La princesse vagabonde [1] est un manhua dessiné et scénarisé par Xia Da, édité par Urban China [2]. L’auteur, une femme née en 1981 et nourrie au manga, publia ses œuvres dès le lycée : Little Yu, disponible aussi chez Urban China, lui permet d’être remarquée sur le marché japonais. La princesse vagabonde parait dans le mensuel nippon Ultra Jump de la Shueisha. Sept volumes reliés sont sortis et la série est toujours en cours.
Les premières pages de La princesse vagabonde – en couleurs – nous plongent directement dans l’action. Pourchassée par des soldats, une jeune fille vêtue de somptueux habits sacrifie sa monture pour faire croire à une mort accidentelle ce que rapporteront ses poursuivants au palais impérial. L’héroïne – dont les mains sont déjà tâchées de sang – rompue aux arts de la guerre, habile stratège, maligne, et manipulatrice se trouve être la Princesse Yongning, Li Chang Ge. Elle fuit son oncle, le Prince Li Shimin, prétendant au trône qui a assassiné son père, ainsi que de nombreux autres membres de sa famille. Malgré ses talents, elle ne peut pas diriger le pays : dans la Chine de cette époque, seuls les hommes sont habilités à exercer le pouvoir. Qu'à cela ne tienne ! Elle va exploiter ses ressources pour assouvir sa vengeance : supprimer Li Shimin.
Pour survivre et mener à bien son projet, elle se travestit en jeune marchand et parcours la capitale Chang'an, puis le royaume pour glaner des informations et former des alliances stratégiques. Sur son chemin, elle rencontre un garçonnet espiègle, dont elle fait son disciple.
Xia Da, à travers ce récit de vengeance et d’aventures assez classique, nous présente Li Chang Ge, un personnage féminin atypique au caractère fort et réfléchi qui tue sans le moindre remords. Agile, elle se débrouille pour obtenir ce dont elle a besoin. Elle ne se préoccupe pas non plus de son rang de princesse qu’elle délaisse sans problème. Si de prime abord, elle semble fragile et sympathique, sur certaines cases, le regard de Li Chang Ge est des plus glaçant, nous rappelant la haine qui bouillonne dans ses veines. Avec son corps aux formes peu développées, il est difficile de deviner l'âge de la princesse Yongning qui a subi depuis son enfance des entrainements rigoureux à l'art militaire, la stratégie. On peut penser qu’elle est en pleine adolescence. En tout cas, son esprit est raisonné et mature. La dessinatrice prend aussi le temps d'approfondir ses personnages secondaires (guerriers, maîtres d'armes, ministres…), les us et coutumes des ethnies locales (Hans…) et elle brosse de splendides paysages détaillés.
La princesse vagabonde est une œuvre de fiction qui alterne action, conflits politiques et tactique non sans une pointe d’humour. Néanmoins, l’intrigue est ancrée dans une réalité historique. La dynastie Tang [3], treizième dynastie chinoise, était un empire étendu, dont la capitale Chang'an, fut la ville la plus peuplée du monde. Cosmopolite, elle prospéra tant au niveau culturel (poésie, opéra, musique...), que religieux, diplomatique, médical, agricole... Les différents empereurs qui se succédèrent agirent en ce sens. Le statut des femmes s'améliora un peu : traitées depuis des centaines d’années comme des servantes obligées (à leurs père, puis époux et en cas de veuvage, fils), pouvant être répudiées par leur conjoint pour infidélité, vole, jalousie, infertilité, elles ne pouvaient se marier qu'une seule fois. Grâce aux Tang, elles pouvaient posséder des terres, faire des affaires, monter à cheval, se remarier, divorcer... Certaines princesses reçurent une éducation militaire et écrasèrent des mutineries... [4] ce qui nous ramène à la princesse Yongning, l'héroïne de cette histoire.
La plupart des protagonistes que l'on croise ont réellement existé, que ce soit des chefs de guerres, des généraux, des ministres... Il en va de même pour les événements (conflits avec les Turcs...). Li Shimin, dont souhaite se venger la princesse Yongning, vécut entre 599 et 649. Second empereur de la dynastie, il régna sous le nom de Taizong dès l'âge de 27 ans, suite au coup d'État qui ouvre ce récit. Il est le deuxième fils de l’empereur Gaozu.
Si on peut lire La Princesse vagabonde comme une œuvre de fiction pure, une fantaisie dans l'univers chinois, avoir quelques notions historiques apporte complexité et richesse pour une bande dessinée qui promet d'être remplie de rebondissements, de révélations.
Xia Da a assimilé les codes, le graphisme et la narration propre aux manga pour les faire siens, mais sans tomber dans les pièges de certains clichés récurrents nippons. Dans ce premier volume, l'héroïne est volontaire et ne se torture pas l'esprit sur des romances mièvres dans lesquelles elle hésite entre plusieurs prétendants masculins ; elle n'en a pas le temps. Elle n'étale pas non plus sa chair, ni ne gémit, coincée entre deux ronces façon tentacule phallique, ou n'est pas victime d'un plan seins, culotte, et elle n’est pas dévêtue par le jeune garçon qui l'accompagne en saignant du nez. Ça peut paraitre exagéré, mais certains manga possèdent d'excellents pitchs, de bonnes histoires, hélas plombées par les exemples cités.
Le travail éditorial d’Urban China est plus que correct : onomatopées traduites, quelques notes pour les termes difficiles… Le livre présente une intéressante postface de l’auteur qui explique d’où lui est venue cette idée de vengeance. L’absence de pages bonus avec chronologie et géographie de l’époque se fait sentir pour qui ne connait en rien cette période. Il manque aussi tout un lexique concernant les noms et les titres des fonctions chinoises : princesse Yongning…
Il faut noter l'oubli sur les premières planches de la bande dessinée jusqu'à la page titre du premier chapitre le texte qui introduit le lieu, la date, et les protagonistes (que l’on retrouve plus ou moins au dos du manhua) et que l’on peut traduire par :
« En 626, 9e année du calendrier impérial Tang, lors de la succession pour nommer le prochain empereur de la dynastie, le second fils de l'empereur actuel, Li Shimin, assisté de Du Ruhui et Fand Xuanling, assassine ses frères, Li Jiancheng et Li Yuanji à la porte Xuanwu au Palais Chengdu. Ce coup d’État — connu sous le nom du Coup de la Porte Xuanwu — assoit le règne de Li Shimin. Devenu l'empereur Taizong, il élimine les familles de Li Jiancheng et Li Yuanji. Personne ne parvient à s’échapper face à un tel adversaire. Une seule exception Li Chang Ge, la princesse Yongning, fille de Li Jiancheng. »
Proposé dans un format d'une taille plus grande que la majorité des bandes dessinées asiatiques en noir et blanc, sur un papier correct, des pages couleur et une reliure souple, on profite des décors détaillés de la Chine ancienne et de belles illustrations. Les planches, publiées dans le sens inversé par rapport à l’original [5], ne gâchent en rien la lecture. Reste que le prix, 12 euros, est un peu plus élevé que la moyenne pour les BD de cet acabit.
Ce manhua est une découverte plaisante, d'un niveau nettement supérieur et d'un intérêt certain par rapport à de nombreux titres chinois sortis par le passé. Malgré son graphisme peu personnel, mais fouillé, agréable et maitrisé, un découpage clair et énergique ainsi qu'une narration juste, on ne peut que souhaiter lire la suite des aventures de cette courageuse princesse. Dépaysement garanti.
Ce manhua est une découverte plaisante, d'un niveau nettement supérieur et d'un intérêt certain par rapport à de nombreux titres chinois sortis par le passé. Malgré son graphisme peu personnel, mais fouillé, agréable et maitrisé, un découpage clair et énergique ainsi qu'une narration juste, on ne peut que souhaiter lire la suite des aventures de cette courageuse princesse. Dépaysement garanti.
La princesse vagabonde, 1 volume, série en cours. Urban China.
[1] Le titre original est : Chang Ge Xing / 长歌行 (en chinois) et Choukakou (en japonais).
[2] Urban China est un label récemment créé, évoqué dans un précédent article qui présente succinctement la bande dessinée moderne d’origine chinoise : le manhua.
[3] La dynastie Tang (唐朝) a duré de 618 à 907 ap J.C. avec une interruption de 690 à 705, lors du règne de Wu Zetian.
[4] A ce propos, je vous renvoie sur ce lien détaillé.
[5] Les illustrations d’en-tête de chapitre sont restées dans le sens originale, de la droite vers la gauche.
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