En ressortant trente ans après une copie magnifique d’un film qui avait totalement disparu de la circulation (mais pas de la mémoire de certains cinéphiles aguerris et un brin fanatiques), Rimini Éditions vous invite en ce mois de mars 2022 à partager une expérience stimulante, mêlant agréable découverte et nostalgie critique, consternation et fous-rires tout en glosant sur les nombreuses références parsemant le métrage, tant mythologiques (au gré d’un scénario fourre-tout mais diablement malin) que culturelles (par son casting qui engendrera irrésistiblement quelques petits cris de surprise au gré de ces visages-qui-nous-rappellent-quelque-chose-mais-c’est-qui-lui-encore ?). Car l’Autoroute de l’Enfer est assurément parvenu, tant bien que mal, après des décennies d’embûches et d’oubli, au paradis de ces petites productions pétries de bonnes intentions : celui des Films Culte.
Bim ! Le voilà qui tombe déjà, ce terme bien galvaudé. Et en quoi, je vous le demande, ce disque mérite-t-il ce titre parfois trop rapidement assimilé à l’Oscar du pauvre ? Cela tient en de nombreux facteurs, à son histoire ainsi qu'à l’appréciation de ses admirateurs (et il y en a !). Le fait est que, à l’instar d’un Rocky Horror Picture Show, prototype s’il en est de ce statut désormais envié, ce film a connu une histoire compliquée, une genèse difficile, une exploitation chaotique et des aléas de production qui ont failli le perdre à tout jamais, l’éradiquer de la surface mouvante d’une culture populaire pourtant friande de ce genre d’œuvres atypiques.
De fait, si l'on jette un œil sur la fiche technique, plusieurs éléments sont susceptibles d'attirer l'attention du connaisseur : d'abord, la société de production, Hemdale. Bon sang, mais c'est bien entendu ceux qui avaient financé les Platoon et autre Terminator ! On s'apprête à se régaler avant de se souvenir que, après le Dernier Empereur, cette firme avait connu d'énormes déboires financiers. Et d'ailleurs, le budget prévisionnel pour Highway to hell a bien vite été ramené à une somme modeste qui ne permettait pas, par exemple, de se payer le luxe de pouvoir faire tourner le tube mythique d'AC/DC en illustration sonore (ils ont tout de même pu conserver les droits pour le titre originel, qui n'avait pas encore été exploité au cinéma). Fausse joie, donc. Mais d'autres noms nous interpellent alors : le scénariste, Brian Helgeland... Hmmm, voyons, ne serait-ce pas... ? Mais oui ! L.A. Confidential et Mystic River, c'est lui ! Diantre, on a du lourd au programme ! Sauf que le chef-d'œuvre de Curtis Hanson date de 1997 et que le pauvre Helgeland, malgré le script prometteur du Cauchemar de Freddy (1988), avait fini par toucher le fond à Hollywood, cantonné à des petits boulots, s'accrochant à des illusions, espérant toucher le jackpot notamment avec le scénario de l'Autoroute de l'enfer, dont l'idée lui était venue lors d'une virée à Vegas.
Synopsis :
Décidés à se
marier malgré l’opposition de leurs familles, Charlie et Rachel se rendent à
Las Vegas. Ils vont croiser la route du sergent Bedlam, une sorte de flic
zombie qui enlève Rachel et disparait. Charlie découvre que pour retrouver sa
fiancée, il doit aller en Enfer…
Insérant nombre de ses préoccupations métaphysiques tout en conservant au maximum une orientation fun et décomplexée, Helgeland a dû vite déchanter. Le film a été tourné dans la précipitation, quelques semaines sur le site pourtant exceptionnel des parcs nationaux entre Phoenix et Page rendus célèbres par nombre de westerns de l'âge d'or du genre. Remaniant sans cesse son script avec la collaboration du réalisateur (un obscur Hollandais venu tenter sa chance sur les traces de Verhoeven) afin de coller aux directives d'un studio resserrant les cordons de la bourse, il a dû attendre trois ans avant qu'il soit enfin projeté dans un nombre ridicule de salles en Amérique, ne récoltant qu'un succès d'estime auprès d'un public marginal. Trop peu pour ses envies de grandeur, mais l'avenir finira par le récompenser.
D'autres ont eu moins de chance, à l'instar de Kevin Peter Hall (oui, oui, c'est bien lui qui est dans le costume du Predator face à Schwarzenegger) qui décèdera des suites d'une transfusion sans avoir pu se voir dans le rôle de Charon. Triste.
Mais explorons encore. Voici Steve Johnson, un expert des effets spéciaux "à l'ancienne" qui avait fait ses armes sur Abyss, et se retrouvera dans l'équipe des SFX de Spider-Man 2 : c'est lui qui est à l'origine du look incroyable du Sergent Bedlam, le "HellCop", ce flic balèze et mutique au visage scarifié (idée directement puisée dans l'imagier de Clive Barker). Voilà Richard Farnsworth, figure incontournable des westerns classiques, dans le rôle de Sam, le vieux solitaire qui tient la dernière station d'essence et qui connaît le secret de cette route déserte. Et plus tard on aura la surprise de croiser Ben Stiller (dans un double rôle d'ailleurs, où il se permettra nombre d'improvisations dont la plupart ont été coupées au montage).
Mais en dehors de cette histoire de film maudit, perdu, oublié et ressuscité, que vaut le produit proposé par Rimini ? Tout d'abord, il faut saluer la restauration : voici une copie propre, aux images pimpantes et notamment une superbe stabilité dans les rouges. Avec ce nombre important de séquences tournées dans les déserts du Nevada et de l'Utah, cette lumière crue, ces ocres uniformes, le bleu intense d'un ciel cobalt, le risque était grand d'arriver à des teintes trop saturées. Tant mieux pour les décors naturels, et tant pis pour les effets visuels dont l'intégration pique parfois les yeux. Cependant, on saluera le travail de maquillage de certaines créatures qui prouve l'amour de leur métier de plusieurs des artisans de l'équipe.
Reste au final un petit film au scénario malicieux : Charlie, tel un Orphée des temps modernes, s'en va en enfer retrouver sa bien-aimée enlevée par un flic trop empressé. Plus précisément dans une sorte de no man's land, un purgatoire où errent des policiers zombies, des hordes de nains mécanos, des clones d'Andy Warhol, où Cléopâtre joue aux cartes avec Hitler, tandis qu'une broyeuse découpe les corps de ceux qui empruntent le chemin pavé de bonnes intentions. Charlie, doté par un Sam compréhensif d'une arme et d'un véhicule, se fraiera comme il peut un chemin pour tenter de récupérer sa promise, se fourvoiera souvent (faut dire qu'il est crédule, un peu maladroit et pas très costaud), échouera, trouvera une aide inattendue en la personne de cet avenant garagiste impeccablement interprété par un Patrick Bergin troublant d'élégance cynique, avant d'atteindre le Styx et le point de non-retour au-delà duquel Rachel serait définitivement damnée. Puisant autant dans Hellraiser que dans Mad Max, Ate De Jong et Helgeland se sont avant tout accordés pour pondre une sorte de comédie horrifique, où l'humour est le fil rouge leur permettant les délires les plus tordus, les jeux de mots les plus graveleux et quelques dialogues complètement allumés. Si le ridicule n'est jamais loin, il est tellement assumé que ça permet de digérer plus aisément les petits ratages liés à un montage hasardeux ou à un budget trop restreint. Évidemment, c'est le genre de film qui s'apprécie encore plus en compagnie de copains suralimentés à la bière et à la pizza : si ses outrances font désormais sourire, son rythme demeure étonnamment tendu, ne laissant aucun véritable temps mort et parsemant le métrage de scénettes souvent franchement drôles.
Rafraîchissant et servi dans un superbe emballage (un coffret DVD+Blu-ray+livret). À voir par curiosité, nostalgie ou amour d'un certain cinéma, désormais écrasé par le poids des superproductions formatées. C'est disponible depuis le 10 mars 2022.
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