Holly, de Stephen King



Et nous voilà de retour avec une énième chronique sur un roman de Stephen King. Peut-être que cela commence à agacer les lecteurs de la première heure, farouchement attachés aux comics (surtout s'ils proviennent de Marvel). Peut-être que d'autres y verront une forme de favoritisme, une redondance éditoriale. Ce qui est certain, c'est qu'on aime cet auteur chez UMAC - et qu'en outre, le bougre est fichtrement prolifique. Il semble en plus avoir adopté un certain rythme fondé sur l'alternance entre des polars bien denses (dont le fantastique est absent) - tel le récent Billy Summers, les récits horrifiques qui ont fait son succès (comme Après) et d'autres explorant les nombreuses contrées de l'Imaginaire (Conte de fées ou l'Institut parmi les plus récents). Notre index concernant ses œuvres vous confirmera cette impression.

"Les dons sont des objets fragiles. Ne les confiez jamais à des personnes qui risquent de les briser."

Avec Holly, on se retrouve dans la première veine, dont on a l'impression qu'elle s'est pérennisée depuis Mr Mercedes. D'ailleurs les amateurs de ce dernier bouquin (ou de la très bonne série avec Brendan Gleeson) y retrouveront avec sans doute beaucoup de bonheur la plupart des personnages puisqu'il s'agit du cinquième ouvrage de ce qui est désormais considéré comme une série à part entière, d'abord centrée sur l'ex-flic Bill Hodges et l'agence qu'il créera à la suite des événements narrés dans le volume susdit. Car Holly, mais oui, c'est Holly Gibney, jeune femme perturbée qui apparaît dans le sixième épisode de la première saison, parente d'une victime du tueur recherché par Bill. Bien qu'âgée de 31 ans, elle est encore socialement inadaptée, toutefois il s'accommode très vite de ses particularités (elle manifeste des troubles autistiques) d'autant qu'elle s'avèrera très précieuse dans l'enquête qui piétinait jusque-là. 

Ceux qui ont vu la suite, ou lu Carnets noirs, Fin de ronde et Si ça saigne savent comment elle va petit à petit s'insérer dans le quotidien de Bill puis prendre à bras le corps le métier de détective privé. Mais ceux qui ont lu l'Outsider (ou, là encore, vu l'excellente série HBO de 2020) connaissent déjà ses talents d'enquêtrice capable d'arpenter des voies inhabituelles. Ici, elle se retrouve à la tête de Finders Keepers, l'agence fondée par Hodges - car ce dernier a passé la main et n'est plus de ce monde. La pauvre Holly aura vu périr bon nombre de personnes, dont plusieurs de ses proches - et aura été confrontée à différentes incarnations du Mal personnifié. Célibataire, elle sait pouvoir compter sur ses rares amis (on retrouve l'inusable et surdoué Jerome, en passe de publier un ouvrage sur un aïeul célèbre, ainsi que la jeune sœur de ce dernier, Izzie toujours flic, quoique toujours prête à filer un coup de main aux limites de la légalité, et enfin Pete qui, lui, a préféré quitter les forces de l'ordre). On sent que Stephen King a dès le départ eu un coup de cœur pour cette jeune femme et, même s'il a l'habitude d'être très disert sur ses personnages, se montre particulièrement éloquent quant à l'existence de son héroïne. Sans pour autant, cependant, la préserver car la voilà qui enterre sa mère (une femme particulièrement détestable, qui lui a pourri une bonne partie de sa vie - mais c'est sa mère, que voulez-vous...). Et qui apprend que cette femme lui avait caché bien des choses...


Le roman va ainsi s'appesantir longuement sur les relations passées (et houleuses) entre mère et fille, les honteux secrets de l'une et les décisions capitales de l'autre, et cela constituerait déjà, sans aucun doute, un excellent livre, plein d'amertume tout autant que d'acuité sur les familles dysfonctionnelles. Sauf que c'est bien un polar, nettement plus glauque qu'il n'en donne l'impression. Ainsi, le chapitre d'ouverture rappellera furieusement aux lecteurs avertis le début d'Alex de Pierre Lemaître : un jeune enseignant faisant son footing un soir de 2012 (courir seul en pleine nuit : pas très futé, vous me direz) se retrouve enlevé par un couple de vieux et se réveille dans une cage, au sous-sol de leur maison. Le pire, c'est qu'il connaît ses ravisseurs mais ne se doute pas une seconde de ce qu'ils lui veulent. Neuf ans plus tard, Holly, qui vient de préparer l'éloge funèbre pour sa mère, est contactée par la mère d'une jeune fille disparue, persuadée qu'il lui est arrivé malheur alors que la police ne paraît pas désireuse de poursuivre les investigations, croyant plutôt à une fugue. Bien qu'elle ne soit pas du tout en forme, Holly accepte à contrecœur de prendre l'affaire. Son sens de l'observation aiguisé et sa remarquable intuition lui souffleront très vite que là-dessous se cache bien autre chose qu'une simple fugue...

L'intrigue se construit ainsi tout au long de plusieurs strates temporelles, entre des chapitres issus du passé qui permettent de suivre les autres victimes de ce qui s'apparente désormais à un tueur en série, et des chapitres s'attelant à suivre l'enquête ardue lancée à partir de petits éléments épars, quelques intuitions et, lorsque tout piétine, s'englue et que le désespoir guette, une petite intervention providentielle. Ces dernières sont d'ailleurs signalées dès la phrase en exergue : 
"Parfois, l'univers vous lance une corde." 
Certes, cela contribue à minimiser le pouvoir de l'enquêteur, sa capacité à déduire au-delà des apparences et à anticiper les actions de l'antagoniste ; néanmoins, nous n'avons pas affaire ici à une super-détective, un personnage aux possibilités supérieures aux normes humaines et, pour le coup, ces petits adjuvants presque divins s'intègrent à merveille dans le récit sous forme de subtiles coïncidences dues à un heureux hasard, loin d'un deus ex machina tonitruant. C'est tout le mérite de l'enquêtrice que de savoir comment saisir l'opportunité qui s'offre ainsi, et quoi faire des perspectives qui s'ouvrent alors. Et c'est en se focalisant sur l'humain, en demeurant constamment au niveau des femmes et des hommes qui peuplent son roman, que King permet au lecteur de véritablement prendre fait et cause pour ses héros, de s'inquiéter pour leur avenir tout en, subrepticement, dévoilant l'horreur qui se cache derrière les motivations du (ou des) meurtrier(s). Pas de démon, d'extraterrestre ou de savant fou, voire même de psychopathe torturé ou d'Hannibal Lecter : c'est moins, et c'est pire. Quand le mal ordinaire supplante l'œuvre de Satan...

"Pour bien écrire, il faut maîtriser le langage obscène et savoir regarder la saleté en face. L’exalter parfois."




Un roman prenant, parfois haletant (l'augmentation du tempo lorsque la résolution s'approche vous prend aux tripes) qui se ménage de beaux moments de tendresse et d'humanité avant de prendre le temps de s'accomplir sans se précipiter, avec une héroïne bourrée de défauts qui font justement qu'on ne peut que l'aimer.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un polar bien glauque.
  • Des tueurs qui sortent de l'ordinaire.
  • Des personnages choyés, traités avec minutie et beaucoup de tendresse.
  • Une tension qui va crescendo, une enquête qui progresse lentement mais sûrement.


  • On peut parfois se sentir frustré par certaines allusions si l'on n'a pas lu les précédents romans.
  • Une conclusion qui traîne un peu en longueur mais semble toutefois nécessaire.