La sortie récente du nouvel album d'Astérix, Le Papyrus de César, nous permet de faire le point sur la nouvelle équipe créative en charge des irréductibles Gaulois.
Astérix, créé par les célèbres Goscinny et Uderzo, fait sans doute office, avec Tintin, de légende indétrônable dans le domaine des classiques du franco-belge.
Depuis le premier album paru en 1961, le petit guerrier futé et son imposant ami gourmand ont parcouru, en 36 albums, un chemin considérable. Après la disparition de Goscinny, Uderzo s'était chargé pendant plusieurs années de la réalisation des albums, mais le véritable virage éditorial a eu lieu il y a deux ans avec la publication d'Astérix chez les Pictes, qui voyait deux nouveaux artistes arriver aux commandes.
En 2013, ce sont Jean-Yves Ferry (au scénario) et Didier Conrad (dessin) qui reprennent le flambeau. L'album est classique, les dessins très fidèles au style original, mais tous les fans ne s'y retrouvent pas.
Il faut dire que même la période "Uderzo en solo" a ses détracteurs et que l'attente des lecteurs est aussi grande que l'héritage lourd à assumer. Cependant, il est juste de reconnaître que la virée chez les Pictes comprenait quelques faiblesses.
Les gags tout d'abord semblaient un peu forcés. Certains éléments (comme la créature du loch) étaient cruellement sous-employés et le "méchant" attitré n'était guère charismatique. Il y avait bien quelques traits d'humour basés sur la découverte par les Gaulois de ce nouveau peuple, mais rien de transcendant et, surtout, l'aspect "aventure" était loin d'égaler certains classiques, tels que Astérix chez les Bretons ou Le tour de Gaule.
L'impression générale laissait à penser que les nouveaux auteurs connaissaient bien le sujet, qu'ils respectaient l'œuvre de leurs glorieux ainés, mais qu'ils peinaient à véritablement se l'approprier, peut-être victimes d'un cahier des charges trop strict.
Ah ça, c'est sûr. |
Qu'en est-il de ce nouvel opus, sorti il y a deux jours ?
Voyons déjà l'histoire. Alors que César est en passe de publier ses mémoires sur la conquête des Gaules, son éditeur lui conseille de ne pas évoquer le passage sur les irréductibles Gaulois d'Armorique et de retirer définitivement ce chapitre du livre. César, d'abord hésitant, accepte et les différentes copies du papyrus en question sont saisies. Toutes sauf une, qui tombe aux mains d'un "colporteur" Gaulois qui ne tarde pas à s'enfuir pour rejoindre... un certain petit village que nous connaissons bien.
L'intrigue repose donc essentiellement sur cette course au papyrus, organisée par l'éditeur et conseiller du grand César, qui sait qu'il risque de finir jeté aux lions s'il ne rentre pas très vite en possession du sulfureux chapitre. L'on a également droit à une thématique sur les horoscopes et la communication en général.
Là encore, on sent un certain classicisme dans l'écriture et le développement du sujet. La critique des pratiques actuelles, dans l'édition ou le journalisme par exemple, aurait pu être (même gentiment) plus poussée. Si l'aspect humoristique semble plus naturel, l'on conserve malheureusement un déroulement très prévisible et un enjeu finalement réduit. Même les traditionnelles engueulades entre Astérix et Obélix semblent forcées.
Des situations souvent très convenues. |
Passe-t-on pour autant un mauvais moment ? Certainement pas, mais il faudra sans doute encore quelques albums aux nouveaux venus pour établir leurs propres classiques, ce qui est tout à fait compréhensible (après tout, il a fallu attendre les troisième ou quatrième albums du tandem historique pour voir le niveau qualitatif grimper en flèche).
Plus que d'un essoufflement de la série, il serait donc plus juste de parler d'une nouvelle ère qui commence certes doucement mais semble prometteuse.
Il est cependant nécessaire de s'attarder sur une fausse polémique lancée de manière ridicule sur le site de L'Express, sous le titre abject et racoleur "Astérix est-il raciste ?".
Sous prétexte que les numides de l'album sont représentés avec des lèvres charnues, ou que le pirate Noir (célèbre vigie) s'exprime avec un accent, on nous parle de "racisme ordinaire" voire même de "tradition classique néo-colonialiste". Oui, cela pourrait faire hurler de rire si ce n'était pas si révoltant. Révoltant pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, voir le racisme partout, dans tout, et surtout là où il n'est pas, est insultant pour ceux qui en sont réellement victimes (Blancs comme Noirs), mais c'est aussi dangereux et, à terme, contre-productif. A force de crier au loup, on finit par se faire bouffer dans l'indifférence générale... c'est un peu connu comme principe.
Un voyage chez les Pictes sympathique mais manquant d'ambition. |
Ensuite, alors que les auteurs mettent en scène des Noirs dans une série humoristique, se déroulant dans l'Antiquité, on leur reproche, d'une manière absurde, d'en donner une vision passéiste ou ne correspondant pas aux critères actuels. Mais aux critères édictés par qui ? Des auteurs honnêtes, qui n'ont absolument pas l'intention d'insulter qui que ce soit ou de tenir des propos polémiques, sont mis en cause, tout cela parce qu'ils osent être... quoi ? Caricaturaux ?
Il manque un "r" dans cette phrase. C'est donc du 'acisme. |
Enfin, le comble est atteint quand, pour justifier cette attaque honteuse, l'auteur des propos fait appel au grand "philosophe" Lilian Thuram, qui vient nous dire qu'il ne s'est jamais identifié au pirate Baba. Et là, une petite explication s'impose. Ce que veut dire Thuram, implicitement, c'est que, comme il est Noir, il ne peut être heureux de s'identifier qu'à un Noir, donc à Baba, qu'il juge indigne. Mais... ne serait-ce pas cela le racisme ? Penser qu'un personnage doit d'abord être défini par sa couleur de peau ? Qu'est-ce qui, pour ce brave footeux, ne convient pas dans Astérix ? Car enfin, Baba est anecdotique, personne n'est censé s'identifier à lui, le personnage à qui le lecteur doit naturellement s'identifier, c'est Astérix lui-même [1]. Or, qu'est-ce qui l'en empêche sinon le fait qu'il soit... Blanc ?
Ben désolé, les Gaulois étaient pâles. C'est peut-être considéré comme du racisme aujourd'hui, mais pour beaucoup d'historiens, ça reste encore simplement un fait, dénué de signification idéologique.
Pour combien de temps encore ? Nul ne le sait.
Il convient également de préciser que ces polémiques font peser une pression immense sur les auteurs (au sens large, scénaristes comme romanciers), qui évidemment sont poussés à l'autocensure par crainte du qu'en-dira-ton, des tracasseries judiciaires ou de la violence quotidienne et incontrôlée des réseaux sociaux.
Et ça n'est pas gratuit tout cela, on en paie le coût.
La liberté de l'auteur est une liberté fondamentale. Moment d'évasion, source de culture, possibilité de catharsis essentielle, la fiction ne devrait être limitée par rien, ou presque. En tout cas, pas par des jugements à l'emporte-pièce, assénés par des petits juges moraux, pressés de couper des têtes au nom d'une Vérité qu'ils pensent absolue et qui conduit fatalement à un nivellement et un affadissement de l'écriture. Or, ici, nous n'en sommes pas à défendre une écriture osée, présentant un personnage détonnant, mais de simples et innocents éléments caricaturaux (utilisés aussi envers les Corses, les Hispaniques, les Amérindiens, les Anglais...) conspués par des benêts qui ne les comprennent pas et rêvent d'un monde artistique froid, lisse et contrôlé par une police de la pensée orwellienne. Une prison aseptisée en somme.
Il y a quelque chose d'ironiquement épouvantable dans le totalitarisme des bien-pensants, c'est qu'ils sont, au nom de leur certitude d'être dans le vrai [2], prêts à tout pour limiter ces libertés qu'ils pensent défendre.
Bref, la relève a bien du souci à se faire, entre les fans mécontents et les polémistes du dimanche, ils vont être bien secoués et ne sont pas au bout de leurs peines. Mais leur travail est respectable et contribue à faire vivre une légende de la BD. Rien que pour cela, nous leur tirons un casque aussi bas que gaulois.
Il n'est pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage.
Périclès
Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre.
George Orwell
[1] Ceux qui auront le courage de se taper les quatre minutes de platitudes et d'inepties présentes dans la vidéo de Thuram constateront qu'en réalité, Thuram trouve "bizarre" de ne pas s'identifier à la vigie et avoue avec innocence qu'il s'identifiait à Astérix (ce qui est tout à fait normal, c'est écrit comme ça, l'on s'identifie toujours au héros dans une fiction, quelle que soit son apparence physique, cf. cet article). Par contre, on sent que ça ne lui a guère plu, ou tout du moins que ça l'a étonné. Il dit à demi-mot, sans comprendre le sens profond de ses paroles, que cette identification le gêne. Et quelle est la cause de cette gêne, si ce n'est la couleur d'Astérix ? L'on peut imaginer sans peine le niveau de tollé si un quidam quelconque tenait le discours inverse...
[2] Un "vrai" carcéral, dangereux et fou, à la Brazil, qui ne s'embarrasse ni de réflexion ni de bon sens. Je me souviens d'une conversation où l'un de ces ardents défenseurs du "Bien" me disait que les chasseurs méritaient tous d'être exterminés. Je m'étais étonné de cette sortie violente et, bien que ne pratiquant pas la chasse moi-même, j'avais objecté qu'un chasseur qui mangeait ce qu'il prélevait ne méritait pas spécialement plus d'opprobre que le joyeux blaireau de base qui va acheter sans réfléchir sa viande sous cellophane, au Leclerc du coin. Mais pour ces extrémistes, tout est dans le symbole. La réalité ne les intéresse nullement tant qu'ils peuvent anéantir, au moins par le Verbe (et plus si c'est sans risques), ceux que la société leur a désigné comme étant les ennemis du moment.
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