L'épée

Tourmentée par la légitimité de la passation de pouvoir, l’héritière du trône, Ania, décide de vérifier les faits contés dans la légende de son royaume tout en s’opposant au régime mis en place par la Reine, sa mère adoptive. Cette dernière possède la Magie issue d’une source dont elle dissimule l’existence à son peuple qui croit ses capacités innées. Bravant les interdits, Ania récupère la fameuse épée et, poussée par le démon qu’elle renferme, elle part mener à bien une quête : retrouver une trace du héros de l’épopée inscrite sur les murs en ruine, vaincre la créature qui manipule l’arme antique... Face à elle, sa mère, insondable, apparaîtra tour à tour avec elle et contre elle. Car Ania s’enfonce dans une histoire de famille complexe, un passé surprenant et dérangeant.

L’épée offre un récit des plus classiques sur la transmission du pouvoir, l’héritage des ancêtres et la recherche de soi. La légende se détricote et le héros gravé dans la pierre n’en ressort pas glorieux : la vérité a été brodée pour métamorphoser la lâcheté en bravoure, afin de maintenir un pays paisible et un peuple ignorant. La Reine, froide et intransigeante, prend de difficiles décisions pour la prospérité du territoire, quitte à engendrer des guerres.

L’aventure est narrée par la courageuse et indépendante Ania, qui dévoile ses atermoiements. En rébellion, elle critique la vie qu’elle mène, de la scolarité au Palais avec sa fratrie et les enfants méritants, à la manière dont sa parente conduit son existence. Les personnages importants ne croisent ni pauvres, ni malades, ni vieux ou très jeunes. Le peuple est à peine représenté. Point de roi ici : la Reine seule conserve le pouvoir et fait ou récupère des progénitures au hasard de ses nombreuses conquêtes, tout autant féminines que masculines.

Cette Bande dessinée espagnole de Anabel Colazo, dont les éditions çà et là ont sorti deux précédents albums, se termine en un volume. La dessinatrice se concentre sur l’essentiel en omettant que l’imprévu peut surgir d’en dehors du cercle du palais, métaphore d’un cocon familial très replié sur lui-même. Le graphisme est naïf et faussement enfantin, les valeurs de plans se répètent, malgré des teintes captivantes apportant un côté enchanteur aux décors. La représentation des affrontements apparaît comme la plus ratée, ce n’est pas ce que l’artiste préfère mettre en avant, juste un passage obligé. L’histoire tient sur les dialogues. Les attitudes corporelles sont raides, il y a énormément de visages de face et de profil. Les décors ne doivent leurs profondeurs qu’à des superpositions de plans colorés. Par le choix d’une mise en scène lancinante, un découpage assez plat et des scènes d’actions bâclées, l’empathie envers les protagonistes n’existe qu’au travers de la lecture du texte et non de l’image, réduisant cette dernière à de la pure illustration. Un côté très jeu vidéo des années 80-90 se dégage des planches, car les personnages se déplacent souvent entre la gauche et la droite, tels des hiéroglyphes, mais ne pénètrent que rarement dans la profondeur ou les diagonales.

Coincé entre une palette éclatante et la platitude de son découpage, difficile de savoir à qui s’adresse ce titre. Un jeune public ? Des adultes qui apprécient le côté pop, arty, aux influences mangas présentes et dont la mise en scène prend à contre-pied les poncifs du genre ? Dans ce cas, l’album rafraîchit les rétines.

Les éditions çà et là ont réalisé un très joli travail éditorial : le livre moyen format de 180 pages est imprimé sur papier épais, au dos piqué cousu avec une couverture rigide. Les couleurs explosent dans les cases. Mais, L’épée est vendue maladroitement comme un conte féministe sur l’argument d’une majorité de personnages féminins... alors que le propos touche à l’universel.

Bande dessinée au façonnage soigné, L’épée d’Anabel Colazo se concentre sur une quête identitaire et l’émancipation d’un enfant quasi adulte d’un parent autoritaire. Un album à découvrir par curiosité pour ses couleurs, son dessin aux traits naïfs et les choix de mise en scène de l’auteur, mais difficile à conseiller. 

L’épée, Anabel Colazo, çà et là, 20 euros.



+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • De belles couleurs.
  • Le façonnage du livre.
  • Un graphisme faussement naïf.

  • Un récit déjà vu qui reste en surface.
  • Des scènes d’action ratées.
  • Une symbiose bancale entre l’écrit et l’image.