Batman : The Knight / Batman : Dark City tome 1


Qui de l'homme ou de la chauve-souris importe le plus dans une histoire de Batman ? 


Eh bien, les récentes sorties Urban répondent à cette interrogation de la plus belle façon qui soit : les deux, tant que c'est bien fait.
Oui, les deux peuvent passionner le lecteur.
Chroniques croisées, pour le prouver, de Batman : The Knight (BTK) et Batman : Dark City (BDC).
 
BTK
narre (enfin) cette période de la vie de Bruce Wayne mille fois évoquée mais jamais illustrée in extenso : son parcours initiatique ayant fait d'un jeune orphelin traumatisé et révolté contre les injustices le fameux Chevalier Noir s'étant fixé l'inflexible mission de purifier Gotham de son vice endémique.
Le jeune Bruce veut se donner les moyens de mener à bien cette tâche qu'il s'est choisie et cherche pour cela à devenir le meilleur dans tous les domaines qui lui seront utiles pour exercer son activité nocturne à venir de justicier masqué.
Il va donc abandonner un temps la protection de son fidèle Alfred et parcourir le Monde pour s'initier à moult disciplines auprès des maîtres de chacune d'elles.
À Paris, il apprendra le vol de haut vol (la formule est moche mais on assume) avec Lucie, l'Ombre Grise. Il y rencontrera aussi un autre mentor, Henri Ducard, un chasseur d'hommes expérimenté que l'on a vu il y a peu bien plus âgé dans Batman : La dernière sentinelle.
En Corée du Nord, sur le Mont Paektu, il suivra les enseignements de Maître Kirigi qui lui enseignera les arcanes des arts martiaux les plus efficaces et létaux (aspect que refusera de mettre en pratique Bruce, pour ne pas franchir la ligne qu'il s'est fixée). Il y rencontrera aussi un jeune homme se faisant appeler Anton qui veut lui aussi combattre le crime, faire de son corps tout à la fois une arme et une forteresse.
En Russie, l'ex-agent du KGB Avery Oblonsky va apprendre aux deux jeunes hommes les arts de l'espionnage, du déguisement autres faux-semblants.
Au Canada, ils vont ensemble se former à la chasse et au tir auprès de Luka Jungo, La Marque Suisse. C'est lors de cet épisode qu'Anton dévoilera sa véritable nature de tueur de sang froid, entrant pour la première fois en opposition brutale avec Bruce.
De retour seul en Amérique, Bruce va être formé à la prestidigitation et à l'escapologie par Giovanni Zatara. C'est aussi là qu'il apprendra auprès de la fille de celui-ci (la fameuse Zatanna) que la magie existe bel et bien mais exige des sacrifices qui sont les seuls que le jeune Wayne ne peut se permettre ; telle sera donc l'unique faille dans son armure : un domaine entier qu'il doit choisir de ne pas maîtriser (et qui expliquera son alliance maintes fois renouvelée avec Zatanna dans d'autres aventures à suivre) !
À Shangaï, Skyspider lui apprend la voltige et le parkour.
Pour terminer sa formation, Bruce subit l'entraînement mental du docteur Daniel Captio, l'homme le plus intelligent du Monde, afin d'apprendre à maîtriser la peur pour l'infliger et ne plus la ressentir. C'est là qu'il sera provoqué en duel par La Main du DémonHarris Zuma, le bras droit du terrible Ras' Al Ghul
Invités à rencontrer Al Ghul, les deux jeunes aspirants justiciers se retrouvent enfin dans les Collines de Cristal d'Abu Dhabi pour y découvrir le maître de la Ligue des Assassins et sa fille Talia... et comprendre que derrière Anton se cache Minkhoa Kahn, le futur Ghost-Maker, ce que les fans savaient depuis longtemps bien entendu.

Nous voyons déjà d'ici les Jean-Kévin de base hurler à qui voudrait l'entendre que UMAC vient de spoiler les 302 pages de ce comic écrit par Chip Zdarsky et dessiné par Carmine Di Giandomenico. Mais c'est parce que Jean-Kévin n'a pas encore compris que ce très bel album n'invente quasiment rien : il met juste en scène des épisodes souvent survolés mais jamais compilés de la genèse du héros né de l'imagination de Bob Kane et Bill Finger (oui, on parle tout le temps de Stan Lee mais les autres créateurs de héros ont bien le droit d'être parfois cités eux aussi, mince !).

Alors, faut-il lire cet album ?
C'est parfois évidemment très prévisible (puisque l'on connaissait pas mal ce passé de Bruce ici illustré) et un peu trop vite emballé ; on a souvent trop l'impression de lire une répétition d'apprentissages comme assemblés dans un recueil de nouvelles...
Et si le dessin est consensuel et devrait plaire à la plupart, la mise en page est d'un classicisme assez affligeant par moments, pour un comic mettant en images l'apprentissage au combat d'un des super-héros majeurs de l'industrie.

C'est néanmoins un album d'un grand intérêt en ce qu'il explique la supériorité de Bruce Wayne en bien des domaines et en ce qu'il valide l'idée selon laquelle, malgré ses origines plus qu'aisées, l'alter ego Batman n'est pas un caprice de riche mais bien un projet sur le long terme construit par un gosse à la volonté sans faille et bien plus méritocrate qu'aristocrate.
Là où bien trop de Masques héritent de pouvoirs dont ils doivent se montrer dignes, Bruce n'hérite que d'une fortune mais bâtit de lui même à force de persévérance une supériorité légitime qu'il deviendra ensuite impossible de remettre en question lorsqu'il enfilera la tenue de chauve-souris.
 
Réflexion personnelle de GriZZly : c'est précisément pour ça que je soutiendrai toujours que la réplique de Justice League où Bruce affirme que son super-pouvoir est d'être riche est une des innombrables preuves de l'incompréhension de ce personnage par Snyder (ce qui n'est pas le pire défaut de ce réalisateur). La fortune de Bruce n'est qu'un adjuvant mineur. Toute la période actuelle montrant un Batman ruiné par le Joker prouve d'ailleurs que même sans une fortune colossale, Wayne ne cesse pas d'être Batman. Les super-pouvoirs de Bruce Wayne ne sont ni ses véhicules ni ses gadgets et croire cela comme le fait Joss (mais bon, le gars a le cerveau aussi ralenti que ses séquences préférées) est d'une imbécilité crasse ! Les vraies capacités surhumaines de Bruce Wayne résident en une volonté inébranlable, une endurance phénoménale, un sens du sacrifice inégalable, une abnégation à toute épreuve, un stoïcisme inédit, un sens du devoir et du dévouement à nul autre pareil et une intelligence tactique forgée au feu des épreuves. Il est l'homme lambda qui a ambitionné de combattre les monstres. Il est le faible qui se fait fort et terrifiant pour faire taire la terreur imposée par la force. Il est le rempart humain contre toutes les calamités existantes ou possibles... et même contre lui-même, comme nous le confirme le second comic dont nous allons traiter de ce pas !


Car Batman est le meilleur en bien des disciplines et est devenu, de fait, l'homme le plus dangereux du Monde ! Batman doit donc impérativement, puisqu'il anticipe tout, avoir prévu des contre-mesures pour s'arrêter lui-même s'il en venait un jour à dépasser les bornes. Et c'est précisément ce protocole qui va s'enclencher dans le tome 1 de Batman : Dark City... un robot-tueur créé expressément par Bruce lui-même pour éliminer Batman s'il venait à vriller... un robot connaissant tout de Batman et de tous ses alliés, apte à mener sa mission à bien en faisant fi de toutes les dispositions auxquelles son créateur pourrait bien penser puisqu'il les aura toutes anticipées. La Némésis ultime de Batman : une mécanique de combat infaillible !

Pas besoin de chinoiser : on sait que ce tome 1 est juste le nouveau tome de Batman Rebirth  (dont il rassemble les épisodes 125 à 130) dessiné par le phénoménal Jorge Jiménez et toujours scénarisé par... Chip Zdarsky ! D'où l'interrogation de notre chapeau : est-il plus intéressant de traiter l'avant-Batman ou l'après-ruine de Bruce Wayne ?

Dans ce tome 1, Urban nous offre comme toujours un résumé vous permettant de raccrocher les wagons si vous n'aviez pas accroché à l'arc Joker War. Alfred est mort, Bruce est dans la dèche... vous savez tout ça ! Comme tout cela est contemporain aux Robin Infinite, le Robin faisant fonction n'est pas Damian Wayne, bien occupé à botter des culs dans un tournoi d'arts martiaux, mais notre très cher Tim Drake, le Robin le plus stable et le plus rangé de tous. Et c'est intéressant, parce que Zdarsky fait s'exprimer Bruce sur ce brave Tim, et le vieux mentor se dit fier de l'homme que ce petit moineau est devenu ; ce qui en dit long sur le ton de ce nouvel arc où Bruce Wayne se reproche pas mal d'avoir fait des émules !
Accusé à tort du meurtre du Pingouin, Batman va donc se voir pourchassé par Failsafe, la fameuse machine programmée pour le tuer. Une machine conçue après les épisodes de la Tour de Babel, dans Justice League, où il fut reproché à l'Homme-Pipistrelle (toutes les anaphores ne se valent pas, en terme de charisme) d'avoir mis au point des stratégies pour mettre hors d'état de nuire chaque membre de la JL, sauf lui. La paranoïa n'est que de la prudence poussée à l'extrême mais les potes de Batou n'avaient pas très bien pris, à l'époque, ce stock de kryptonite dans la Batcave ! Les fans remarqueront même le retour d'un aspect de la personnalité de Batman très intéressant et déjà abordé dans Le Dossier Noir, dans le run de Grant Morrison, une sorte de Batman 100% pur, soulagé des failles de Bruce Wayne.

Si les cinq premiers épisodes (125 à 129) sont relativement crédibles (en tenant compte que Bruce Wayne est un humain au-delà de toutes les normes), autant vous prévenir : le sixième épisode est tellement over the top que ça prête à sourire. Que le batsuit soit capable de permettre à son porteur de rejoindre la Terre depuis la stratosphère semble quand même pas mal audacieux. Mais alors qu'il se prend déjà 9 G dans la tronche, il survit entre autre grâce à... son slip posé sur la bouche en lieu et place de son masque respiratoire qui n'a pas résisté à l'entrée dans l'atmosphère. Autant dire qu'on en est vite à se demander si Zdarsky n'est pas carrément dans le second degré. Il voudrait se moquer de ce qu'est devenu le personnage ces dernières années qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Ce phénomène de Jorge Jiménez arrive avec talent à faire passer ça comme s'il s'agissait d'une énième péripétie sur laquelle il n'est pas loisible de se pencher bien longtemps mais... quand même ! C'est culotté, si je puis me permettre !

Quelques flashbacks ponctuent le récit, dessinés et scénarisés par d'autres artistes. Ces passages sont pour le moins dispensables et coupent même le rythme du récit principal à des moments inopportuns ; sans doute pas l'idée du siècle, donc !

Pour le reste, disons que le scénario nous amène avec efficacité à enfin nous faire douter de la capacité de Batman à surmonter un ennemi. Ce Failsafe semble avoir réponse à tout... et le final est tendu comme un string de Wonder Woman... oui, elle porte des strings, si si ; nous avons nos sources, que croyez-vous ? Au niveau graphique, le dessin de ce beau gosse de Jiménez (non mais sans déconner, faites une recherche sur ce gars, il pourrait incarner Batou aussi bien qu'il le dessine) continue de l'installer comme une future légende incontournable de la profession !


Durant ce mois consacré à Chip Zdarsky, Urban nous gratifie donc à la fois des origines de Batman et des dernières nouvelles que nous avons de lui sous la plume de ce seul auteur. Autant dire que chacun de ces tomes a son intérêt particulier et légitime et ses défauts bien à lui.
BTK a pour lui d'enfin compiler les années d'apprentissage de Bruce mais c'est attendu et au final trop peu imaginatif. 
BDC est un nouveau cycle facile à aborder pour les novices mais qui a le bon goût de s'appuyer sur des événements passés bien connus des fans de longue date. Toutefois, en dehors de sa seule trame narrative, il n'apporte pas grand-chose.
Au final, voilà peut-être leur point commun : la naissance d'une interrogation.
"Que peut-on bien encore apporter d'autre à la mythologie de Batman, en dehors de la redite ? Explorer son passé comme son futur a déjà été fait... que reste-t-il ?"



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Deux très bons albums.
  • Le dessin est maîtrisé dans les deux mais la mise en page est plus significative dans BDC.
  • L'écriture est fluide et prenante dans chacun d'eux mais BTK est sensiblement plus répétitif et attendu.
  • BDC, donc, remporte la manche... mais de peu. 
  • Une mise en page un peu trop tranquille et inadaptée au propos, dans BTK.
  • Une histoire trop linéaire, dans BDC.