Fin 2019, L'ascension de Skywalker sort au cinéma. Ce neuvième épisode de la saga Star Wars a la lourde tâche de conclure une nouvelle trilogie extrêmement bancale, pour ne pas dire décevante, dont les coulisses de la création sont une aberration (voir encadré). Le long-métrage de J.J. Abrams tente de répondre aux interrogations soulevées dans les deux précédents volets (Le réveil de la Force et Les Derniers Jedi) et de finaliser l'ensemble des neufs films, regroupés sous le titre La saga Skywalker. Critiqué négativement pour plusieurs raisons légitimes – cf. encadré à nouveau –, L'ascension de Skywalker trouve une « seconde vie » à travers sa novélisation (en vente depuis juin 2020, puis au format poche depuis juillet 2021), qui comporte des scènes supplémentaires et des explications plus poussées. Mais cela « sauve-t-il » le film pour autant ? Critique.
Le roman de Rae Carson [1] reprend évidemment la structure du long-métrage, c'est-à-dire avant tout le parcours croisé de Kylo Ren et de Rey. Le premier découvrant que L'Empereur est toujours « vivant » (sous forme de clone) et qu'il manipulait Ren via sa création Snoke mais aussi les voix dans son esprit. La seconde se révélant être la petite-fille de Palpatine, expliquant ainsi les pouvoirs démesurés de la pilleuse d'épaves. Rey et Kylo Ren sont vecteurs d'une dyade de la Force, justifiant leur connexion mentale (et parfois « physique »). Leur relation si particulière prend sens. Autour d'eux gravitent bien sûr d'un côté la Résistance, d'un autre le Premier Ordre – Palpatine promet le Dernier Ordre à Kylo Ren s'il le rejoint, une armée de fidèles, gigantesque et puissante.
Une ultime bataille s'engage alors, naviguant entre plusieurs mondes. Sur la nouvelle planète Exegol, se terrent l'Empereur et ses sbires. Sur Ajan Kloss, se situent Leia et une partie de la Résistance. Sur Pasaana, endroit désertique, Poe, Finn, Rey, C-3P0 et Chewbacca vont retrouver Lando Carlissian afin de chercher un artefact pouvant les mener sur l'ancienne Étoile de la Mort ; sur laquelle se situe un autre objet précieux (un Orienteur) pouvant les conduire à Palpatine. Ils passeront aussi par les paysages enneigés de Kijimi où Poe croisera Zorii, son ancienne complice. Les lecteurs de Star Wars - L'ascension de Skywalker ont très certainement vu le film qu'il adapte (dont quelques affiches inédites ornent cette critique) ; inutile, donc, de nous attarder davantage sur le résumé.
Alors, qu'est-ce qui change concrètement ? Tout d'abord, l'ordre de certaines scènes. Ainsi, le livre s'ouvre sur l'entraînement de Rey puis la recherche de l'Orienteur par Kylo Ren ; c'est l'inverse dans le long-métrage. Cela ne modifie pas le fond, si ce n'est que la version romancée permet de s'attarder un peu plus et, de facto, de détailler quelques éléments. Ensuite, et c'est là tout l'intérêt du titre, il permet d'ajouter de nombreuses scènes (parfois incluses dans le scénario initial mais n'ayant pas été tournées ou bien coupées au montage pour réduire la durée de la fiction). Un chapitre est presque entièrement consacré à Zorii, montrant comment elle s'échappe de Kijimi avec Babu Frik avant de rejoindre le combat final sur Exegol. Un très long passage à la fin du roman explique comment Palpatine a pu survivre dans l'ombre et manigancer son plan. Kylo Ren croise une créature arachnoïde : l'Œil du marais Webbish (aperçue dans les croquis préparatoires du film). De quoi enrichir le bestiaire de l'univers et découvrir aussi le nom de certaines races, comme les Symeong (via Albrekh, alchimiste Sith qui reforge le masque de Ren) ou les Anzellan (Babu Frik, qui titille les circuits de C-3P0). Les pensées de Ben Solo étant exposées plusieurs fois (l'avantage du roman qui a un narrateur omniscient), on ressent mieux sa volonté de s'allier avec Rey pour être invincible à deux.
On note aussi que Wicket, le célèbre Ewok du Retour du Jedi, dialogue avec son fils durant la conclusion. Un moment drastiquement réduit dans la version cinéma puisqu'on ne sait même pas que les deux Ewoks présents à l'écran sont de la même famille ni ce qu'ils échangent… Il fallait se tourner vers un making-of dans les bonus du DVD/Blu-Ray pour comprendre que cette scène aurait dû être plus longue. Toujours dans la novélisation, on apprend également que Hux n'aime pas les cheveux de Ren (!), qu'il juge non réglementaire et on sait très tôt qu'Hux est le traître. Finn étudie les langues dont le shyriiwook pour comprendre Chewbacca, le droïde D-O parle ici « normalement » (pas besoin donc de répéter et traduire les sons qu'il émet), Lando apparaît un brin plus, Ochi de Bestoon est mentionné deux ou trois fois pour se raccrocher un peu à l'épisode VII, Rey a trouvé son pouvoir de guérison en étudiant les livres Jedi de Luke, son retour sur Tatooine à la fin est un peu plus détaillé, Ben Solo a grandi avec « Oncle Chewie » et a bien du mal à se concentrer pour lire dans l'esprit du célèbre Wookie, etc. Quelques « zooms » sur des figurants sont appréciables, comme la Capitaine Chesille Sabrond du Dernier Ordre, permettant de comprendre comment des humains sont voués à cette armée – « souvent des enfants d'Impériaux ».
Il y a donc un peu de tout, des ajouts pertinents mais aussi des anecdotes un peu insolites, pas forcément utiles… Voici pour l'essentiel de ce qu'on a retenu. C'est toujours appréciable bien sûr, mais il subsiste tout de même un goût d'inachevé.
Car même s'il était impossible de modifier l'ADN du film – qui tentait tant bien que mal de résoudre le puzzle d'incohérences initié dans les épisodes précédents – rien n'empêchait d'apporter une matière plus conséquente sur quelques frustrations évidentes. Par exemple, les Chevaliers de Ren ne bénéficient pas d'un développement poussé dans l'ouvrage alors qu'on aurait pu en savoir davantage sur eux en deux ou trois pages. Sans rentrer dans trop de détails, il était légitime d'attendre un enrichissement autour de ce groupe de mercenaires annoncés dès l'épisode VII (Le Réveil de la Force). Quelques uns sont nommés (Trudgen, Kuruk, Vicrul…) mais seule la bande dessinée L'ascension de Kylo Ren apporte un très bref éclairage sur eux. Rose aurait également pu être mise en avant suite à son rôle secondaire poussé dans l'épisode VIII (Les Derniers Jedi) mais elle reste ici cantonnée à de la figuration.
L'interprète de Leia, Carrie Fisher, malheureusement décédée avant le tournage du neuvième film. Ce sont des scènes coupées des précédents métrages qui sont donc dedans (et il faut saluer le travail remarquable des artisans numériques qui ont intégré cela avec une certaine fluidité). Le roman pouvait sans problème la rendre bien plus présente mais ne le fait pas vraiment. Elle intervient davantage pour communiquer avec Rey, surtout lors de ses entraînements, mais ça reste assez sommaire. Elle échange aussi avec Luke, ce qui est plus plaisant. Lors du combat final entre Rey et Palpatine, la jeune femme entend les voix de plusieurs Jedi qui s'unissent à elle. Dans le film, on reconnaît quelques timbres évidents d'acteurs/personnages, comme Ewan McGregor/Obi-Wan Kenobi. Le générique de fin révèlera d'autres prestigieux noms, provenant d'anciens films et des fictions d'animation, comme la série Rebels. Étrangement, aucun nom de Jedi n'est cité dans le livre alors que ça aurait ajouté un certain cachet – paradoxalement, plusieurs vaisseaux de la flotte de la Résistance sont, eux, expressément nommés (ajoutant quelques connexions avec l'univers étendu, comme le Ghost de Rebels justement, ou la pilote Zay Versio de l'Escouade Inferno, fille d'Iden Versio – cf. le jeu vidéo Battlefront II et le roman Renaissance…), un comble ! Bref, tout cela est dommage…
En revanche, quelques scènes fonctionnent parfois mieux, comme la fausse mort de Chewbacca. On n'y croit pas du tout dans le long-métrage puisqu'elle n'est pas montrée/filmée ; dans la novélisation, c'est plus délicat de le savoir et ça passe donc mieux mais… la probabilité de lire le roman avant de voir le film est quasiment nulle. Malgré les défauts de la réalisation de J. J. Abrams, on appréciait le spectacle de quelques séquences impressionnantes (des combats épiques) ou émouvantes (grâce à une certaine retenue et une musique soignée – même si la dramaturgie provoquée s'annulait souvent un peu plus tard comme lorsque l'on apprend que Chewbacca n'est pas mort ou que C-3P0 recouvre sa mémoire après son « formatage », etc.). Dans le roman, ces moments-là ne fonctionnent plus vraiment : il y manque l'accompagnement sonore et la mise en scène propres au support. Par ailleurs, comme on sait à peu près vers quoi on se dirige, il n'y a pas de surprise et on s'ennuie un peu, malgré un style d'écriture relativement efficace et un rythme correct.
En synthèse, la novélisation de L'ascension de Skywalker est, sans surprise, identique au film à 90% et donc, mécaniquement, ne le modifie pas suffisamment pour que l'entièreté de l'histoire en soit meilleure. Les 10% ajoutés ou modifiés sont globalement pertinents mais ça ne « sauve pas » pas l'ensemble (si tant est qu'on n'avait pas accroché au long-métrage bien sûr). Si vous aviez globalement apprécié la version cinéma et que vous êtes passionnés de Star Wars, nul doute que ce roman vous apportera un complément sympathique qui enrichit un petit peu l'univers.
Un autre livre pour comprendre les coulisses et aberrations de la trilogie sous l'ère Disney
La trilogie a souffert d'un remplacement de
plusieurs scénaristes d'une part et, surtout, d'un modèle d'écriture
type « cadavre exquis » d'autre part. Pas de concertation entre les
auteurs d'un film à l'autre (surtout entre Le Réveil de la Force et Les Derniers Jedi)
et pas de cohérence narrative globale... Il est incroyable de constater
cela dans les années 2010 pour cette célèbre franchise dans laquelle
tous avaient presque une carte blanche totale pour poursuivre un univers
déjà solidement installé ! Pour en savoir plus sur l'envers du décor,
nous vous conseillons le très bel ouvrage Star Wars - Disney et l'héritage de Georges Lucas,
de Thibaut Claudel chez Third éditions. C'est une synthèse très efficace, factuelle et
sourcée pour mieux comprendre ce qui a causé tant de problèmes. Le livre
balaye la nouvelle trilogie mais aussi les films spin-off comme Rogue One et Solo, ainsi que les projets de série, incluant le célèbre Mandalorian.
L'épisode IX, quant à lui, pioche dans une facilité scénaristique pauvre (le retour de l'Empereur) et un énième affrontement entre les Rebelles et l'Empire (enfin, les Résistants et le Dernier/Premier Ordre). Il loupe ses moments épiques (la fausse mort de Chewie, de C-3P0…) mais en réussit d'autres (l'apparition de Han, la mort de Leia, la scène de conclusion). Ses protagonistes courent après des MagGuffin inutiles et jamais mentionnés auparavant, changent de discours par rapport au film précédent pour rester un peu cohérent dans celui-ci, etc. Techniquement abouti, il manque d'une écriture solide et d'un développement soigné pour ses personnages – à l'exception de Rey et Kilo Ren, le binôme qu'on retiendra de toute cette nouvelle trilogie bancale et décevante.
[1] Elle a signé un autre roman Star Wars avant celui-ci en 2019, Mort ou vif, qui s'attarde sur les jeunes années de Han Solo et Qi'ra, tous deux étant au centre du film Solo. L'histoire se déroule donc avant le long-métrage et est canonique. Rae Carson est une habituée de la science-fiction et la fantasy : on lui doit, entre autres, la trilogie De braises et de ronces.
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