Un western qui n'en est pas un ; des dragons qui n'en sont pas ; une épouse qui n'en est pas une et même un indien qui n'en est pas un... aujourd'hui, on aborde Les dragons de la frontière de Gil et Harriet ! Une BD qui...
qui en est une. Si, quand même !
Un siècle avant la période sur laquelle se concentre généralement le western, donc, et pas vraiment à l'endroit de prédilection des aventures de cowboys que nous connaissons.
D'ailleurs, nul cowboy ici ; nous allons rencontrer des dragons ! Eh non, ceux-ci ne crachent pas du feu (quoique, vu le mezcal qu'ils s'envoient comme du petit lait, on pourrait imaginer que ça leur arrive). Les dragons de ce récit appartiennent au bien connu corps de cavalerie espagnol qui fut chargé de conquérir puis de sécuriser le Mexique. Couverts d'un lourd équipement de cuir les protégeant relativement efficacement des flèches indiennes et armés de lances et boucliers (regardez la couverture ci-contre, après tout, je ne vais pas tout vous expliquer !), ils étaient en quelque sorte les "chevaliers" de cette époque des guerres d'indépendance américaines.
Alors qu'un convoi arpente la longue piste nord-américaine reliant Mexico à San Juan Pueblo sous la protection de quelques dragons, nous faisons connaissance avec quelques-uns d'entre eux.
Commençons par le sergent Beitia El Chato, réputé pour sa dureté envers ses hommes. Cette dureté s'avèrera bien nécessaire pour les former à la rudesse de ce qui peut les attendre en ces territoires hostiles. C'est que cette piste est un rien moins accueillante qu'un chemin de grande randonnée : entre l'aridité des lieux, les crotales et les apaches, on a davantage là une carte détaillant les occasions de s'offrir une mort douloureuse qu'une liste d'étapes cosy où déguster une boisson rafraîchissante.
Vient ensuite le jeune cadet Miguel De Sasoeta, neveu d'un lieutenant-colonel de la cavalerie... cela ne lui accordera aucunement les faveurs de son sergent puisque ce dernier s'est précisément vu chargé par le lieutenant-colonel de jauger ce que peut bien valoir Miguel sous la fournaise du soleil mexicain et dans le feu de l'action.
Miguel, dans la fougue de sa jeunesse, va s'éprendre d'une passagère du convoi qui n'est pourtant en rien disponible puisqu'il s'agit de sœur Madeleine, une ursuline de la Nouvelle-Orléans... oui, le gars s'entiche d'une nonne. Un dadais, je vous dis ! Mais ce dadais a de la fougue et de l'astuce à revendre, ce qui va lui être bien utile par la suite.
Notons encore un autre personnage qui a mon affection : Cascabel ("sonnette", en espagnol), ainsi nommé pour l'étrange fétichisme qui l'anime. Le jeune dragon collectionne en effet les sonnettes de crotale afin que leur bruit fasse diversion lors des combats au corps à corps. Il est accompagné de Xika, petit animal que j'identifie comme une belette, qui traque les serpents pour lui.
Une troupe d'Apaches de la tribu des Mescaleros croise bientôt leur chemin et, suivant le plan de pacification du territoire édicté par le vice-roi, les dragons laissent pour ces indiens quelques litres de leur pire eau-de-vie. Maintenir les indigènes dans la dépendance alcoolique pour les contrôler fut en effet une technique couramment employée à l'époque.
Mais le chef des Mescaleros n'est pas idiot et a bien compris la manœuvre. Faisant mine de s'emparer de l'alcool et de commencer à s'enivrer, ses hommes préparent en réalité une attaque du convoi à la prochaine halte.
Lors de cette attaque trop furtive pour les dragons, qui étaient en train de se remettre de leur chevauchée, les Apaches emportent sœur Madeleine afin que leur chef puisse en faire sa nouvelle épouse.
Vous devinez la suite : impulsif et faisant fi des commandements de son supérieur, Miguel va partir à leur poursuite pour sauver la pauvre nonne. Son sergent, inquiet à l'idée de ne pas pouvoir ramener le neveu du lieutenant-colonel à son tonton, se voit contraint de partir à sa poursuite avec quelques hommes.
La suite de la BD narrera les affrontements entre ces Espagnols et les Apaches, la découverte des mœurs de ces derniers (y compris leur habitude de kidnapper des espagnols pour les rééduquer et en faire des Apaches) et les tentatives de sauvetage de la pauvre Madeleine dont le chef indien aimerait ne faire qu'une bouchée (haha !)... ce qui est sans compter sur les Comanches du chef Cuerno Verde qui vont bientôt attaquer les Apaches et s'emparer à leur tour de la pauvrette qui, décidément, passe une sale journée !
Nos amis espagnols parviendront-ils à la sauver ? Il faudra attendre la fin de ce diptyque pour le savoir, malheureusement...
Vous l'aurez compris, nous avons ici un récit d'aventures. Il a la grande qualité de n'être pas manichéen. La vie au Nouveau-Mexique est rude et sauvage en ces temps-là et c'est tout ce que la BD tente de vous faire comprendre. Même si elle est focalisée autour des dragons et de leur tentative de sauvetage, elle ne diabolise pas les Apaches ; son auteur, Gregorio Muro Harriet (La sueur du soleil), narre juste une histoire crédible (dont j'ignore si elle est oui ou non inspirée de faits historiques) impliquant de bons gars et des salauds des deux côtés...
Son trait est toujours aussi sûr, ses anatomies humaines aussi correctes et ses chevaux aussi bien faits (et ça, c'est une horreur à dessiner, les canassons !).
Le traitement graphique est d'un grand classicisme mais ce n'est en rien une tare. Un découpage en strips horizontaux très sage et une mise en scène des cases très académiques offrent à cette BD un aspect relativement intemporel.
Certes, on a ici une mise en couleurs des plus classiques, aucun effet de lumière, aucun dégradé de folie... Certes, ça me change des partis pris esthétiques audacieux des dernières BD que j'ai chroniquées ici... Certes... Mais c'est avec ce genre de mise en couleurs que j'ai rencontré la bande dessinée. C'est l'école européenne : efficace et sans fioritures. Et croyez-le ou non, ça fait plaisir de revoir ça de temps à autre.
Alors bien sûr, je n'aurais pas été contre des effets d'ombre et de lumière plus recherchés, par exemple, quand un soleil se couche sur ces très beaux paysages que Gil parvient très bien à restituer... mais ça ne suffit pas à entraver le plaisir de la lecture. Sans être réaliste, la palette de Garluk Aguirre, le coloriste, est néanmoins assez étendue et, objectivement, elle fait le travail.
Glénat nous offre ici un album intéressant, instructif, dynamique et soigné.
Si vous êtes de ces bédéphiles "à l'ancienne" ou si vous aimez la BD historique ; si l'histoire américaine antérieure aux pistoleros et aux shérifs vous intéresse ou si vous êtes simplement fan d'un des deux papas de ce projet, n'hésitez aucunement à l'acheter.
Pour ma part, j'avoue avoir pris du plaisir à en apprendre davantage sur ces "dragons" que je ne connaissais que de nom. Cette BD ne sera pas mon coup de cœur de l'année mais elle est parvenue à créer chez moi l'impatience d'en connaître la suite. C'est déjà une preuve évidente de son efficacité, non ?
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