs qui collent à Asumi, 21 ans. Cette femme au foyer japonaise, mariée à un concepteur de lingerie féminine de dix ans son aîné, vit dans un immeuble résidentiel aux nombreux voisins encombrants. Au fil des planches apparaît la gérante d’un bar à hôtesses, madame Tedokoro, dont l’époux court après la jeune femme ; madame Kurobe, plus prompte au saphisme essaie de l’approcher charnellement. Des yakuzas, le concierge, une troupe de femmes au foyer et bien d’autres encore complètent le casting.

Asumi, manga complet en 360 pages de Mitsuru Miura, compile des tranches de vie prétextes à mettre l'héroïne éponyme dans des situations cocasses et grivoises. Un vendeur au porte-à-porte sonne : elle lui ouvre et le laisse tester un électro-stimulant ; le collègue de son mari a besoin d’une fausse épouse pour mentir à ses parents, la voilà qui l’aide avec gentillesse, quitte à terminer nue dans la salle de bain...

Asumi incarne une madone aux yeux de ces messieurs : toujours encourageante, prévenante, dévouée, elle pardonne, ne juge pas et ne possède pas d’a priori ; ainsi, elle peut discuter sans soucis avec des yakuzas. Grâce au talent de l’auteur, cet idéal qui s’avérerait caricatural et indigeste chez d’autres, apparaît comme une agréable sucrerie, fondante. Les situations variées, quoique parfois convenues, font tout le sel des récits.
Jamais elle ne trompe son mari Taisuke et si elle doit embrasser la joue d’un autre homme pour le rendre heureux au moins une fois dans son existence, elle s’excuse auprès de son aimé, ému par la compassion de sa femme. L’idée ne viendra pas à Asumi de se plaindre lorsqu’un policier lui collera une main sur les seins [1] et elle trouvera toujours un côté attendrissant à chaque homme qu’elle croisera.

L’auteur joue sur l’objet de désir qu’incarne Asumi au sein de ce vaudeville, et il titille les lecteurs en variant ces tenues au grès des récits : en uniforme de lycéenne, mannequin de mode, maillot de bain, lingerie, pull à col roulé, hôtesse de bar... Œuvre de son temps, elle répond à des codes pour un public masculin : toutes les femmes portent soit des jupes, soit des robes ou des justaucorps qui dévoilent les jambes, mais pas de pantalons. Ah, les jolies gambettes !

À la différence de nombreux manga destinés aux adolescents ou à un lectorat plus âgé, Mitsuru n’emploie pas de plans "culottes" de manière artificielle ; le vent ne souffle pas de n’importe où pour dénuder une fesse, une forme vulvaire ou un sein. Il n’y a pas de tissu qui moule jusqu’au plus petit repli de chair entre les jambes à la manière de Mazakaku Katsura (Video Girl Aï, I's) passé la première histoire où il se cherche encore. Ce sont les situations qui amènent à dévoiler Asumi et encore, si peu ! Car paradoxalement, l’œuvre demeure chaste ; point d’érotisme torride ou de pornographie. Le charme avant tout. La tendresse aussi.

Asumi au présent, première partie de ce recueil, regroupe des histoires se déroulant dans la dernière période faste du Japon, durant les années 80. Asumi et son conjoint vivent dans un immeuble, permettant une plus grande proximité entre habitants, ainsi que des jeux sur les portes, qui s’ouvrent et se ferment au grès des situations. Et rien n’ébranle la fidélité d’Asumi pour son mari.

Asumi au futur déplace le concept dans un avenir tel qu’on le concevait dans les années 80, au sein de villes orbitales. Ils vivent toujours dans une résidence, accompagnés d'un robot, d'une plante tentaculaire et d'un animal extraterrestre facétieux. Quelques récits proposent des questionnements sur le désir dans le couple et la parentalité.

Le mangaka fait le tour de son concept dans cet unique volume. Asumi est un personnage dont le caractère n’évolue pas. L’introduction d’un dernier rebondissement assez bien amené permet de conclure. L’imprudence aurait été d’étirer en longueur sur des milliers de pages, jusqu’à l’ennui.

Mitsuru Miura possède un trait élégant, semi-réaliste, avec ce qu’il faut d’exagération pour les visages ; les détails soignés, des décors bien dessinés et un découpage des plus lisibles pourront évoquer à certains deux autres auteurs de cette période, Tsukasa Hojo (City Hunter) et Buichi Terasawa (Cobra), connus aussi pour la qualité de leur art. L’adaptation en dessin animé du manga The Kabocha Wine sous le titre Mes tendres années, diffusée dans le Club Dorothée dès 1989, nous a familiarisés avec le trait de l’auteur et son amour pour les belles jeunes femmes et la comédie.

De par son caractère, le personnage d’Asumi peut en agacer certains. Elle ne se plaint pas ni ne proteste avec verve et, avec l’évolution actuelle de la pensée de la société occidentale, tout le monde n’est pas à même d’aborder cette œuvre pour ce qu’elle est. Elle en dit long sur une époque, en cela elle se pose comme un témoignage intéressant. Cependant, comme tout vaudeville, ce manga reste superficiel : il n’a pas vocation à remettre en cause la place des personnages, leur métier ou la société dans laquelle ils évoluent. Passé la première histoire où l’auteur se cherche avec quelques plans plus osés, toutes proportions gardées, les aventures suivantes s'orientent plus vers le marivaudage, sans une once de vulgarité.

Asumi, de Mitsuru MIURA, Black Box éditions, 360 pages

[1] Dommage, un petit soufflet aurait été plaisant, mais cela apporterait une touche de violence à Asumi qui au contraire incarne la douceur.



+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • Un graphisme élégant et une mise en scène lisible.
  • Complet en un seul volume.
  • Peu de redites dans les histoires.
  • Léger et tendrement drôle.


  • Disponible sur le site internet de Black Box et dans de trop rares librairies.
  • Des mœurs datées qui ne plairont pas à tous...
  • Une relecture n’aurait pas été de trop pour éliminer les dernières coquilles dans le texte et dans le lettrage.