Attention, cet album sent tellement les années 50 qu'il est très hautement déconseilléaux féministes 2.0 et aux hommes déconstruits...
Désolé, mais il me fallait commencer par cet avertissement-gâchette (je sais que ça ne veut rien dire mais il m'est impossible d'utiliser l'anglicisme consacré) : Marini nous sert ici 93 planches de récit noir à l'ancienne totalement incompatibles avec la mouvance woke qui germe dans les cerveaux de certains de nos contemporains. Laissez un seul d'entre eux en présence de cet objet et je vous garantis un flot d'anathèmes et d'appel à la censure (une fois de plus, ils préfèreraient sans doute un anglicisme suggérant une "annulation" auquel je refuse de céder).
Vous auriez droit à un festival : "misogynie", "objectification du corps de la femme", "virilité toxique", "tabagisme actif et passif", "ethnocentrisme", "valorisation du mâle blanc cisgenre"... en plus, le héros est blond alors je n'ose imaginer à quel peuple de "bons à rien" autrefois belliqueux ils l'assimileraient...
J'oublie sans doute d'autres accusations potentielles que pourraient porter ces petits tyrans de la rectitude morale mais le bref jeu de rôles consistant à me glisser dans la peau d'un des leurs n'a déjà que trop duré : j'y suis bien trop à l'étroit... il n'y a guère de place pour l'imagination et la réflexion dans un esprit étriqué ; je préfère nettement redevenir moi-même.
Oui, messieurs-dames (et autres ?) les ambassadeurs de la bien-pensance, cet ouvrage se présente dès sa couverture comme une approche en BD du roman noir et, par là, aligne tous les codes les plus courants du genre : on y suit un mec viril et sûr de lui et non un homme-soja déconstruit uniquement nourri au smoothie à l'avocat, ça clope à n'en plus finir et ça ne songe à aucun moment à passer à la vapoteuse, ça s'enfile du whisky et des femmes comme vous votre jus de papaye maison et vos plaintes contre de prétendues oppressions, les femmes y sont fatales et d'une rousseur incendiaire et non orgasmosceptiques et d'un bleuté douteux, ça se bagarre à coup de mornifles dans le tarin et non par le biais d'appels à l'ostracisation sur les réseaux sociaux, et ça grouille de blancs hétéros parce que les quartiers interlopes des USA dans les années cinquante ne ressemblaient pas à la fête de la musique dans les jardins de l'Elysée sous l'ère de Macron 1er...
Pourquoi commencer par ça ? Pour préserver la sensibilité de ce type de personnes, bien entendu...
Non, je rigole ! Pour qu'aucun d'entre eux n'envisage de lire ce livre, surtout ! Ce qui permettra peut-être à Noir Burlesque de ne pas subir les attaques injustifiées et les appels à la censure de ce type de lecteurs. Croisons les doigts et les orteils.
Avec cette BD publiée chez Dargaud, Enrico Marini (Le Scorpion, Rapaces, Les Aigles de Rome, Gipsy...) s'offre un plaisir coupable en plongeant dans une époque et un genre propices à tous les thèmes préférés de sa plume coquine : hommes charismatiques au menton carré et aux larges épaules avec moustache d'esthète à l'italienne en option et costumes impeccables obligatoires, femmes aux courbes affriolantes et aux décolletés plongeants, frime, bagarres et sensualité.
En terrain hospitalier envers son art, l'auteur nous dévoile ici une intrigue se déroulant dans les années 50. Tout commence très classiquement par un présent de narration où, dans une chambre d’hôtel, le gros dur du nom de Slick est assis dans un fauteuil, un revolver à la main, attendant l’arrivée de la très appétissante et bien nommée Caprice, la femme qui l’a trahi. Après un bref échange de sensualités quasi animales, une arme à feu est en jeu de chaque côté et un coup de feu retentit. Bien entendu, nous ne saurons que dans le tome 2 qui a tiré et si quelqu'un a été touché... Introduction on ne peut plus classique qui se clôt sur un mystère avant l'ouverture d'un flashback qui devrait sans doute occuper la quasi intégralité des deux tomes et expliquer, j'imagine, comment nos deux sulfureux protagonistes ont bien pu en arriver là.
Quelques mois plus tôt, donc, Slick foire un casse de bijouterie, non sans toutefois garder la classe et séduire la vendeuse (ah ben ça, tant qu'à enfiler les clichés, autant y aller franco). Le souci c'est que Slick doit de l’argent à son commanditaire, un certain Rex (Couché ! Gentil...), un boss de la mafia irlandaise forcément entouré de gorilles très agressifs et peu finauds, forcément charismatique, forcément propriétaire d'un night club où de belles plantes s'effeuillent entre deux morceaux de jazz et forcément fiancé à Caprice, danseuse burlesque dans ladite boîte de nuit dont le numéro finit forcément en nu intégral et, forcément, ex-fiancée déçue du beau Slick... Forcément !
Et c'est à ce moment-là que vous voyez arriver le reproche potentiel que l'on pourrait faire à la BD, non ? C'est en effet cousu de fil blanc sur fond noir : Marini semble se limiter à faire ronronner le moteur des grands classiques des films noirs des fifties et n'y apporte rigoureusement rien scénaristiquement parlant. Il en pousse même certains clichés jusqu'à leur paroxysme.
Vous ne me croyez pas ? Bon. Le héros doit être un tombeur, on est d'accord ? Je vous ai dit qu'il braquait une bijouterie et séduisait la vendeuse, n'est-ce pas ? C'est bien ce qu'illustrent les deux cases ci-dessus. Eh bien voici ci-dessous la scène de la fuite de notre héros par la porte de derrière, lorsque les flics arrivent...
Vous ne me croyez pas ? Bon. Le héros doit être un tombeur, on est d'accord ? Je vous ai dit qu'il braquait une bijouterie et séduisait la vendeuse, n'est-ce pas ? C'est bien ce qu'illustrent les deux cases ci-dessus. Eh bien voici ci-dessous la scène de la fuite de notre héros par la porte de derrière, lorsque les flics arrivent...
Voilà, voilà, voilà... on ne va pas s'attarder sur le fait qu'il avait bien commencé avec son masque dans le magasin mais que décidément ce roulage de pelle n'est "pas très covid", on ne va même pas s'attarder sur la galoche en elle-même qui doit intervenir environ quatorze secondes après leur rencontre, ce qui sous-entend quand même que le monsieur a un charme apte à faire bouillir un congélateur industriel...
Mais... on ne s'attarderait pas sur la dernière case, dites ? Bon... déjà par plaisir, évidemment, parce que Marini sait indéniablement dessiner les avantages de ces dames et que celle-ci soutient bien les arguments qu'elle avance. Mais, sérieusement : tu m'aides à m'enfuir, je te roule un patin en te forçant à moitié (quand on voit comme il l'empoigne...) puis je t'en remercie en glissant un collier de perles sans doute hors de prix dans ton décolleté pour acheter ton silence et tes services ? Ouah ! Bonhomme, toi, tu sélectionnes ton public ! Non parce que bon... je ne suis pas du tout membre du convent de sorcières auxquelles je conseillais de ne pas lire cet album en début de chronique mais même moi, là, je te trouve un peu trop macho-beauf pour me sembler sympathique !
Et ça ne va pas s'arrêter là, hein. Quand Slick a un reproche à formuler, il pète un nez ; quand on le menace d'un flingue, il ironise ; quand on le passe à tabac, il en redemande ; quand il retrouve une ex, il saute dessus ; quand il a couché avec une femme, il lui dit des saloperies au point de la dégoûter et de la faire déguerpir... Okay, c'est un gros dur très charismatique dont le principal trait de caractère est sa propension à mener sa vie une minute après l'autre. Normal, c'est un héros de polar. Mais là, Monsieur semble quand même être davantage contrôlé par son organe reproducteur que par sa matière cérébrale ! Moi, je l'aurais baptisé Pat Bita, comprenne qui pourra.
Puis cette femme, cette vendeuse (qu'on ne reverra jamais, hein, c'est juste un sexual relief basique)... mais regardez-moi, ci-contre, dans quel état elle se met : à moitié choquée, à moitié en pamoison, la main sur les seins pour bien cacher sa commission à la police. Le cliché de la femme vénale tout juste bonne à accepter les faveurs qu'on lui offre, quoi ! "Mais meuf, respecte-toi !", comme le dirait une de mes élèves.
Tout est de cet acabit. Loin de moi l'envie de le dénoncer, hein : je m'en amuse ! Mais le fait est que cette évocation des clichés des années 1950 arrive septante ans plus tard et que j'aurais imaginé un certain adoucissement de ces scènes. Parce que là, elles prêtent à sourire... ou à s'offusquer et faire un pipi nerveux si on est un jeune défenseur de maintes causes fleurant bon la moraline.
Tout est de cet acabit. Loin de moi l'envie de le dénoncer, hein : je m'en amuse ! Mais le fait est que cette évocation des clichés des années 1950 arrive septante ans plus tard et que j'aurais imaginé un certain adoucissement de ces scènes. Parce que là, elles prêtent à sourire... ou à s'offusquer et faire un pipi nerveux si on est un jeune défenseur de maintes causes fleurant bon la moraline.
Moi, j'aime bien ; ça change et ça me divertit. Tout ça rend la BD sympathique et lui confère une sorte de charme suranné étrangement déplacé.
Mais c'était bon à signaler : le scénario est assez confondant de banalité (même s'il est agréable pour qui aime le genre) et les personnages et les situations font tellement "d'époque" qu'on croirait presque à une parodie, par moments.
Venons-en maintenant à ce qui a toujours été ma motivation première lorsqu'il s'agissait de m'offrir un Marini : le dessin ! On connait la passion du bonhomme pour le rouge, ceux qui ont lu Rapaces (voir encadré en fin d'article) verront de quoi je parle, le cuir rouge semblant y être l'uniforme des vampires sexy. Ici, il l'utilise assez habilement comme couleur complémentaire dans une histoire en niveaux de gris. L'usage du rouge est évidemment le plus souvent porteur de sens, illustrant le sang lors des scènes de violence ou la sensualité de certains personnages féminins.
On reconnaît très bien la patte de Marini. Parfois trop. Comme avec l'ami d'enfance de Slick, devenu flic, et qui a quasiment la tête du Scorpion qui lui même ressemble pas mal à Drago de Rapaces.
Les arrières plans sont moins détaillés et offrent ainsi une sorte de flou de profondeur aidant à la lisibilité de chaque case.
Je n'ai constaté qu'une seule double page semblant étrangement moins qualitative (il s'agit des pages 70 et 71, pour ceux qui se procureraient le livre) : elle représente un plan large sur une rue comptant nombre de publicités et d'enseignes qui semblent vraiment tracées à la va-vite... un peu comme si le dessin avait été conçu comme un arrière plan pour une petite case mais s'était retrouvé à occuper accidentellement une double page où tous ses défauts seraient cruellement exposés.
Le reste est agréable à l'œil pour qui aime le trait de ce dessinateur, ce qui est mon cas. Je dois quand même avouer qu'il me semble que son travail est ici un rien moins bluffant qu'à son habitude au niveau de son tracé sur certains décors, par exemple... ou alors est-ce dû au fait qu'il doit généralement fournir des dessins dans des cases plus petites permettant à certaines imprécisions de passer davantage inaperçues.
S'ébrouant sur presque cent pages dans des planches aux cases gigantesques, Marini parvient à montrer beaucoup sans vraiment raconter grand-chose.
J'aime admirer le trait efficace de Marini et je suis assez client des récits d'ambiance. La BD m'a donc plu. Mais ce n'est pas nécessairement fait pour tout le monde comme je pense l'avoir fait comprendre.
Avant de vous quitter, je ne peux résister à faire un point culture pour les plus jeunes d'entre nous ; c'est mon côté pédagogue.
Le "noir" du titre vient des romans noirs (des polars, quoi!), comme vous l'aurez compris.
"Burlesque", par contre, n'est pas seulement le nom du cabaret où travaille l'incendiaire Caprice. "Burlesque" est ici le terme autrefois employé pour désigner les spectacles lors desquels on était assuré de voir des femmes s'adonner au strip-tease. Cela remonte à l'époque où Lili StCyr et Tempest Storm se dénudaient artistiquement dans les nigth-clubs de San Francisco. Lili StCyr est d'ailleurs citée dans cet album qui s'ancre, par là, dans le réel.
Voilà. C'est dit.
Une lecture agréable mais pas incontournable, donc.
Le "noir" du titre vient des romans noirs (des polars, quoi!), comme vous l'aurez compris.
"Burlesque", par contre, n'est pas seulement le nom du cabaret où travaille l'incendiaire Caprice. "Burlesque" est ici le terme autrefois employé pour désigner les spectacles lors desquels on était assuré de voir des femmes s'adonner au strip-tease. Cela remonte à l'époque où Lili StCyr et Tempest Storm se dénudaient artistiquement dans les nigth-clubs de San Francisco. Lili StCyr est d'ailleurs citée dans cet album qui s'ancre, par là, dans le réel.
Voilà. C'est dit.
Une lecture agréable mais pas incontournable, donc.
Rapaces, par Jean Dufaux et Enrico Marini.
Depuis quelque temps la police new-yorkaise doit faire face à des meurtres étranges. Des types sont vidés de leur sang et présentent la particularité d'avoir tous une aiguille plantée derrière leurs oreilles. Vicky Lenore, chargée de l'enquête, va alors plonger dans un monde sombre et sensuel. Celui de la Nuit.
Car depuis des siècles, ils sont là. Présents dans toutes les couches de la société. Ils sont puissants. Intouchables. Immortels. Ils peuvent même marcher au soleil. Mais en réfrénant leurs instincts primaires, ils se sont maudits. Leur race qui était naguère pure est en pleine dégénérescence. Leur règne s'achève. Et pour précipiter cette fin, les Rapaces sont là. Eux sont purs, forts, intacts. Le frère et la sœur sont les derniers des Molina. Les seuls Grands d'Espagne à avoir préféré, il y a très longtemps, la clarté de la Nuit à l'obscurité du Jour...
Le scénario des quatre volumes de la série Rapaces est signé Jean Dufaux. L'auteur met en place une histoire ambitieuse qui commence comme un polar un peu ésotérique et se termine en fresque épique. Sang et sexe se mêlent dans cette saga qui nous entraîne dans les bas-fonds new-yorkais, des égouts en passant par quelques night-clubs spécialisés dans le sado-masochisme. Et si l'on fait un petit tour par l'Espagne à l'occasion d'un flashback historique, c'est pour y retrouver la même atmosphère moite et pesante.
L'ambiance de la série tient bien entendu beaucoup aux magnifiques dessins de Enrico Marini. Les décors sont splendides, les angles de vue variés et son New York est fascinant, qu'il représente la ville dans ce qu'elle a de plus beau ou de plus laid. Même une épave ou un tas d'immondices deviennent subitement habités d'un charme certain sous son crayon. Quant aux quelques scènes où l'un des personnages masculins apparaît totalement nu, elles se drapent d'une simple et pudique beauté.
Il existe également un hors série assez particulier qui s'intitule Je reviendrai. L'ouvrage s'apparente à un artbook puisqu'il contient de nombreux dessins inédits, des croquis, une page avec les différentes étapes du travail (crayonné, encrage, colorisation), mais, et c'est là que la démarche est originale, le livre est accompagné de textes (souvent des réflexions des personnages principaux) qui éclaircissent certains points laissés dans l'ombre dans l'histoire principale ou qui posent les bases de futurs événements. L'objet n'est donc pas juste joli mais permet au lecteur de savoir vers quoi la série aurait pu s'orienter (celle-ci n'a pas de suite à ce jour).
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