Difficile de ne pas être attiré par Crystal sky of yesterday. Les couvertures, agréables, les couleurs à l’intérieur convient le lecteur à se plonger dans cette bande dessinée de Pocket Chocolat, paru en 2015 aux éditions Kotoji. L’ensemble est intrigant à bien des égards, laissant présager une expérience visuelle forte, intensifiée par le ton employé.
Chine, de nos jours. Tu Xiaoyi reçoit un appel sur son téléphone mobile. Un ex-copain de lycée l’invite à son mariage dans leur ville natale. Cette courte conversation immerge le jeune homme dans ses souvenirs et plus particulièrement lors de la terminale, cette dernière année fatidique, symbole du passage entre l’adolescence et le monde des adultes.
Dans la commune provinciale de Lanxi, durant les années 90, Tu Xiaoyi est un adolescent comme il en existe tant d’autres : rêveur, amateur de jeux vidéo, lecteur de manga, et des résultats scolaires dans la moyenne. Son quotidien, des plus banals, est un mélange de pression de ses professeurs pour qu’il s’applique dans ses études, de ses premiers émois pour la svelte Yao Zhetian, des rires avec son ami surnommé Peanut. L’arrivée d’un redoublant, Qi JingXuan va lui ouvrir de nouvelles perspectives sur l’univers qui l’entoure.
Crystal sky of yesterday est un manhua [1] intimiste, complet en deux volumes, publié par les éditions Kotoji. Cette œuvre n’est pas spécialement ce qu’il y a de plus révolutionnaire, mais le ton adopté tout le long du récit réussi à captiver, malgré la banalité des situations. La narration, qui suit les pensées de Tu Xiaoyi, tisse des liens entre diverses anecdotes, douloureuses ou non. Peu de personnes côtoient les héros, peu de lieux sont présents : les souvenirs ne sont que fragments issus de la mémoire sélective. Chaque étudiant possède ses tourments : le rebelle, Qi JingXuan, rejeton de l’inspecteur de l’académie refuse d’être un fils à papa ; l’unique jeune fille du manhua, Yao Zhetian, est écrasée par sa famille qui contrôle jusqu’à ses lectures… Les introspections de Tu Xiaoyi, les non dits appuient sur cette ambiance douce amère. Le chagrin d’amour n’est pas l’enjeu principal du récit, il fait partie d’un tout où les mal-être des adolescents se confrontent, se lient et s’explorent.
Cette bande dessinée chinoise possède un graphisme indéniablement influencé par les mangas, parfois vaporeux et éthéré, qui sied à l’évocation des souvenirs. La mise en couleur numérique maitrisée propose de magnifiques ambiances, teintées de mélancolie. Le dessin agréable oscille entre du croquis et des illustrations plus abouties. Quelques petits défauts au niveau des proportions des mains et des visages demeurent, mais les protagonistes sont expressifs et les émotions transparaissent dans leur attitude. Le découpage dynamique escamote au besoin le cadre des cases. Certains détails sont typiquement chinois : les uniformes scolaires (un survêtement), les bureaux des élèves dans les classes, encombrés de livres, qui laissent penser que ceux-ci restent à leurs places et ne changent pas souvent de salle, l’arrivée en gare d’un train à vapeur...
Le travail de l’éditeur est de très bonne facture : outre un papier qui fait ressortir les couleurs, la traduction est très fluide, le texte intégré dans les images, tout en conservant des onomatopées en chinois. Il est juste dommage que ces deux tomes, pas très épais, n’en soient pas devenus un seul et que le titre demeure en anglais. Quelques pages supplémentaires autour du système scolaire local auraient été un plus non négligeable pour découvrir une autre culture. Dans les livres, l’emploi de mots tels que "terminale", "bac", nous renvoi à notre propre culture. Mais qu’en est-il vraiment là bas ? Pourquoi ce type d’uniforme ? Comment se déroulent leurs études ?
Crystal sky of yesterday propose le temps de sa lecture une pause, un retour sur soi. Ce touchant manhua en huit chapitres invite à se remémorer les doux instants et les moments plus douloureux. Il montre qu’il faut apprendre à avoir du recul, à faire le deuil du passé, à l’accepter tel qu’il est pour aller de l’avant. Cette histoire ne critique pas le modèle chinois en lui-même ni ne le confronte au modèle occidental, ils exposent des faits universels.
Avec un concept simple, Pocket Chocolat (déjà publié chez nous aux feues éditions Xiao Pan avec Butterfly in the Air et Le Mont du Sud) nous offre des souvenirs teintés d’une douce mélancolie. Il s’interroge sur ce passage entre deux mondes, celui de l’adolescence — fin de l’enfance — et celui des adultes — une nouvelle vie, un saut vers l’inconnu.
Série en 2 tomes, 11 €, 122 pages, éditions Kotoji.
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[1] Terme chinois désignant la bande dessinée. Un article plus complet pour en savoir plus sur Umac.
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