Lors de sa sortie en 2016, nous vous avions succinctement présenté un album spécial des Tuniques Bleues, composé d'histoires courtes réalisées par différents auteurs. Cet article clôturant notre triptyque consacré à la série (cf. Tuniques Bleues : La Transition et Tuniques Bleues : La "Relève" ?), voilà l'occasion de revenir plus en détail sur cet hommage rendu à un classique de la BD.
Autant le dire, cet album spécial de 120 pages s'avère globalement très bon. Les ambiances et les styles graphiques sont très différents (comme vous pourrez en juger avec les illustrations de cet article) mais (pratiquement) tous les auteurs parviennent à saisir l'essence des personnages, à rendre un hommage subtil à leurs auteurs et à présenter un récit bref mais qui tient la route.
Certaines histoires, tout comme les albums de la série, sont basées sur des éléments historiques réels, d'autres font références à d'anciennes aventures du duo Chesterfield/Blutch. Le ton est parfois humoristique (avec des gags plutôt réussis), parfois carrément émouvant. Même si l'on retrouve la condamnation de principe de la guerre, c'est cette fois bien plus réussi que dans le désastreux tome 66.
On commence avec Tireur au Flanc (Gloris/Bodart), un récit qui se tient et qui est surtout visuellement très léché. Vient ensuite Les Bleus en font des caisses (Sti/Goulet). Là, on est carrément dans la caricature, les gros nez (pourquoi rouges ?) et les gags bien appuyés. Une introduction correcte disons, pour ces deux "apéritifs".
On poursuit avec La Victoire du Corned-Beef, par Manuera (déjà coauteur et dessinateur de l'excellent tome 65). Toujours de fort belles couleurs signées Sedyas. Très joli sur la forme sans être fantastique sur le fond. La Cicatrice de Collin (scénario, dessin et couleurs) permet de rentrer réellement dans le "plat de résistance", avec une histoire émouvante portée par un style graphique aussi beau qu'efficace.
Les Mots Bleus (Dutto) constitue une sorte de parenthèse à la fois cartoony et nostalgique, revenant sur certains personnages rencontrés dans le passé par Chesterfield et Blutch. Le final est futé et poignant.
Le Garçon au Tambour (De Jongh), bien que plus prévisible et "facile", reste dans le registre de l'émotion et atteint néanmoins sa cible. Dix Tonnes de Bois et d'Acier (Lapière/Pau) est probablement le récit qui se rapproche le plus d'une aventure classique (mais condensée) des Tuniques Bleues. Arrive ensuite Notre Cousin Américain (Schwartz), une charge anti-raciste caricaturale et lourdingue qui ne sera pas sauvée par un élément historique employée d'une manière très partiale et fausse (il n'est évidemment pas question de justifier le racisme, les gens se doivent d'être jugés sur ce qu'ils font, pas ce qu'ils sont, ce qui est délicat ici, c'est une caricature du Sud et de ses représentants, voire même des raisons menant à la guerre, qui est aussi fausse qu'enfantine... la propagande fait parfois bien des dégâts que les historiens ne rattraperont pas).
On continue avec Des Bleus et des Dalton (Clarke). Histoire assez faiblarde, plombée par une mise en scène approximative, mais qui est quelque peu récupérée par une conclusion humoristico-historique originale. Des Bleus en Rose et Blanc (Lapuss'/Baba) est clairement oubliable et bien trop long pour le peu de contenu. Un des deux gros ratés de l'album (avec le récit final).
Arrivent ensuite la farandole des "desserts", avec en premier lieu La Dernière Balle (Chamblain/Frasier). Probablement l'approche la plus réaliste et désespérée. Là encore, on est dans du viscéral, avec une référence aux classiques du western en prime. On enchaine avec The End by Richard Badhead and Benn McZid (Zidrou/Maltaite). Un récit un peu tiède, même si le final chaleureux apporte une note optimiste et lumineuse.
Et enfin, le putain de "café". Blue Futur, par Blutch (pas le caporal, l'autre). Une seule page, dégueulasse, avec des dessins à chier et un propos qui se veut sans doute amer mais qui ne parvient qu'à être vulgaire. La grosse fausse note de l'ouvrage. Ben, c'est du Blutch quoi...
Et le pire, c'est que Dupuis a confié la couverture de l'album (d'une mocheté sans nom) à ce gars. Je n'ai jamais compris l'avalanche de prix et l'engouement pour ce type. Et ce ne sont pas les quelques cases qu'il a signées ici qui me convaincront de son "talent".
Au final, voilà un album plutôt réussi, avec des références bien vues, des gags honnêtes et quelques moments qui contractent le bide et humidifient les yeux. Les rares ratés sont anecdotiques en comparaison de la qualité générale. Quant aux styles graphiques, fort différents, ils permettent de rendre compte des diverses approches que peuvent inspirer les Tuniques Bleues.
Un voyage agréable, drôle, émouvant, parfois amer, en compagnie de personnages devenus mythiques.