"The groundbreaking, controversial SUPREME POWER returns !"
Impossible pour tout lecteur de comics de rester insensible à cette annonce. Personnellement, je suis tombé dessus et j'ai succombé : heureusement que l'album était dans une offre promotionnelle... Mais peut-être faites-vous partie des rares individus méconnaissant la série ? Alors un point de rappel il me faudra faire.Déjà, sachez que sur UMAC, on aime beaucoup Supreme Power. Et on adore J.M. Straczynski. L'artiste est à l'origine du relaunch de cette série Marvel de super-héros reprenant volontairement les caractéristiques de la Justice League chez DC. Le taulier vous en dira davantage dans cet article et ce dossier. Si vous avez la flemme de lire ce que Nolt vous a savamment concocté, je veux bien vous résumer l'affaire, mais c'est la dernière fois !
Quoi qu'il en soit, nous passerons sous silence la première tentative signée Roy Thomas & John Buscema dans les années 70 pour nous concentrer sur le projet mené par Straczynski et Gary Frank, son britannique compère sur l'excellente série Midnight Nation. En quelques épisodes, avec la maestria qui le caractérise, l'auteur dresse le portrait d'une Terre vierge de tout super-héros jusqu'à l'irruption de ce bébé de l'espace, qui va déclencher la mise en place d'un projet gouvernemental et, par effet de cascade, l'apparition de surhommes plus ou moins enclins à respecter l'ordre mondial. C'est dense, intense, parfois violent (édité dans la collection MAX, réservée à un public averti) et toujours pertinent : par exemple, bien qu'élevé par un couple d'Américains triés sur le volet, censés inculquer toutes les valeurs patriotiques à cet enfant tombé du ciel, Mark Milton (nom de code : Hypérion) est considéré par les autorités américaines à la fois comme un futur atout dans le conflit des superpuissances politiques et comme une menace contre laquelle il est nécessaire d'établir des protocoles de sécurité. Son éducation, fondée sur une succession de pieux mensonges, doit être la garante de la sauvegarde de la nation - car le scientifique en charge du projet sait dès le départ que l'humanité n'a rien à opposer à l'éventuelle fureur d'un Hypérion déchaîné. Outre ce garde-fou spirituel, on confie à un ancien soldat un cristal provenant du vaisseau qui amena Hypérion sur Terre : bingo ! Après de nombreux échecs, le cristal s'implante et confère au soldat des pouvoirs faramineux. Joe Ledger est promu, de caporal il passe à capitaine puis se fait connaître sous le pseudo de Dr Spectrum.
Évidemment, Hypérion étant loin d'être une buse, il finit par découvrir que son potentiel est si grand qu'il peut littéralement tout faire et il suffira d'une trahison et d'une révélation pour qu'il décide de s'en prendre à ses anciens garde-chiourmes. Spectrum s'en mêle et la conflagration qui en résulte dévaste une région entière. Selon le commentaire des militaires qui assistaient au duel de titans, les forces se mesureraient désormais sur l'échelle de Richter...
Cependant, le bon sens reprend ses droits et les deux surhommes vont accepter de coopérer dans un nouveau projet regroupant quelques-uns des humains améliorés qui sont apparus ces dernières années : le Squadron Supreme est désormais sur les rails...
En France, la série s'arrête à ce stade (et d'ailleurs les sites spécialisés la considèrent comme terminée) : un dernier album narre la confrontation entre l'Escadron et un potentat doté de pouvoirs de persuasion hors normes et nous promet des lendemains qui déchantent tant les tensions internes et les secrets rongent l'harmonie artificielle de l'équipe. En outre, plusieurs épisodes sortent de la continuité et se penchent sur des personnages annexes, comme Nighthawk. Et surtout, tous ne sont pas écrits par Straczynski, qui tarde à poursuivre son œuvre.
Toujours est-il qu'en 2011, aux États-Unis, la série renaît avec une nouvelle équipe créative et on reprend la numérotation à 0 (étrange réflexe commercial des pontes de Marvel). Supreme Power #1 à 4 est confiée à la charge de Kyle Higgins et commence par un constat douloureux : la Terre est désormais orpheline d'Hypérion. Contrairement au film Man of Steel, ici le héros est devenu un paria car au cours d'une entrevue au Sénat, tout a explosé. Seul survivant, il a préféré prendre la fuite (ah, ça vous rappelle Batman vs Superman, hein ?). Comme toujours, les USA se sont relevés de cet affront et c'est désormais ce bon vieux Ledger qui est proclamé héros national, revêtu pour la circonstance d'une tenue étoilée fort à propos. Que tremblent les ennemis de l'Amérique ! Spectrum est sur tous les fronts et lui, au moins, sera toujours loyal envers le drapeau qu'il a servi de toutes ses forces.
Tout irait enfin pour le mieux si deux problèmes, susceptibles de devenir de potentielles catastrophes, ne venaient surgir aux consciences des responsables de la sécurité. Tout d'abord, Ledger manifeste des périodes d'absence : il ne répond pas aux ordres et lorsqu'il refait surface, il ne se souvient de rien de ce qu'il a fait dans l'intervalle. Le Dr Spectrum maîtrise-t-il totalement le cristal extraterrestre ou ce dernier prend-il parfois possession de lui ? À surveiller impérativement. D'autant que l'autre problème risque de venir s'additionner au premier : une équipe de reportage n'a-t-elle pas formellement identifié, loin dans le nord de la Suède, un homme vivant en couple qui pourrait être Hypérion ? Si c'est vrai, si Hypérion est sur Terre, il va falloir jouer serré : car si Spectrum perd le contrôle, seul Hypérion a la possibilité de l'arrêter. Et il sera impératif de lui mettre la main dessus avant que d'autres États n'y parviennent. D'autant que, au même moment, un individu inconnu se met à exterminer d'une simple pensée les habitants des grandes villes européennes, au nom d'Hypérion...
Higgins avance ainsi ses billes dans un contexte géopolitique tendu, tout en évitant le piège du nombre : exit l'Escadron, revenons-en aux deux plus puissants des protagonistes. Les personnages ayant été bien dégrossis par Straczynski, il continue sur des principes similaires : les héros sont en proie au doute sur leurs origines et le bien fondé de leurs actions et ceux qui tirent les ficelles, les dirigeants de l'ombre, militaires et politiciens, savent qu'ils ne feront pas le poids si leurs marionnettes venaient à se retourner contre eux. Tandis que, derrière tout cela, déjà sensible dans les premières histoires de la série, le chant du cristal, à la fois pierre d'achoppement et point de jonction entre nos deux adversaires, se fait de plus en plus entendre, celui qui promet qu'un jour, il (Hypérion) ne sera plus seul...
Les quatre épisodes ne font pas dans la dentelle et exposent les enjeux internationaux que représentent le contrôle d'Hypérion et du Dr Spectrum. Ces deux-là se sont déjà affrontés, ont collaboré aussi : que vont-ils faire à présent ? Au nom de qui ? Les autres personnages gravitant dans leur sphère (la compagne de Mark, les supérieurs de Joe) n'ont pas la même densité, la même étoffe, se contentant de reproduire des paroles ou des réactions déjà vues auparavant. Les adversaires sont plus transparents, ou cultivent un mystère opportun.
Reste la partie graphique, et c'est là que le bât blesse - et pas qu'un peu. Manuel Garcia, s'il ne se prive pas de semer tripes et boyaux dans nombre de cases de combat, agrémentés d'énucléations et de démembrements, n'a pas la classe et l'élégance de ses prédécesseurs. Les visages sont grossiers, les silhouettes peu définies, les postures manquent de naturel ; le traitement d'Anna, la petite amie de Mark, est particulièrement calamiteux. Les cases recelant des scènes d'action peinent souvent à retranscrire la dynamique des pugilats, notamment au niveau de la profondeur, néanmoins Garcia propose quelques rares pages plus soignées, aux angles décalés (notamment de jolies plongées), qui viennent opportunément briser la routine de trop nombreuses cases en plan moyen et aux arrière-plans uniformes.
Une œuvre en demi-teinte, promettant beaucoup mais qui ne parvient pas à faire oublier l'impact et la profondeur de son géniteur.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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