Lady Kildare #1


Aria fait peau neuve et s'appelle Kildare, Lady Kildare.
On ne s'y attendait pas : c'est un Kildare surprise !


Oui, j'ai honte d'être aussi mauvais dès le chapeau de l'article mais que voulez-vous ? J'ai l'humour d'un vieux gars, vieux de plus de quatre décennies... et j'ai donc connu Lady Kildare lors de sa première édition française, sous le nom d'Aria (ce qui, d'ailleurs, pouvait prêter à confusion avec la sympathique série de Michel Weyland).
À l'époque, je collectionnais des comics paraissant chez Semic ou Editions USA et Aria côtoyait mes Spawn, dans la librairie ; c'était la même famille... mais le dessin me faisait penser davantage à mes Witchblade. 
J'ai plus d'une fois été tenté par les aventures de cette fée aux formes avantageuses, éprise du royaume des mortels... mais je n'ai jamais réussi à mettre la main sur la collection complète. C'était une époque où les comics étaient difficiles à trouver, en Belgique, dans les zones rurales comme la mienne ; quand on ne parvenait pas à mettre la main d'un coup sur l'intégralité de la collection, on se méfiait (et l'arrêt de nombre de collections et de maisons d'édition ne faisait rien pour nous donner tort).
Du coup, c'est avec surprise et intérêt que je vois débouler chez Delcourt la réédition intégrale de cette série. Mais, vingt ans plus tard, que penser de ce cocktail de récits merveilleux et horrifiques ? La sauce prend-elle encore ou a-t-elle tourné à l'aigre ? Les dessins sont-ils encore aussi beaux ? La narration de Brian Holguin n'est-elle pas datée ? Les planches ne souffrent-t-elles pas de la comparaison avec ce que Brian Haberlin dessine de nos jours (le très bon Marqués déjà chroniqué en ces pages, par exemple) ? Ma tasse de café est-elle prête ? Ai-je encore du sucre ? 
Delcourt a fait main basse sur tout ce qu'a produit Haberlin et c'est une excellente idée : il mérite de mieux se faire connaître auprès du public francophone. Autant laisser l'édition de ses œuvres à une boîte qui sait ce qu'elle fait et respecte le matériau (même si cet album contient une coquille sous la forme d'un mot écrit deux fois à la suite... mais rien de bien méchant). Mais ces aventures ont-elles intrinsèquement encore de l'intérêt deux décennies plus tard ?


De quoi qu'est-ce que c'est-il que ça cause-t-il donc ?


Le personnage central autrefois nommé Aria s'appelle donc désormais Kildare. Elle est princesse du royaume des fées mais ce qui lui plaît, ce sont nos châteaux, notre soleil, notre tequila et Iggy Pop... c'est une jouisseuse ! Alors, puisqu'elle sait passer de notre monde au sien, elle a opté pour le nôtre où chacun peut choisir sa vie plutôt que pour le sien où l'attendent son titre et les responsabilités de sa charge. Elle a fait une "Prince Harry", en somme... même si elle préfère l'alcool au thé Jacksons of Piccadilly. Et où est mon bon dieu de café ?

Nous rencontrerons également son meilleur ami : le Pug. Pas précisément du genre poète tout en finesse, le bonhomme chauve, moustachu et taillé comme un catcheur est un homme d'action : au poing ou à l'épée, il a l'habitude de gérer les problèmes sans finasser.
Interviendra également, en tant qu'élément très important de l'histoire, la cousine de Kildare : Gwynnion, dite Ginny la folle. La pauvre a une backstory horrible expliquant parfaitement son surnom... toute fée qu'elle puisse être elle aussi, on ne peut que comprendre son choix de se réfugier dans la démence.
Je pourrais aussi vous parler de James Christiansen, alias Magnus Magus, le mage de la bande et de bien d'autres encore car les personnages sont relativement nombreux.

La première histoire, elle (oui, c'est une anthologie, il y a plusieurs récits), pour tortueuse qu'elle puisse sembler, raconte juste le retour d'un ancien être maléfique et le combat qui va l'opposer à nos héros. La narration s'avère inutilement foutraque, un défaut que j'ai déjà constaté dans d'autres comics de l'époque : greffer des circonvolutions à une trame assez simple pour le simple plaisir de se donner des apparences de complexité semblait alors à la mode...

La seconde histoire, elle, est celle qui avait attiré mon regard à l'époque car elle met en scène un personnage iconique à mes yeux : Angela, l'ange chasseuse de primes que Todd MacFarlane et Neil Gaiman opposèrent à Spawn autant qu'ils en firent parfois une alliée de circonstance. Ce personnage (que je surkiffe, comme diraient les animateurs radio courant après une jeunesse qui ne les écoute pas) a été l'objet d'un litige juridique entre ses deux créateurs et c'est Gaiman qui a remporté les droits sur l'angélique créature... droits qu'il revendra à Marvel, ce sagouin ! Cela aurait dû enterrer la possibilité de voir le vraiment très sympa crossover entre Aria et Angela dans une anthologie Delcourt mais il y est pourtant bel et bien. Il semble que le nombre limité de pages où l'on peut voir Angela avec ses atours angéliques et le fait que l'on ait remplacé toutes les mentions à son prénom par "l'ange" ait suffi pour que cela arrive. Et c'est tant mieux ! Qu'est-ce que ce personnage claque ! Désolé, hein, mais je l'ai toujours aimée.
Ici, elle est réduite en esclavage par un être mystérieux qui s'avérera être une incarnation d'un mal qui rongea l'Angleterre durant la fin du XIXème siècle. En effet, si la première histoire nous est contemporaine, c'est sans compter sur le fait que Kildare est éternelle : la série peut ainsi s'offrir le luxe de raconter des épisodes de sa vie à différentes périodes historiques, à la façon d'une Highlander sexy, féérique, de sang royal et adepte de tous les plaisirs qu'offre la vie (avouez qu'elle est plus rigolote que Duncan, du coup !). Kildare et quelques alliés vont donc se mettre en tête de sauver cette créature céleste injustement martyrisée de façon indigne par un montreur de mystères à la tête d'une sordide foire aux monstres. Divertissant et même parfois défoulant, on sent bien que ce récit se veut plus anecdotique que le premier mais c'est pourtant bien lui qui, personnellement, a eu ma préférence. Au contraire du premier, il cache une certaine profondeur derrière sa simplicité apparente, ce que je trouve autrement plus habile.


Graphiquement, si les premières planches souffrent de quelques maladresses, on a quand même droit aux traits de Brian Haberlin (Witchblade, Spawn, Sonata, Marqués) et Jay Anacleto (Aria, Athena Inc.) qui n'est pas un manche mais qui s'avéra tellement lent qu'on lui joignit Roy Martinez (Loner, Smallville, Son of M...) pour lui filer un coup de main. Ca va du "très regardable" au "magnifiquement 2000". Certaines planches ressemblent tellement à du Witchblade qu'on s'y méprendrait... avec toutes les qualités que cela sous-entend mais aussi les quelques défauts inhérents à ce style comme ces physiques féminins semblant parfois ne se distinguer l'un de l'autre qu'à leur chevelure...
Pour le reste, sachez qu'un livret de 30 pages de nouvelles termine l'album, juste avant une courte galerie d'illustrations. Elles nous narrent des "anecdotes" de certains personnages. Étrangement, c'est celle de Kildare qui me plut le moins alors que celle de Pug, elle, m'a bien amusé et est parvenue à me rendre le personnage plus intrigant que le comic lui-même.

Au final, c'est une série qui n'est pas exempte de reproches mais elle fait le café. Ah ben tiens, le voilà !
Elle a les arômes de la génération de comics qui la vit naître. Pour quelqu'un de mon âge, la lire aujourd'hui a un étrange effet de jouvence : sa naïveté occasionnelle, ses héroïnes typées, ses effets un peu datés... Il n'y a rien à faire, si vous êtes vous aussi quarantenaire, ça devrait fonctionner : vous avalerez les memberberries et vous vous laisserez submerger par la nostalgie en lisant ces histoires authentiquement d'époque que vous aviez sans doute comme moi loupées. Si vous êtes plus jeunes, vous pourriez voir ça comme un témoin d'un passé intéressant mais, parmi les autres séries de mon adolescence citées en ces lignes, je vous en conseillerais d'autres si vous deviez parfaire votre culture "comics indépendants" des années 2000. La plupart étant d'ailleurs, elles aussi, au catalogue des éditions Delcourt.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un comic devenu témoin d'un passé intéressant.
  • La présence d'Angela, l'ange chasseuse de primes.
  • Un dessin globalement de qualité.
  • Une qualité d'édition au rendez-vous.
  • Une première histoire artificiellement rendue complexe par l'ajout de procédés lourds et patauds, heureusement contrebalancée par un second récit plus efficace et moins prétentieux.
  • Un dessin parfois maladroit.
  • Parfois un rien daté, quand même... mais si vous êtes un vieux comme moi, vous y verrez une forme de qualité.