Écho #39 : une édition indigne de Bob Morane



On se penche aujourd'hui sur Tout Bob Morane, une collection de romans clairement... décevante.

Les romans de Bob Morane ont connu, malgré leur piètre qualité (cf. cet article) de nombreuses rééditions. Nous n'allons pas revenir sur le côté très amateur et maladroit de Henri Vernes (en même temps, quand on produit des pages au kilomètre, la qualité est rarement au rendez-vous), d'autant que ses récits, typiquement des romans "de gare", peuvent tout de même se savourer comme un plaisir old school et coupable. C'est purement la qualité formelle des dernières éditions en date qui nous intéresse ici.

En 2001, Henri Vernes et son ultime éditeur, Claude Lefrancq, ont apparemment créé ensemble une "maison d'édition" (on y reviendra) appelée Ananké. Sous ce label a été publié (de 2013 à janvier 2024) l'intégralité des romans et nouvelles de Bob Morane (74 tomes). En général, chaque tome reprend trois romans. 

Premier problème, et non des moindres, le prix. En effet, chaque livre, très bas de gamme, est vendu à 24,26 euros. Pour des livres de ce genre, avec couverture souple et une pagination de 300 pages environ, c'est tout de même très cher.
C'est d'autant plus cher que Ananké ne suit pas la filière habituelle quant à l'exploitation de cette collection. En réalité, ces recueils, disponibles sur amazon, sont exploités en impression à la demande et imprimés par amazon. Pourquoi pas, c'est un choix comme un autre. Mais, dans ce cas-là, l'éditeur et les ayants droit économisent tout de même les frais de diffusion, distribution, stockage, etc. Une fois la part d'amazon prélevée, il reste un bénéfice confortable. Aucune raison, donc, que de tels ouvrages soient vendus à plus de 20 euros (et même là, la marge resterait importante). 

Mais le second problème, le plus important, tient en fait au contenu. De nombreux lecteurs s'étant plaints de coquilles et autres problèmes de mise en page, nous avons procédé à quelques vérifications. Une lectrice, sur la page facebook d'Ananké, signalait un très gros souci notamment dans le premier tome. Nous nous le sommes procuré et, effectivement, c'est la foire à la saucisse.
Exemple :


Non seulement, après 15 semaines, Ananké n'a pas répondu à la lectrice qui signalait ce problème, mais l'éditeur n'a pas non plus modifié le fichier (puisque l'on vient de le vérifier à l'instant). Il faut savoir que, lorsque l'on fait de l'impression sur demande, l'un des avantages reste quand même la possibilité de corriger d'éventuelles erreurs. Là, rien. Or, cet extrait est issu de La Vallée Infernale, publié en 1953. Il n'y a pas moyen, depuis, d'avoir un fichier propre ? Il n'y avait pas de fichiers informatiques à l'époque, évidemment, mais enfin, depuis, Ananké a eu le temps tout de même de se pencher sur ces ouvrages.
Pire encore, l'éditeur, après la collection Tout Bob Morane, s'est lancé fin 2023 dans une énième publication des romans, cette fois à l'unité. Nous avons acheté cette "nouvelle" version de La Vallée Infernale et, ô surprise, le problème persiste (cf. cette capture).

Peut-être est-ce un souci isolé ? Nous avons donc pioché au hasard dans la collection et nous nous sommes fait livrer les tomes 21 et 28. Et ce n'est guère plus glorieux. 
Par exemple, particularité du tome 28 : il n'y a jamais d'espace avant les points d'exclamation et d'interrogation. Là encore, avec un traitement de texte moderne, le problème est résolu en deux minutes (et Ananké est obligé d'avoir un tel fichier, pour le fournir à amazon). Eh bien non, alors qu'ils en sont au tome 74, le tome 28 n'est pas corrigé. Et il n'a pas été relu avant publication. 

Pour être honnête, il n'y a pas d'erreurs non plus à chaque paragraphe, mais elles sont bien trop nombreuses pour des textes aussi anciens et des ouvrages aussi chers. D'autant que la valeur ajoutée est proche du zéro. Il y a bien un avant-propos (2 pages) de l'auteur, mais c'est le même dans chaque tome. Il y a parfois quelques bonus, mais ils sont bien rares (et fort brefs, par exemple, 2 pages sur les psychotropes employés à des fins shamaniques dans le tome 21).

Bref, voilà encore un exemple d'éditeur peu scrupuleux qui ne se soucie ni de la qualité des textes qu'il exploite ni de son image. Pour l'image, à la limite, ça le regarde, pour les textes par contre, c'est un peu plus délicat. C'est par les livres que l'on enseigne la langue, c'est par eux que l'on forme les esprits. Plus ils contiennent des approximations et des saloperies, plus les esprits seront pollués et s'habitueront à un laxisme qui n'a pas sa place dans le noble domaine de la littérature, fût-elle populaire. Le fait d'être populaire, de s'adresser (au moins à une époque) en priorité à la jeunesse, devrait au contraire renforcer la responsabilité, et donc la rigueur, de l'éditeur.
Ce n'est pas le cas ici, et on ne peut que le déplorer.