Niceville

Un roman entre polar et épouvante, bien ficelé et savoureux : Niceville.

L'auteur, Carsten Stroud, a été flic et journaliste. Le genre à bourlinguer et s'inspirer de son vécu, ce qui ne fait que très rarement de bons auteurs (ce n'est pas ce que l'on a à raconter qui compte, c'est la manière de le raconter). Eh bien le mec est une sacrée exception parce qu'il est honteusement doué !
Cela se sent d'ailleurs dès les premières pages, où l'on bascule dans l'urgence et l'affolement suite à la disparition d'un gamin qui revenait de l'école.
Banale affaire d'enlèvement peut-on se dire, sauf que lors du visionnage de l'enregistrement d'une caméra de sécurité, les flics n'en reviennent pas de ce qu'ils découvrent. Le jeune Rainey, le nez collé à la vitrine d'une boutique, regarde son contenu. Il semble être saisi d'effroi, recule de quelques pas et... disparait. Personne ne le saisit, personne ne l'apostrophe, il ne sort pas du cadre, il s'évapore, tout simplement.
Il faut dire que les disparitions à Niceville sont anormalement élevées. Et comme si ça ne suffisait pas, un braquage qui a mal tourné a fait six morts. Les criminels sont dans la nature. Mais, aux alentours de Niceville, il n'y a pas que les malfrats qui rôdent.

Le mélange polar/fantastique (ou polar/épouvante) peut éventuellement décontenancer. Les amateurs de polars n'apprécient pas forcément le coté paranormal, et inversement, l'intrigue policière peut rebuter ceux qui recherchent uniquement le frisson et l'étrange. Pourtant, ici, c'est tellement bien foutu que l'on ne peut que dévorer ce roman avec un plaisir intact, du début à la fin. Les personnages sont assez nombreux, les sous-intrigues également, mais tout est si finement orchestré que l'on se laisse emporter sans réserve par le rythme haletant et les chapitres courts et nerveux.
C'est fluide, c'est agréable à lire, les personnages sont bien campés et les retournements de situation bien amenés. Le style de Stroud est tout bonnement implacable, l'auteur se révélant aussi à l'aise dans les dialogues que dans l'art consistant à faire s'entrechoquer les destins d'improbables salopards, installant même une hiérarchie, assez cynique, dans l'ignominie : du tueur intelligent et sympathique au maître-chanteur complètement con et lâche, en passant par le salopard sans scrupules mais malchanceux, les nuances de la racaille se savourent avec une délectation presque coupable.

Seul petit bémol, le personnage principal, Nick Kavanaugh, caricatural jusque dans son nom (des flics qui s'appellent Kavanaugh, depuis les années 80, j'ai l'impression d'en avoir vu défiler des milliers). Balèze, droit dans ses bottes, hanté par son passé, bel homme, bon mari, bon flic, faisant figure de mentor pour les jeunes recrues... c'est un peu trop, on aimerait qu'il ait au moins un défaut rigolo, qu'il ait peur des araignées ou qu'il louche bordel, quelque chose. Enfin, c'est vraiment pour ergoter, ça passe très bien dans les faits.

Niceville est en réalité le premier tome d'une trilogie (complétée par Retour à Niceville et Dernier voyage à Niceville). Attention, même si le lieu et son histoire ont leur importance, n'y voyez pas l'équivalent d'un Derry (cf. cet article), ce sont ici les personnages et - même plus - leurs actions qui fascinent le lecteur et façonnent ce thriller brillant.
Querelles anciennes, dealers, maris violents, secrets bien enfouis, espionnage industriel et apparitions fantomatiques ne sont que quelques-uns des éléments, très bien assemblés, qui composent ce roman à la réalisation impeccable.
On en sort repu et néanmoins pressé de se ruer sur la suite.

Oui, oui et oui !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • D'une efficacité phénoménale.
  • Fluide, dense et agréable.
  • Habileté dans l'orchestration des sous-intrigues.
  • Une petite pointe de cynisme pas dégueulasse.

  • Plus polar tout de même dans l'âme que véritablement "fantastique" (ce qui n'est un défaut relatif que pour ceux qui auraient souhaité un récit purement axé épouvante).
  • Le côté too much de Kavanaugh.