Sandman



Une série mythique. Le destin d'un être étrange qui règne sur le monde des rêves. Une épopée à la fois horrible et féerique. Sandman, c'est tout cela. Et un peu plus...

C'est en 1916 que Roderick Burgess, à la tête de l'Ordre des Anciens Mystères, va tenter de convoquer Death, l'entité représentant la Mort elle-même. Il échoue à moitié et se retrouve avec un singulier invité : Dream, le maître des rêves et des cauchemars. L'étrange marchand de sable va rester prisonnier des hommes pendant 70 ans. Et alors que son royaume tombe en déliquescence, sur terre, certains sont frappés par la maladie du sommeil et entrent en léthargie.
Lorsque Morphée échappera à la tyrannie des mortels, il devra commencer une longue quête, jusqu'en Enfer, pour retrouver ses pouvoirs. Quant aux dormeurs, ils continuent à faire des songes. Parfois magnifiques, parfois horribles.

Il y a une mode qui consiste à affubler une œuvre des plus improbables superlatifs, en quatrième de couverture ou à longueur de préface, afin de convaincre le potentiel lecteur qu'il se trouve devant un achat sinon inéluctable, du moins conseillé. C'est parfois vrai, parfois... moins. Sandman n'échappe pas à la règle des compliments enflammés mais la série a ceci d'original qu'elle en mérite la plus grande partie.
Il n'est pas inutile de présenter d'abord un peu l'auteur, Neil Gaiman. Si vous gravitez, d'une manière ou d'une autre, dans le milieu des comics, vous avez probablement entendu parler de lui. Chez Marvel, il est l'auteur de la version moderne des Éternels ou encore des premiers tomes de l'excellente série 1602. Mais le bougre ne se contente pas de scénariser et écrit aussi des nouvelles (citons sa participation au recueil Matrix, avec justement un texte illustré et non un one-shot traditionnel) ou encore des romans, parfois adaptés en comics comme Neverwhere. À force de faire du bon boulot comme ça, on finit par avoir un prix qui porte son nom ! 
Mais en attendant, les prix, c'est lui qui les remporte, et la série Sandman en a décroché plus d'un. Tentons de voir pourquoi.




Sandman est un peu une série multigenre. Elle flirte avec la fantasy, l'horreur ou le, déjà plus classique, genre super-héroïque. Mais ce qui pourrait n'être qu'un vulgaire fourre-tout devient vite, sous la direction de Gaiman, une sorte de voyage initiatique, bourré de références, qui sort des sentiers battus et vous plonge dans un fabuleux monde baroque et étourdissant. Dans les premiers épisodes, Gaiman va nous balader aux côtés de Constantine, évoquer la JLA (et même mettre en scène Martian Manhunter) ou encore nous expédier aux Enfers et nous faire découvrir ses démons, grotesques plus qu'effrayants. Mais, comme pour nous déboussoler un peu plus ou, mieux encore, intégrer l'ensemble de nos connaissances à son œuvre, il va puiser dans les références bibliques ou la mythologie, dans un désir fiévreux de tout relier à Dream et à ceux de son espèce.

Le procédé est si habile et si complet qu'il est presque impossible pour le lecteur de ne pas être touché par un thème ou une évocation. Cependant, au lieu de se contenter de "ratisser large", Gaiman réalise la performance de surprendre ou de mettre mal à l'aise, selon l'envie du moment. Que dire notamment de l'épisode 24 heures où, dans le cadre familier d'un petit restaurant américain sans prétention, Gaiman parvient à nous torturer, avec les pires scènes qui soient, mais aussi à se permettre une réflexion sur le processus créatif ?
Bref, vous l'aurez compris, c'est dense, "pensé" et bien construit.

En ce qui concerne les dessinateurs, citons Sam Kieth, Mike Dringenberg et Malcolm Jones III. Le graphisme est comme la colorisation, c'est à dire typique des années 90 (les premiers épisodes remontant même à la fin des années 80). Ce n'est pas ce qu'il y a de plus beau mais, à la limite, le style permet de donner une touche bien spécifique et presque dérangeante aux lieux et personnages. 
On ne peut parler de l'aspect visuel sans citer Dave McKean, auteur des magnifiques covers de la série. L'artiste parvient, par l'utilisation de collages, photographies et procédés numériques, à générer des sentiments évoquant puissamment les songes. Une fleur, un papillon, un sablier, un visage flou, un regard inquiétant, un chiffre, une forme atypique... toutes ces compositions évoquent autant le mouvant terrain du rêve que les émotions insufflées par Gaiman dans son récit, comme un vibrant hommage au mystère, à la terreur et à l'inconnu. Tout comme un nom, un thème, une référence vous seront familiers au niveau du texte, les compositions de McKean ont également cette propriété presque impudique qui consiste à vous rappeler une sorte de texture déjà effleurée, un parfum diffus et onirique, plutôt que de camper des paysages et visages communs.

Après Delcourt et Panini, c'est aujourd'hui Urban Comics qui détient les droits du titre et propose une belle intégrale. 
Une œuvre à part, aussi peu prétentieuse qu'elle est envoûtante. À savourer sans retenue.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers riche et profond.
  • Le mélange de fantasy, épouvante et héroïsme.
  • Percutant.
  • Des références bien employées.


  • Un style graphique qui peut parfois rebuter.