Halloween Kills

Halloween Kills, réalisé par David Gordon Green, se situe dans l’univers façonné par John Carpenter. Il s’agit du onzième long métrage consacré au tueur Michael Myers et à la survivante Laurie Strode.
Comme tout film qui a donné lieu à une tripotée de suites, Halloween : La Nuit des masques (1978) a en son temps marqué les esprits par son approche du genre horrifique, en introduisant le tueur en série surnaturel, véritable incarnation du croque-mitaine (Boogeyman, en VO). Cette nouvelle mouture, Halloween Kills, et le précédent - sobrement intitulé Halloween - se placent dans la continuité de l’opus originel, balayant les visions proposées par les autres réalisateurs depuis près de 30 ans.

Prévus pour être une trilogie, Halloween (2018), Halloween Kills et Halloween Ends, le dernier à venir, offrent une conclusion au récit de Carpenter. Ils se recentrent sur la ville natale du tueur masqué, Haddonfield, ainsi que ses habitants, dont Laurie Strode — désormais sa némésis — et sa descendance.

Halloween (2018) replongeait dans les fondements de l’histoire écrite par John Carpenter et Debra Hill : Michael Myers a été arrêté après son petit massacre de 1978 [1]. Il moisit dans un asile psychiatrique jusqu’à ce que deux journalistes avides de scoops juteux l’appâtent avec son ancien masque inexpressif, le poussant à répondre à leurs questions. Cette scène d’ouverture, assez remarquable, métamorphose une interview en invocation : Michael Myers, vieilli mais toujours redoutable, est cerné par une sorte de frontière/pentacle qui délimite le territoire alloué aux fous dans la cour. Le journaliste endosse alors le rôle de l’apprenti sorcier appelant une force qui le dépasse. Myers s’extirpera de sa torpeur et commencera son massacre en fracassant la tronche de son invocateur !

Le récit tourne autour de la relation entre le tueur masqué et Laurie Strode (toujours incarnée par Jamie Lee Curtis), ainsi que sur l’obsession et la fascination qu’éprouvent ceux qui gravitent dans leur orbite, le journaliste, responsable de la transgression initiale, mais aussi le psychiatre de Myers. Le praticien ira même jusqu’à commettre un meurtre sur un policier pour organiser de manière artificielle la rencontre entre ce duo maudit. Laurie, névrosée, obnubilée par ce croque-mitaine, réussira de justesse à l’emprisonner avec l’aide de sa fille et de sa petite fille, dans sa maison transformée en piège grâce à la plus redoutable des armes cinématographiques : le hors-champ ! Cet opus met en avant un trio de femmes face à une menace transgénérationnelle implacable. Armées jusqu’aux dents, elles sont prêtes à tout pour se débarrasser de Myers. Mais peut-on tuer un croque-mitaine ?
Halloween peut servir de conclusion "heureuse" au film de John Carpenter. Le mal ayant été purifié par les flammes...

Le premier volet de cette trilogie exploite les rapports entre Laurie Strode et Michael Myers, enterrant au passage de manière définitive la parenté entre les deux [2]. Le second explore les liens qui existent entre la petite ville d’Haddonfield et son boogeyman, que plusieurs habitants ont eu le malheur de rencontrer.

Halloween Kills commence par la résurrection symbolique de Myers par le feu. Après avoir trucidé des pompiers (profession considérée comme héroïque), il reprend le chemin de sa ville natale. Laurie Strode, méchamment blessée dans le film précédent, n’est plus capable de s’opposer à lui. La tragédie de 1978 a laissé une empreinte indélébile sur la petite communauté et le retour de Michael dans les environs va attiser les haines et les passions. Les habitants de la bourgade décident d’en découdre, mais comment tuer le mal absolu ?
Ce second opus a déplu à de nombreux spectateurs si l’on se fit aux notes, avis et billets divers sur internet. Déroutant pour certains qui voulait admirer une Laurie surpuissante — alors qu’il ne s’agit que d’une vieille femme —, sentiment de trahison pour d’autres selon qu’ils aient adhéré à l’entièreté des films de la franchise ou qu’ils ne vénèrent que l’œuvre de Carpenter. Dans tous les cas, ils projettent leur idée du mythe canon sans comprendre qu’il n’y a que le réalisateur originel (à une certaine époque dans un certain état d’esprit) qui peut faire du "Carpenter" : toute tentative de se rapprocher au plus près de l’original aurait fait hurler au plagiat. Il est préférable de voir un auteur proposer sa vision, que l’on cautionne ou pas. Comme le mythe arthurien, chacun y va de son interprétation.

Si le film matriciel de Carpenter donnait dans la suggestion, ce nouvel opus est un des plus brutaux et des plus gore de la saga. Les meurtres ont lieu en plein cadre et jamais les coups n’ont été aussi douloureux. Cette violence exacerbée fait partie de l’esthétique choisie [3]. Ce déchaînement ahurissant nous rappelle que nous ne sommes rien d’autre que des morceaux de viande. Un être humain chutant de plusieurs étages ne rebondit pas sur le béton, il se brise et s’étale, n’en déplaise aux productions Disney/Marvel/DC, dont la vision de la violence "inconséquente" des super-héros n’est pas sans poser quelques problèmes moraux. Les conséquences sont ici exposées de manière crue et sans artifice, et c’est un choix radical qui acquiert tout son sens quand on le compare au cinéma de super-héros, car aux gnons sans une égratignure, Halloween Kills oppose un gore brutal, presque clinique, qui remet au cœur de la fiction la fragilité du corps, une des grandes thématiques de l’horreur... dont le slasher [4] est une (et pas des moindres) branche.

Sur le chapitre de la violence, impossible de ne pas relever l’inefficacité totale des armes à feu, la plupart des personnages visant mal, quand ils ne se tirent pas eux-mêmes dessus. Même un policier — pourtant entraîné — n’y parviendra pas dans une situation de stress extrême, tuant son coéquipier. Des scènes qui inspireront d’ailleurs quelques ricanements, mais là encore, Green connaît son sujet. Dans Diary of the Dead, Georges A. Romero avait exposé le paradoxe du film d’horreur comme cela : le spectateur a une longueur d’avance sur les protagonistes et se complaît à croire qu’il aurait fait mieux, alors qu’en cas de panique, celui-ci aura souvent le même genre de réactions instinctives et stupides [5]. D’où le peu d’utilité des armes à feu dans cet Halloween Kills : nos protagonistes sont des gens lambda, ils ne sont pas entraînés à faire face à cette violence. De plus, la perception qu’ils ont de celle-ci s’est souvent faite par l’intermédiaire du petit écran (Haddonfield étant une modeste ville américaine de classe moyenne, on peut supposer qu’aucun des protagonistes n’a eu affaire à plus dans son existence qu’à des joutes verbales ou hiérarchiques, rarement une bagarre.). Au surnaturel du croque-mitaine s’oppose la prosaïque réalité de l’humain.

Dès l’ouverture du film, policiers ou pompiers se font démolir par un Michael Myers qui possède littéralement la ville. Et si des gens entraînés se révèlent incapables de contrer ce monstre, ce ne sont pas des milices de "vigilantes" amateurs qui lui opposeront un antagonisme crédible. Toutes les tentatives héroïques seront méthodiquement sanctionnées par une mise à mort cruelle, quand elles ne vont pas déboucher sur l’exécution d’un innocent des mains d’une foule ivre de vengeance. Les protagonistes de Halloween Kills sont plus que jamais des victimes, de leurs conditions, de leurs illusions et de leur bêtise. Ils sont prêts pour la sentence expéditive du bourreau Myers qui retourne au bercail pour achever sa sinistre besogne.
La structure narrative du métrage oscillant entre passé et présent peut évoquer celle du roman ÇA, de Stephen King. Ce jeu de ping-pong entre deux temporalités, particulièrement réussies, consolide l’aura d’antagoniste légendaire de Michael Myers.

Dans ce film, Myers embrasse totalement son statut de spectre invincible : il ne fait que revenir dans sa maison pour revivre le drame fondateur de sa folie, comme l’indique le flash-back du début, en regardant son reflet superposé à la ville par la vitre. Mise en abîme du soi à l’infini, Myers est-il l’égocentrisme d’une société arrivée à sa quintessence ? À noter que si, dans le premier film, Myers symbolisait la pression sociale qui s’exerçait sur des adolescentes sur le point de devenir des femmes (le croque-mitaine punit les enfants pas sages ; MM tue-t-il les filles des années 70 qui s’émancipent ?), ici sa nature a changé. Il retrouve son statut d’incarnation de mal absolu [6]. Quelle que soit votre couleur de peau, votre orientation sexuelle, Michael Myers vous unira dans une atroce agonie, aussi brutale qu’elle est en général injustifiée et inexplicable.

Sur le perron de sa demeure, rachetée par un couple, se tiennent deux épouvantails parodiant le célèbre tableau de Grant Wood, American Gothic. Il représente un homme et une femme d’apparence austère, une fourche dirigée vers le ciel, devant la façade d’une maison de style gothique, où la fenêtre est occultée par un rideau en pleine journée. Ouvrant tout un champ de conjectures, la présence d’un détournement de cette œuvre intrigue. La position de l’outil indique qu’il protège les habitants et le bâtiment, mais de quoi ? Certaines interprétations penchent pour le Diable, la vertu de la femme (puritanisme oblige) ou les secrets inavouables. Le tableau a été peint en 1930, pendant une crise économique qui toucha durement le monde rural américain. Les personnages semblent aussi être en deuil de quelque chose. Au final, si les épouvantails ne préservent pas de Myers, la présence de ce tableau possède une signification.
David Gordon Green se sert sans doute de cette œuvre en écho à l’actualité et à la crise qui se déroule en ce moment pour faire rentrer la saga Halloween dans le gothique américain, quittant le cadre du slasher pour embrasser quelque chose de plus universel, à l’image de son croque-mitaine qui n’est qu’une "forme" indéterminée, une silhouette aussi anonyme que son masque (tous les personnages qui en parlent l’appellent littéralement "the Shape" en VO). 

Green place sa caméra à hauteur d’homme, avec peu de plans larges. Ce sera parfois un défaut pour la spatialisation des scènes d’action, mais il met un point d’honneur à travailler le ressenti de ses personnages plutôt que la compréhension directe des événements. Les nombreuses séquences de meurtre sont filmées avec une caméra fébrile, saisie de tremblements, accentuant la terreur des protagonistes confrontés à ce prédateur sans pitié. La vue subjective, habituellement dévolue aux tueurs, se déplace de manière maligne sur celle des victimes, amplifiant encore leur position d’infériorité, et la nôtre par la même occasion. Le réalisateur possède un certain talent pour caractériser en quelques plans les personnages, évitant ainsi de se perdre dans des discussions oiseuses. Le film étant par ailleurs mieux interprété que la moyenne du genre, on se retrouve devant des protagonistes bien campés, brossés en quelques répliques. Certes on n’atteint pas ici une profondeur psychologique à toute épreuve, mais le sens de la gestuelle et du détail compense le manque de temps d’installation. En revanche, on peut regretter une mise en scène très plate en ce qui concerne les dialogues (champs/contre-champs et basta...) qui leurs confèrent parfois, lors de courtes séquences, des airs de téléfilm.

N’en déplaise à ceux qui ont détesté cet opus, il semble que John Carpenter ait adoubé son successeur sur la franchise Halloween, d’une part en se taillant une place de producteur exécutif, mais aussi à la musique. Un poste qu’il n’aura occupé sur la saga qu’à l’occasion du deuxième et troisième volet, signe que le créateur de Michael Myers considère cette itération comme étant canon. Il nous offre donc une nouvelle variation de son thème culte hantée par des rythmes lancinants, des accélérations brutales et des riffs de basses dévastateurs. Un très bon cru Carpenterien qui prouve que le bonhomme n’a rien perdu de sa fougue musicale.

Après 40 ans, la saga Halloween traverse les décennies sans prendre une ride, ce qui en fait une des plus longues du slasher. Là où les Freddy & autres Jason Voorhes ont fini par ranger les lames, Michael Myers se montre particulièrement résilient au temps qui passe. Pensée comme le mal absolu anthropomorphe par John Carpenter, son abstraction s’avère féconde dans le sens où elle permet d’y placer tous les commentaires possibles et imaginables. Au fond, Michael Myers n’est qu’un révélateur du caractère humain. Malgré des hauts [et plus de bas], la franchise perdure et David Gordon Green se confirme comme un réalisateur capable de travailler la matière du cinéma horrifique pour commenter son temps, ce qui a toujours été une des plus grandes qualités dudit cinéma.



[1] 5 morts dans ce film-ci.
[2] Lien de parenté que John Carpenter avait installé dans le Halloween II de 1981, qui faisait directement suite à celui de 1978, et qui était selon lui une erreur. Il a toujours regretté cet ajout scénaristique. Michael Myers n’est pas mû par une quelconque haine pour Laurie. Elle n’est qu’une de ses victimes. C’est une force de la nature, indifférente au sort des humains qui l’entoure.
[3] Les excès du torture-porn, dans les années 2000-2010, ont plus ou moins étouffé le gore dans le sens où cette violence n’était encadrée par aucun projet esthétique. Les effusions de sang sont devenues une provocation un peu gratuite, satisfaisant les pires penchants voyeuristes des spectateurs. À titre d’exemple, le fameux Saw III (le premier n’étant pas si porté sur la boucherie et possédant pour le coup un propos) pousse très loin les manettes dans la violence crapuleuse, car gratuite. Le film d’horreur s’est ensuite réfugié dans une suggestion qui, si elle est de bon aloi, n’a pas tardé à se transformer en cliché vide de sens, ne fonctionnant plus que sur la recherche du jump-scare, autre technique putassière de petits malins. Une spécificité qui est devenue l’apanage des productions Jason Blum (dont, douce ironie, cette nouvelle mouture Halloween fait partie). Aussi voir débouler cet Halloween Kills très cru est une très bonne surprise, car ici la violence n’est pas seulement spectaculaire, elle fait partie intégrante du projet esthétique de son réalisateur qui porte son attention sur les conséquences de celle-ci.
[4] Un slasher, sous-genre du film d’horreur, met en scène les meurtres d’un tueur psychopathe, au visage parfois défiguré ou masqué, qui élimine les membres d’un groupe très souvent à l’arme blanche.
[5] Une des scènes d’ouverture du long métrage, qui sert aussi de note d’intention de la part du réalisateur, présente les protagonistes en train de tourner un film d’horreur dans laquelle les personnages courent, pourchassés par un seul zombie, lent de surcroît, et finissent par tomber dans ses griffes. Une séquence qui sera étrillée par leur professeur de cinéma jusqu’à ce qu’elle se répète à l’identique, mais dans la diégèse du film, alors que ceux qui se gaussaient accomplissent EXACTEMENT les mêmes erreurs que les personnages dont ils se moquaient dans l’introduction. Sauf que cette fois, ils ne rient plus, ils meurent...
[6] Cette thématique était déjà abordée dans un script non tourné d’Halloween II, que Carpenter avait confié à l’écrivain Dennis Etchison.

Article réalisé à partir du film projeté en salle.

+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • Le retour réussi d’une icône de l’horreur.
  • Une photographie soignée.
  • Du changement dans la continuité.
  • La musique de John Carpenter.
  • Un slasher jouissif bourrin et gore.

  • Sûrement trop gore et brutal pour certains spectateurs.
  • Une réalisation parfois plan-plan.
  • Un recours à l’explication dialoguée parfois embarrassant, d’autant que le réalisateur sait comment faire passer une idée, un concept par la force d’un simple cadrage. C’est un défaut (du cinéma) contemporain.