Le Club des Cinq en BD

À gauche, la série actuelle. À droite, celle des années 80. Et on ne gagne clairement pas au change.


Après l'excellent roman, destiné aux adultes, de Michel Pagel ou l'étrange produit hybride qui introduisait déjà une partie dessinée, nous nous penchons aujourd'hui sur le Club des Cinq en BD. Et plus précisément sur le premier tome de la dernière série en cours : Le Club des Cinq et le Trésor de l'Île.

Ce n'est pas la première fois qu'une série de bandes dessinées est tirée des romans écrits par Enid Blyton. La première série, comptant 6 tomes, date des années 80 et était scénarisée par Serge Rosenzweig, accompagné de Bernard Dufossé puis Carlo Marcello au dessin. Les albums bénéficiaient d'un style plutôt moderne pour l'époque et s'adressaient surtout à un public adolescent, voire adulte. Le scénariste, en 44 planches, bâtissait alors un récit dynamique, basé sur des personnages réalistes et légèrement plus âgés que ceux des romans pour enfant. Notons qu'il n'adaptait pas non plus les histoires de Blyton et se contentait de s'en inspirer en ciselant des intrigues plus adaptées au support et à l'air du temps.

La seconde série, en cours depuis 2017, est très différente au niveau de la forme. Tout d'abord, il s'agit d'adaptations strictes (enfin, pas si strictes que ça, on y reviendra) des récits de Blyton. Le premier tome reprend donc la fameuse histoire du trésor de l'île appartenant à Claude et conte sa rencontre avec ses cousins, à savoir François, Mick et Annie. 
Le scénario est l'œuvre de Nataël, les dessins sont de Béja (qui, accessoirement, est son fils). 

Commençons par la partie graphique. L'on a droit ici à une ligne claire élégante qui n'est pas sans rappeler un certain Hergé (impossible de ne pas penser à L'Île Noire en voyant la couverture ou certaines pages intérieures). Sur le plan visuel, c'est donc plutôt réussi, même si les visages sont un peu lisses et l'atmosphère bien enfantine en comparaison des planches parfois inquiétantes des volumes de la première série. 
Et malheureusement, tout le reste cloche un peu, voire beaucoup.



La typo choisie pour le lettrage, notamment celle des pavés de texte, est on ne peut plus dégueulasse (et à la limite de la lisibilité). On se demande bien pourquoi l'éditeur a ainsi opté pour cette police au style manuscrit hasardeux. Ça ressemble à l'écriture d'un gamin de cinq ans... très bon choix ! 
Mais surtout, c'est l'aspect narratif qui est terriblement maladroit. On a la fâcheuse impression d'assister en fait à un résumé de l'histoire. Les personnages sont survolés, les scènes réduites à leur plus simple expression, les pavés de texte cités plus haut viennent rajouter des ellipses désagréables à un récit qui manque déjà de liant et d'émotion. Tout va si vite, tout est tellement simplifié, que l'on en est presque au style "rapport de police" qui caractérise bien des récits d'amateurs peu éclairés. Pire, l'on est ici sur seulement 30 planches de BD. Ce qui explique certes le côté concis, mais pourquoi l'éditeur (Hachette) impose-t-il un si court format, quitte à précipiter une histoire qui démarre trop vite et n'a jamais le temps d'embarquer vraiment le lecteur ? Même si l'on destine cette version aux jeunes enfants, cela ne dispense pas d'un minimum de travail et de savoir-faire...

Le travail d'adaptation est lui aussi mal fait, voire absent. Cette histoire date, à la base, de 1942. Et elle a été adaptée en France pour la première fois en 1962. Que l'on prenne la version originale ou la version française, ces récits sont forcément datés et marqués par des règles (visant les publications pour la jeunesse) qui ont évolué. L'idée serait donc de moderniser un peu tout ça sur la forme, tout en conservant la force de la plume de Blyton, c'est-à-dire le côté "aventure & mystères". Or, c'est un échec sur toute la ligne. Non seulement le récit n'est pas dépoussiéré, mais, un comble, il s'avère poussif et ne parvient jamais à retransmettre les petits frissons de plaisir et de gentille inquiétude qu'il est censé générer. Cela n'a pas empêché un journaleux de Boborama de prétendre que cette adaptation était fidèle "dans le texte et l'esprit" aux romans de Blyton. M'enfin, quand on reprend la présentation de l'éditeur sans lire ce que l'on est censé chroniquer, forcément, ça n'aide pas. 

Bref, malgré de jolis dessins, voilà une BD qui regroupe exactement tout ce qu'il ne faut pas faire en matière d'écriture, à savoir balancer à la va-vite des personnages insuffisamment développés, le tout enveloppé par un scénario fait de fausses péripéties aseptisées et de transitions lourdingues.
À zapper d'urgence, repliez-vous plutôt sur le roman de Pagel, lui sait comment raconter une histoire.  

Un extrait de la première série, bien mieux écrite et bien plus respectueuse de l'esprit des romans.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des planches qui ne manquent pas de charme.


  • Une narration clairement déficiente et blindée d'ellipses maladroites.
  • Des personnages et une intrigue insuffisamment développés.
  • On se demande où est passé l'esprit des romans de Blyton et la magie du Club.
  • Pour couronner le tout, une typo de merde.

Teen Titans : the Judas Contract


Les Teen Titans, dans leurs différentes acceptions, ont constitué dès le départ une alternative intéressante aux grands récits dramatiques impliquant les héros tutélaires de l'univers DC : créés en 1966, ils permettaient de cultiver ce bouleversement spécifique à l'âge adolescent ainsi que les relations plus ou moins paternelles entre les membres de la JLA et leurs successeurs putatifs. Cependant, à l'instar des New Mutants construits sur des bases similaires, le succès n'a pas toujours été au rendez-vous malgré des équipes artistiques ambitieuses en charge des projets. La fin des années 1970 fut ainsi fatale à la première mouture de la série qui n'avait pas su trouver une véritable ligne directrice, avant de renaître en 1980 avec le duo Wolfman/Pérez.

The Judas Contract
constitue un bon point de départ pour qui souhaite appréhender l'équipe de jeunes loups costumés qui s'est constituée autour de Robin/Dick Grayson : l'extraterrestre Starfire, Changelin, Kid Flash, Wonder Girl, Raven et Cyborg. Une équipe pas encore totalement définie, qui se cherche une âme et des raisons de continuer après leur précédente action d'éclat contre les hommes de Brother Blood. Certains des membres ont des velléités de départ, d'autres choisissent de se mettre en couple ou cherchent à nouer des liens un peu plus forts que la simple camaraderie : le groupe est clairement dans un entre-deux et l'avenir leur apparaît incertain. Et, pour le coup, de nouveaux membres pointent le bout de leur nez... 

Sauf que le ver est dans le fruit, et l'un des nouveaux partenaires n'est pas sincère dans ses intentions : aucun suspense ici, puisque nous le découvrons très vite, même si ses motivations paraissent obscures (et ne cesseront jamais véritablement de l'être). Faisant bonne figure auprès de ses coéquipiers, le traître a tissé des liens étroits avec l'un de leur pire ennemi, qui lui-même est au service d'une organisation qui a juré leur perte. C'est beaucoup pour une équipe balbutiante dont le leader a encore du mal à s'affranchir totalement de ses anciens super-mentors (Batman et Superman) : un poids qui sera longtemps la pierre d'achoppement des aventures du futur Nightwing (cf. Grayson, agent of Spyral ou encore Batman & Robin Eternal).


La série a été d'ailleurs directement adaptée en 2017 en un film d'animation qui reprend une très grosse partie des éléments constitutifs, mais nous nous cantonnerons aux épisodes réunis en 2004 en album, disponible en version Deluxe ou chez Eaglemoss dans la collection DC Graphic Novels.

Avec le recul, les épisodes se suivent un peu péniblement : ça déblatère beaucoup, parfois dans le vide, Marv Wolfman semble ne pas vraiment savoir comment conclure son arc narratif qui a tout de la période de transition - et on aimerait parfois que l'intrigue avance plus vite. C'est l'époque qui veut cela, sans doute, alors que cette écriture pouvait probablement être plus facilement acceptée il y a quarante ans... Pourtant, nombre d'éléments dramatiques sont présents dans le récit : des décisions lourdes de conséquences, des morts, des départs et des secrets trop lourds à porter. Il faut admettre en outre qu'une grande place est laissée au développement des personnages, anciens comme nouveaux, avec des dialogues souvent juteux et percutants. On comprend que ce moment dans la série est bien plus qu'un simple intermède : il jouit d'ailleurs d'une excellente réputation car il pose les bases plus solides sur lesquelles The New Teen Titans seront bâtis. 

Il n'empêche que, pour ceux qui ne sont pas des fans absolus de ces héros juvéniles, la sauce a du mal à prendre et beaucoup d'intrigues semblent cousues de fil blanc. En outre, Raven est clairement sous-exploitée au point qu'elle est mise hors de combat beaucoup trop facilement, et il est impossible de nier que Grayson tire la couverture à lui (ses atermoiements, parfois pénibles, constituent le fil rouge de l'arc).

Quant à George Pérez, il est clair qu'il n'a pas l'aisance démonstrative de ses plus grands succès (cf. Crisis on Infinite Earths) et son trait toujours élégant reste trop souvent cantonné dans des cases étroites ; toutefois les déchaînements de Terra (qui manipule la terre et les forces telluriques) ont suffisamment d'impact pour annoncer des lendemains plus spectaculaires et l'on trouve çà et là quelques effets de groupe assez stupéfiants dont le dessinateur a le secret. Les amateurs de sa ligne claire y trouveront leur compte et apprécieront les détails dont il parsème nombre de ses planches. L'image choisie pour l'en-tête de l'article devrait vous en convaincre aisément.

Suivant les éditions disponibles, vous aurez la possibilité également de trouver un épisode bonus extrait de The Brave & the Bold  et datant de 1964, avec la première réunion de super-teenagers (Robin, Aqualad & Kid Flash). Malgré une mise en page assez aérée, on a vraiment du mal à se plonger dans ces récits d'un autre âge, à la naïveté confondante et aux dialogues désuets. Là, pour le coup, la nostalgie a bien du mal à nous faire avaler l'intrigue.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un moment important dans la construction de ce groupe de super-héros.
  • Une équipe artistique parfaitement rodée.
  • Des personnages confrontés à des décisions capitales pour leur avenir.
  • Des dialogues plutôt bien écrits.




  • Un suspense régulièrement désamorcé, soit volontairement (l'identité du traître) soit du fait d'une paresse d'écriture manifeste.
  • Des antagonistes manquant de charisme et aux motivations obscures.
  •  Un tempo un brin languissant.

Les personnages et leurs rôles dans L'Ombre de Doreckam





Attention, ce qui suit contient des révélations de nature à gâcher en partie la découverte du roman si vous ne l’avez pas encore lu.


Je fais partie des auteurs qui estiment que les personnages, dans un roman, doivent porter l’intrigue et être le vecteur essentiel des émotions et réflexions qui s’en dégagent. Il n’est donc pas surprenant que j’accorde un soin tout particulier au développement de ceux-ci. Pour les lecteurs qui souhaiteraient aller plus loin dans la compréhension des protagonistes de L’Ombre de Doreckam, je vous propose de creuser un peu le sujet en ma compagnie.


La fausse dualité Nolan/Vik
Deux personnages, Nolan et Viktor, occupent une place centrale dans ce récit. De prime abord, l’on pourrait les croire opposés : d’un côté, l’adulte, responsable, expérimenté, sûr de lui (au point de se tromper sur son propre collègue), de l’autre l’adolescent, tourmenté, mal à l’aise, découvrant les premiers émois amoureux et se cherchant encore.
Pourtant, ces deux personnages n’ont pas été pensés pour établir un contraste mais une complémentarité. Ainsi, si une certaine complicité s’installe entre eux, malgré la différence d’âge et la distance que peut induire l’incarnation de l’autorité représentée par Vik (qui porte tout de même un uniforme), c’est avant tout parce qu’ils sont la représentation d’un même état, à des âges différents. Tout comme Nolan, Vik se cherche encore.

Nolan est confronté à des problèmes relativement courant pour un adolescent : il se demande ce qu’il va faire plus tard, il est quelque peu maladroit lorsqu’il tente de se rapprocher de la fille qu’il aime, il est en opposition plus ou moins larvée avec ses parents… tout cela est normal puisqu’il est à un âge où il va se transformer en délaissant ses oripeaux d’enfant pour revêtir la tenue, plus ambitieuse mais plus terne et plus grave, de l’adulte. 
Vik est lui aussi à un moment clé de sa vie. Il se cherche encore professionnellement, a l’impression constante de ne pas être « à sa place », ce qui a même conduit à l’échec de sa relation amoureuse avec une femme dont il est pourtant épris. 
Si Nolan et Vik ont quelque chose en commun, c’est bien leur quête fondamentale de ce qu’ils sont ou pensent devenir. En confrontant ces deux personnages bien différents à la même problématique (qui suis-je réellement, quels sont les meilleurs choix pour moi ?), il ne s’agit pas de faire de Vik un adolescent attardé, mais bien de souligner que le processus d’évolution de l’individu ne s’arrête pas après l’adolescence. 
Si je suis certain d’une chose, c’est que l’on ne se remet jamais tout à fait de la perte de l’innocence (illustrée pour Vik comme Nolan d’une manière très violente dans le roman). Et qu’une fois les illusions de l’enfance perdues définitivement, l’on va de bouée en bouée, mais rarement d’île en île. Je veux dire par là que Vik, bien qu’adulte, a encore des incertitudes, des épreuves à passer, des problèmes à résoudre, et qu’il est balloté, comme tout un chacun, de statu quo provisoires en idées incertaines. 

Cette histoire sert donc de parcours initiatique pour deux personnages semblables, à des moments différents de leur vie. Vik, comme Nolan, va changer, se réaliser même, au cours du récit. Mais cette évolution n’est nullement présentée comme une fin en soi ou une issue heureuse. Ce que comprend d’ailleurs fort bien Nolan qui, même comblé, sent « quelque chose de triste et froid, comme une fine pluie de novembre, s’insinuer dans les briques de sa vie pour les éroder et en saper la nature profonde ». Ce qui marque, selon moi, ce que j’appelle « l’éternelle quête », aucun état n’étant, pour les drôles de bestioles que nous sommes, pleinement satisfaisant.

Je ne peux prévoir comment vous aurez abordé ces deux personnages, mais je les ai pensés en tout cas comme deux facettes d’un même état fondamental.


La relation Nolan/William
Ce qui existe entre ces deux personnages est de l’ordre de l’intime, presque du sacré.
Ils sont plutôt différents. Nolan est calme, intelligent, posé, mature, alors que William est parfois agaçant, il est prêt à expérimenter toutes les conneries possibles, il fanfaronne, se montre souvent surexcité (et très impulsif, notamment lorsque les Échaux sont bloqués au complet sur le château d’eau de la forêt des Archères), etc.
L’on peut donc légitimement s’interroger sur l’amitié qui lie ces deux-là (ce que fait également Mel, dans le roman). Or, ce qui les lie, c’est un fantasme absolu, un totem onirique : une amitié de Club des Cinq.
Si Nolan et William sont si proches, c’est pour deux raisons. 
D’une part, ils sont les derniers vétérans d’une bande qui se délite. Leur chef, Martin, n’est plus là. Hugo ne traîne plus avec eux. Ce qu’ils prenaient pour acquis est en train de se transformer… inconsciemment, s’ils restent proches, c’est parce qu’ils refusent de voir à jamais s’éloigner les rivages, terrifiants mais fabuleux, de l’enfance. 
D’autre part, Nolan et William ont connu des moments difficiles ensemble. Or, c’est ça qui soude. Le négatif. La peur. La douleur. Les larmes. On peut devenir frères d’armes, en partageant l’horreur de la guerre, mais on ne devient jamais « frères de Nintendo » ou « frères de Star Wars ». S’ils sont si proches, c’est parce qu’ils partagent les mêmes galères, la même lutte face aux monstres, fantasmés ou réels. 
Ainsi, Nolan et William sont liés par des sentiments communs, parfaitement reconnus et partagés, telle une phéromone humaine et magique venant titiller leurs sens. Malgré tout, et pour illustrer et soutenir la thématique du Temps, horreur ultime mettant fin à tout, j’ai tenu à ce que même cette relation forte soit perçue comme provisoire. Nolan, notamment, se rend parfaitement compte que ce qui les lie, William et lui, finira par se distendre. 


Les personnages féminins et l’encrage ultime
Contrairement à mon précédent roman, Le Sang des Héros, dans lequel les personnages féminins étaient centraux et se partageaient le « haut de l’affiche » (Amber et bien entendu Kiera), les femmes de L’Ombre de Doreckam ont un rôle plus discret mais subtil et particulièrement important.
Au milieu du chaos, de la tourmente, je souhaitais présenter des phares dans la nuit, des femmes à la fois intelligentes, courageuses, essentielles, qui permettent à ceux qui les côtoient (et les aiment) de franchir des caps. Ainsi, Vik va se réaliser pleinement quand quelques mots d’Inès vont lui permettre de franchir un cap qu’il avait du mal à passer, malgré les faits. Alors que son collègue l’avait averti, alors qu’il avait recueilli lui-même des éléments inquiétants, alors même qu’il sait ce qui se trame grâce à l’intervention de Pandora, il faut un simple coup de fil d’Inès pour qu’enfin il passe à l’acte. Sans elle, il demeure inactif. Elle est l’étincelle qui permet de vaincre la pesanteur de la Nuit. 
Nolan, lui, va être positivement secoué par Mel, qui lui permet de concevoir sa vie, jusque dans ses propres centres d’intérêt, différemment. Mel, malgré son âge, est infiniment plus mûre que Nolan. Elle voit immédiatement quels dangers il a dû affronter lors de la première « grande » confrontation avec les Archères, elle lui fait comprendre qu’il est responsable de ses propres lacunes, elle lui permet de s’autoriser à croire en ses rêves tout en lui permettant de garder les pieds sur terre. 
Même Alice, qui a un rôle secondaire au sein des Échaux, va servir de lien et de détonateur essentiel dans la seconde partie du récit. C’est elle qui tempère, en raisonnant Nolan et William quand ils en viennent aux mains, c’est elle aussi qui va à leur secours et leur permet de « s’illustrer » en désarmant l’un des servants de l’Ombre.


Richard, la tête dans les étoiles, la cervelle sur le crépi 
J’avoue que, dès le départ, je me suis fait plaisir avec ce personnage complexe et étonnant.
À écrire, ce fut un pur plaisir tant il recelait de facettes. Et tant celles-ci étaient cachées.
Au début, c’est un faire-valoir antipathique, qui met parfaitement Vik en valeur, à un moment où le lecteur doit découvrir Vik et s’attacher à lui. Puis, l’on découvre progressivement certains aspects de Richard, plus étonnants (il n’est pas « monolithique »). Enfin, l’on finit (si je me suis bien débrouillé) par s’y attacher. 
Richard n’est pas un monstre, pas un type parfait non plus, mais il est le genre de personne qui peut facilement être mise à l’écart, par des gens « très bien » pour des raisons qu’ils estiment « très bonnes ». 
S’il y a bien des personnages terrifiants et fondamentalement mauvais dans L’Ombre de Doreckam (ce qui n’était pas le cas dans Le Sang des Héros, ou même les pires « salauds » avaient un côté humain et pouvaient justifier leurs actions), il en est aussi de plus troubles, que l’on ne saurait classer sans se tromper. Richard incarne le droit à l’erreur, à la complexité, au non-dit, au revirement… à l’intelligence réelle mais non immédiatement perçue. Il est ce type que l’on va juger, vite et mal, en se basant sur quelques minutes où il est énervé, où il souffre, où il fait n’importe quoi… et en oubliant qu’il est aussi bien plus, infiniment plus, que cela.
Attention, Richard n’est pas une excuse pour les salauds qui se comportent mal. Il est un plaidoyer pour les gens bien qui échouent à démontrer qui ils sont. 


Achil & Bartosz, du relatif et de l’absolu
Achil et Bartosz tiennent évidemment une place non négligeable dans ce roman. Bien des lecteurs, j’en suis certain, les identifieront comme d’identiques et parfaits salauds. Et pourtant… ils sont foncièrement différents.
Achil (comme nombre de personnages du Sang des Héros) est le produit de son environnement. C’est un gamin qui a morflé, trop et trop tôt. Bien évidemment, ça ne l’excuse en rien, il est totalement responsable des saloperies qu’il commet. Mais, au moins, l’on peut comprendre comment, par faiblesse, il en est arrivé là.
Bartosz, lui, comme le dira à un moment Nolan, « n’a rien d’humain ». Il incarne ce Mal, si poussé, si fou, qu’on lui accorde volontiers une majuscule à l’écrit. Bartosz est écrit et décrit plus comme une entité qu’un être humain tel qu’on l’entend habituellement (même si ce genre d’être humain existe malheureusement dans la réalité). Il est le lien direct entre notre monde et l’Ombre. Celui qui n’est dégoûté par rien, celui qui s’en prendra à la plus innocente victime pour le seul plaisir de faire souffrir et ressentir sa propre puissance. Celui que même son caïd de frère, bien barré lui aussi, estime être « taré ». Lorsque l’albinos balancera sa longue litanie à Vik, énumérant au passage de nombreux monstres réels ou issus de la fiction, c’est d’ailleurs le seul personnage du roman qu’il citera expressément, prétendant être l’incarnation du « Bartosz éternel des cours d’école ». 
Bartosz est sans doute l’un des personnages les plus terrifiants que j’ai eu à écrire. Du genre que vous ne voudriez jamais rencontrer. Mais il est nécessaire, non seulement pour faire le lien avec l’Ombre, mais aussi pour incarner cet égout de la pensée que l’on a tous en nous. Lui n’a pas mis de couvercle sur ce qui pue ou écœure, au contraire, il s’en amuse et patauge dedans. 


De l’Ombre et de la Lumière
L’albinos, et au-delà l’Ombre qu’il abrite, forment bien entendu l’entité antagoniste du roman. 
Il s’agit d’une créature faisant partie d’un vaste univers de fantasy dont je développe le background depuis des années (et dont on peut retrouver des éléments dans mon recueil de nouvelles, Jour de Neige, notamment dans les récits Plus léger que l’air, plus lourd que les larmes ainsi que La chose qui fit trembler d’effroi un vampire). Les Ombres sont des créatures créées par l’un des Maîtres d’Ambre, des entités cosmiques à l’origine de tout, ou presque. Si l’on peut penser les Ombres gratuitement néfastes, elles ont en fait un but (qu’elles poursuivent sans pour autant parfaitement le saisir) : celui de saper les bases de la réalité pour retourner à l’Informé. L’Informé étant un néant originel, contenant tout sous forme d’information pure mais ne recelant aucune forme concrète. Ce concept d’Informé, au sens multiple, s’inspire aussi bien du bouddhisme et du nirvana (un état qui se dit « nehan » en japonais, étonnant, non ?) mais aussi de certaines hypothèses scientifiques impliquant une origine mathématique de l’univers (de l’information pure serait, peut-être, à l’origine du Big Bang).
Je ne me suis évidemment pas servi de tous ces éléments contextuels dans le roman, ils n’y auraient clairement pas eu leur place, mais j’aime assez savoir que je pourrai expliquer certaines zones d’ombre (c’est le cas de le dire !) par la suite, dans une autre histoire. 
L’Ombre est également une référence directe aux concepts développés par Vogler, notamment ce que j'appelle les fonctions archétypales narratives. L’ombre, dans un récit, est censée représenter ce que le héros affronte. Cela peut être aussi bien un réel « méchant », comme Dark Vador ou Keyser Söze, mais cela peut aussi être un ouragan ou une simple timidité que le personnage doit vaincre. Sans ombre, il n’y a pas d’histoire, car pas de problème à résoudre. Il m’a semblé amusant que cette Ombre, profondément métaphysique et fantastique, puisse aussi avoir un pur ancrage littéraire technique. 

Comme vous pourrez le constater, l’Ombre n’est pas un « ennemi » traditionnel. Même s’il y a bien une forme d’affrontement physique à un moment, la nature de ce monstre est si différente de la nôtre qu’il peut agir d’une manière très subtile, voire invisible. L’Ombre, sous la forme de l’albinos, va utiliser essentiellement les livres pour influer sur les événements. Elle utilise une forme de magie très ancienne qui, sous forme de mots clés, va ouvrir certaines portes dans l’inconscient de ceux qui auront eu le malheur de porter le regard sur les pages des livres « infectés ». L’Ombre a toujours de nombreux coups d’avance, elle se sert des humains comme de pions, qui en tombant, vont entraîner la chute d’autres pièces…
La seule limite au pouvoir de nuisance de l’Ombre est finalement sa nature même. Elle doit respecter certaines règles implicites, qu’elle suit instinctivement, et ne peut rester trop longtemps au même endroit (car elle déforme alors directement la réalité au lieu de précipiter subtilement la perte des êtres dont elle se joue).

Bien entendu, l’Ombre est avant tout un révélateur dans ce récit. C’est elle qui permet l’évolution de Vik et Nolan. C’est elle aussi qui symbolise les effets dévastateurs du Temps. La fin du roman, plutôt amère, montre aussi que ce qui était dit sur elle (sa nature même l’oblige à l’emporter) est rigoureusement exact, même si Vik et Nolan ont certainement réussi à limiter en partie les dégâts. 


Donald, ou le regard de l’innocence
Tout comme Blitz dans Le Sang des Héros, le handicap de Donald le rend d’une certaine façon innocent. Son retard mental l’oblige à porter un regard naïf et dénué d’arrière-pensée sur le monde. Comme le dira Richard, Donald est sans doute le seul véritable innocent dans Doreckam. Par contre, au contraire de Blitz, qui tenait un rôle important dans Le Sang des Héros, Donald n’est ici qu’un personnage secondaire, ballotté par des forces qui le dépassent. C’est non seulement un pion aux mains de l’Ombre, mais c’était aussi déjà un martyr de par son état et le harcèlement constant dont il faisait l’objet. Donald permet ainsi de montrer l’impuissance des êtres ou des institutions face à la nature sauvage et au manque de compassion de certains. 
Il me permet aussi de mettre en scène une théorie que je défends et estime toujours vraie : le monde des enfants n’est régi que par les enfants. Et bien souvent les pires d’entre eux. Les adultes se persuadent qu’ils gardent le contrôle et protègent, mais les cours d’école leur échappent aussi sûrement que les satellites de Jupiter. 


Pandora Alegory Mitternacht
Voilà un personnage qui ne fait qu’une brève apparition, et dont Vik va même douter de l’existence. 
Il s’agit là encore d’un protagoniste issu de l’univers de fantasy que je développe et auquel je faisais référence plus haut. Cette femme fait partie des Mentors, qui sont une caste de guerriers maîtrisant parfaitement l’inerr, une force intérieure comparable au Ki japonais ou au Chi chinois. 
Le nom de Pandora est hautement symbolique. Pandore – si l’on en croit la mythologie –, poussée par la curiosité, va être à l’origine de bien des maux sur Terre. Mais aussi de l’espérance. C’est elle qui révèle la vérité à Vik sur ce qu’il doit affronter, mais c’est elle aussi qui lui insuffle une forme d’espoir (« Puisses-tu me pardonner pour la charge que je fais reposer sur tes épaules, Viktor Vanila de Doreckam. Mais je t’en sais digne. »). Alegory est une référence évidente à l’allégorie, incarnée aussi bien par Pandora que l’Ombre elle-même. Quant à Mitternacht, le nom signifie littéralement « minuit » en allemand. Pandora est donc la femme qui, rencontrée au milieu de la nuit par Vik, déverse sur lui les pires des calamités (en lui révélant la nature de l’Ombre), qui se révéleront être aussi une allégorie de l’aspect monstrueux du temps. 
Mais, en fait, j’ai surtout choisi ce nom parce qu’il sonne vachement bien et est empreint d’un certain lyrisme. Et puis, moi qui connais bien cette courageuse jeune femme (et son passé), il convient parfaitement à son caractère et sa nature héroïque. 

Je me suis néanmoins interrogé sur la pertinence de sa présence dans ce roman. Je ne souhaitais pas en faire une sorte d’intervention « divine », permettant de tout résoudre. J’ai donc tenu à en faire un personnage « limité » par des contraintes logistiques (son kinobrane défaillant, par exemple), malgré ses capacités hors normes. De plus, si pendant un temps j’avais envisagé de la faire rester un peu dans notre monde (ou plutôt celui de Vik), cela entraînait une forme d’anachronisme désagréable et aurait empêché Vik de s’interroger sur la réalité même de Pandora. D’où le fait d’avoir opté pour une rencontre intense mais fugitive. C’est aussi elle qui permet d’entrevoir un multivers complexe (et des branes en guerre) et qui explique en partie les raisons du profond mal-être de Vik. C’est son contact qui permettra, plus tard, à Vik d’entrevoir des bribes de vies antérieures, passées essentiellement à combattre.


Interdépendance et équilibre
L’important d’un point de vue technique, lorsque l’on manipule ainsi de nombreux personnages, c’est bien entendu de parvenir à une forme d’interconnexion complexe mais invisible pour le lecteur. Une particularité de l’un doit permettre d’introduire ou développer l’autre. Richard, par exemple, permet dans un premier temps de montrer l’intelligence et la bienveillance de Vik. Il est alors un simple faire-valoir. Puis, alors que le personnage se complexifie et dévoile d’autres facettes, cela montre aussi les failles de Vik (mais à un moment où cela va renforcer l’empathie que le lecteur éprouve pour lui : Vik est sympathique, mais il n’est pas parfait, ce qui le rend encore plus attachant et « réel »). Enfin, Richard, dans le dernier tiers du roman, va servir de « guide » (« Va voir l’Albinos ») et d’élément déclencheur (même s’il ne sera pas suffisant et aura besoin du coup de pouce d’Inès).

Donald va jouer lui aussi un rôle important et multiple. Il permet de renforcer le côté horriblement manipulateur de l’Ombre, de rendre encore plus effrayant Bartosz, d’humaniser Inès (dont on voit aussi le côté bienveillant et les limites lorsque Donald lui parle de ses souffrances intérieures) et même de faire basculer le destin de Richard. L’impact de ce simple personnage secondaire est au final extrêmement important. 

Hugo, lui aussi, va servir de levier fondamental à bien des occasions. Lors de la confrontation dans la forêt des Archères, c’est Hugo qui permet, par contraste, de renforcer l’impression de cohésion du reste du groupe. Il permet aussi de découvrir l’intelligence du chef des Échaux de l’époque (Martin), et sa bienveillance à l’égard de l’élément le plus « faible » du groupe. Hugo va permettre aussi de découvrir un peu plus l’albinos et notamment le fonctionnement, pervers et terrible, de ses livres. Enfin, tout en servant l’Ombre et en maintenant Nolan à l’écart du combat opposant Vik et l’entité, Hugo permet aussi à Nolan et William de s’illustrer, tout comme il entraîne la fin des Échaux. 

Même un personnage aussi secondaire que Clémence, la bibliothécaire, a son importance dans cet entremêlement complexe. C’est par son regard que l’on découvre un peu plus Doreckam (décrit comme un havre de paix et un lieu enchanteur, ce qui renforce l’aspect sombre de la menace qui pèse sur ses habitants), c’est elle qui est directement et très violemment victime de l’une des manipulations de l’Ombre, c’est elle qui permet de comprendre le côté pervers d’Achil (qui a réussi à la convaincre que les problèmes entre les bandes provenaient de Nolan), c’est elle, enfin, qui conduit Nolan à une introspection qui finira en clash avec sa propre mère.
Et bien entendu, toutes ces interdépendances ont un but…


Le personnage en tant que vecteur d’affect
L’on peut avoir une tout autre approche de la littérature, mais pour ma part, j’estime qu’un bon récit doit avant tout provoquer quelque chose chez le lecteur, que ce soit de l’émotion, de la réflexion, de l’amusement… une histoire ne doit pas laisser de marbre. Et si elle doit avant tout être divertissante, ce qui est une forme de politesse de la part de l’écrivain qui ne souhaite pas ennuyer ses lecteurs, elle doit aussi être suffisamment riche pour permettre à ceux qui en ont envie de creuser un peu et de lire entre les lignes.

Attention, je ne parle pas de « message », j’ai horreur de ça (d’autant que la plupart des auteurs à « messages » enfoncent des portes déjà largement ouvertes à l’aide de bulldozers). Il ne s’agit pas, pour moi, de dire ou sous-entendre « il faut penser cela », mais de montrer un chemin chaotique et de fournir une béquille, un bâton de marche, pour que le lecteur puisse s’y aventurer en compagnie de mes personnages. 

Ma façon de faire ne conviendra évidemment pas à tous les lecteurs, c’est impossible. Si ça ne marche pas avec vous, eh bien, je ne suis pas l’auteur qu’il vous faut. Mais si vous avez été ému par Donald ou Richard, si vous avez frissonné en voyant ce dont Bartosz était capable, si vous avez trouvé Vik ou Nolan attachants, si vous avez souri devant certaines pitreries de William, si les livres de l’albinos et la nature même de l’Ombre vous ont fasciné, si la thématique sur le temps vous a intéressé, si les références aux années 80 ont éveillé chez vous des souvenirs personnels, alors, je n’ai pas perdu mon temps, et j’estime que vous n’avez pas perdu le vôtre.


Car la littérature, ce n’est que ça. 
Un inconnu qui, à l’aide d’une sorcellerie antique composée de papier, d’encre et de quelques techniques même pas secrètes, va influencer votre état d’esprit, même si vous êtes à des milliers de kilomètres de lui ou à des dizaines d’années de « distance ». 
Parfois, vous serez déçu, car cet inconnu vous emmènera là où vous n’aviez pas envie d’aller. Parfois, vous serez conquis, car on vous montrera les bons endroits, de la manière qui vous convient. Toujours, ce sera d’une rencontre que naîtra la magie véritable. 
Peu importe au final les rouages et les effets, les livres qui m’ont marqué ne sont pas ceux que j’ai le mieux analysés ou qui étaient les plus complexes, ce sont ceux qui m’ont amusé, bouleversé ou fait grandir. Je n’ai pas la prétention de t’avoir bouleversé ou fait évoluer, ô inconnu(e) lisant ces lignes, mais j’espère en tout cas t’avoir diverti. Je ne considère pas le divertissement comme vulgaire ou inutile. Je le pense noble et nécessaire. Quand il est en tout cas suffisamment travaillé (car c’est le lecteur qui se divertit, l’auteur, lui, travaille d’une égale manière une tragédie ou une comédie), je le pense vital. Il permet l’expérimentation sécurisée. Le repos de l’âme. Le titillement de l’esprit. L’abréaction, ou plus exactement la catharsis. Et, plus que tout, il permet de s’échapper du quotidien. Non pour nier la réalité, mais pour la supporter. Longtemps, les livres que je lisais, étant gamin, ont été de précieux amis. Je leur dois quasiment tout. Je tente aujourd’hui de faire à mon tour ma part, pour que quelque part, sous une couette, dans un fauteuil, un gamin un peu seul, un adulte un peu fébrile, puisse à son tour combattre ses démons, au moins le temps de tourner quelques pages…


Crédit photo : Tiffany Durr



BONUS - La carte de DORECKAM


Carma de Portepoisse


Il ne faut pas être superstitieux : ça porte malheur !


Carma de Portepoisse est une mercenaire évoluant dans un univers évoquant l'Empire byzantin et sur laquelle pèse une malédiction lui interdisant de faire preuve de trop ou trop peu de chance, sous peine de graves conséquences. 
Mais comme rien ne fonctionne mieux narrativement que les personnages contrastants, le destin va mettre sur son chemin Lomélie, une jeune femme à la malchance contagieuse si légendaire qu'on dit qu'elle a provoqué à elle seule la chute d'un Empire entier : le sien !
Face à elles, en guise d'ennemi, un paladin béni des dieux dont la chance est proprement révoltante. 

L'auteur de cette histoire n'est autre que Rutile dont les nostalgiques du Lanfeust Mag tels que moi auront plaisir à se souvenir comme la plume responsable dans ce magazine de bien des billets d'humeur drôles et acides à souhait.
Elle nous narre cette fois une histoire où elle déverse ses réflexions parfois particulièrement fines sur les mécanismes des superstitions et, plus largement, sur la chance, la malchance, la façon dont nous les percevons et la façon dont, peut-être, nous pouvons en être responsables plus que victimes.
Le scénario, en dehors de cette originalité, est simple et parfaitement compréhensible mais cet angle d'attaque lui donne tout son relief.
Toujours dans l'esprit Lanfeust, Rutile nous offre une aventure dramatique aux proportions épiques sans jamais se départir d'un humour efficace et pas mal référencé.

Au dessin, l'on ne peut que constater de la part de Fred Remuzat un travail particulièrement compatible avec ce ton. Ses personnages expressifs et semi-réalistes se prêtent aussi bien à la crédibilité de l'action qu'à un humour qui n'en désamorce jamais la gravité (parce que oui, il est possible de faire des gags sans ruiner l'ambiance de son aventure, même si les scénaristes du MCU semblent ne pas avoir la recette pour ce faire).


Tout dans la galerie de personnages, leurs noms, leurs caractères, leurs choix, leurs actes est influencé par ce rapport au destin. Ce thème parfois abordé de ci de là en fiction est ici omniprésent et cela s'avère être une source très efficace de rebondissements, de théories diverses et de motivations.
A la lecture du résumé de l'album, nous avons craint que cela ne soit qu'un gadget, un argument de vente un peu original. Mais non : cette thématique est omniprésente et a un réel intérêt à tous les niveaux. Chapeau, Rutile !
Nous avons donc là, sous une jolie couverture (collection Drakoo, éditions Bamboo, on commence à connaître), un album qui fleure bon l'influence d'Arleston, le responsable de collection. Cet album unique donne en réalité bien plus envie d'une suite que nombre de sagas dont les suites ont perdu de leur intérêt. Alors si vous êtes amateurs de fantasy européenne et que vous cherchez un album y amenant un peu de renouveau, ne loupez pas celui-ci, ce serait vraiment dommage.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • De la fantasy un peu originale dans le cadre comme dans la thématique.
  • Une BD de bonne qualité générale.

  • Non, rien : c'est une BD de bonne facture, dans le contexte actuel.

Thorgal #3 : les Trois Vieillards du Pays d'Aran


Après avoir évoqué les débuts de cette saga quarantenaire dans un "First Look" dédié, et donné notre avis sur quelques-uns des derniers albums en date (Neokora ; le Feu écarlate), nous avons estimé qu'il était bon de revenir sur certains moments-clefs de la série, histoire de faire plaisir aux initiés et d'éclairer les profanes.

Dès le premier album publié, Jean Van Hamme avait insisté sur la fascinante dualité qui allait sous-tendre la majeure partie des récits de notre poète viking, guerrier hors pair mais désireux de vivre en paix avec sa bien-aimée : la science-fiction d'une part (Thorgal est un "fils des étoiles", rejeton d'une race à la technologie assez évoluée pour pouvoir traverser les espaces interstellaires, et ce lourd passé lui vaudra bien des péripéties, souvent pour son malheur ou celui de sa famille) et la fantasy d'autre part avec la mythologie scandinave qui intervient régulièrement dans les tribulations de notre héros à la cicatrice : le panthéon nordique (Odin, Thor, Freya voire Loki), des divinités mineures mais terriblement puissantes comme le serpent Nidhogg, des Valkyries, des Nains, des trolls et autres géants agrémentent les aventures de Thorgal.

L'intelligence de l'auteur se concrétise dans sa façon particulière de mêler - assez adroitement - des origines faisant appel à une science pointue (vaisseaux spatiaux, champs de force, pistolasers et alliages indestructibles) et des événements imputables à la seule magie divine (des portails existent vers les autres mondes peuplés d'étranges créatures, des sortilèges font vieillir ou rajeunir et les objets magiques se rencontrent parfois comme s'ils étaient pondus par un maître de jeu aussi retors que généreux). Thorgal, comme il le lui sera souvent prouvé, est donc un être à part, hors du temps et insensible aux fils du destin. Bien que simple mortel (il ne possède aucune faculté surhumaine, malgré son habileté incroyable à l'arc et sa volonté inébranlable), il est à la fois aimé des dieux et vu comme un élément disharmonieux dans le grand écheveau des existences - ce qui explique pourquoi il s'est retrouvé aussi souvent plongé dans des drames dépassant l'entendement humain. Comme le lui rappellera l'un des personnages, il est quand même mort trois fois, et il est chaque fois revenu à la vie : qui sur Terre peut en dire autant ? Si vous avez soulevé un sourcil intéressé, je vous laisse découvrir de quelle manière il a pu tromper la Faucheuse aussi souvent, grâce à qui et pourquoi...

Après deux albums de mise en place, on peut considérer que Les Trois Vieillards du Pays d'Aran, paru en 1981, est l'histoire qui lance véritablement l'épopée de Thorgal. Van Hamme a cette fois choisi la voie de la légende et de la magie, laissant de côté la facette sciencefictionnesque du personnage pour la développer ultérieurement. 


Les récents événements (cf. L'Ile des Mers gelées) ont convaincu notre héros que sa place n'était plus aux côtés de ses compatriotes vikings : là où ils cherchent la gloire et/ou le butin, il n'aspire qu'à une vie paisible avec son aimée. Poète à ses heures, barde lamentable, il nourrit une philosophie qui va à l'encontre de celle de ses compatriotes. Quand sonne l'heure des combats, il est pourtant en première ligne, à condition qu'il ne s'agisse que de défendre sa peau ou celle de ses proches : toutefois il n'a pas le goût du sang, n'éprouve jamais le besoin de tuer et se montre même souvent trop crédule, trop confiant. C'est pourquoi Aaricia, par amour (elle est princesse viking après tout), a accepté de le suivre vers le sud dans l'espoir de trouver un coin tranquille pour y vivre en couple et fonder une famille loin de la fureur des conquêtes, des pillages et des batailles qui forment le lot de ces tribus des terres boréales. 

En chemin, les voilà abordés par un curieux petit bonhomme qui les invite à une fête donnée par les Bienveillants, un triumvirat régnant sur le Pays d'Aran. Malgré la méfiance de Thorgal (toujours suspicieux dès lors que des hommes en dominent et en exploitent d'autres), sa femme accepte et se retrouve, par un coup du sort, prisonnière des dirigeants de cette contrée. Thorgal est aussitôt réduit à l'impuissance et laissé pour mort... 
Bientôt, un tournoi est organisé auquel sont conviés les champions des royaumes environnants : le vainqueur des trois épreuves rituelles aura l'honneur d'épouser Aaricia, la nouvelle reine du pays et pourra du même coup mettre la main sur le fabuleux trésor d'Aran...



Ce qui fait la réussite de l'album tient déjà dans la teneur du récit : l'héroïsme, la vertu, l'honneur et la roublardise seront successivement mis en lumière par les aventuriers venus tenter leur chance au long de ces défis qui les feront entre autres passer par le Deuxième Monde pour y affronter la troublante Gardienne des Clefs (individu qui deviendra récurrent dans la série). Le connaisseur pourra également relever deux intéressantes références à la mythologie de William Blake avec l'utilisation des noms Jadawin et Urizen - à moins que les auteurs aient puisé leur inspiration dans la saga des Faiseurs d'Univers de Philip José Farmer où ils sont attribués à deux des personnages les plus importants.



Ajoutez-y un petit paradoxe temporel (le temps, il est vrai, est une composante essentielle de la saga) et vous tenez un scénario efficace, enlevé, rythmé, doté de décors variés et de personnages hauts en couleurs. Thorgal devra y faire non seulement preuve de ténacité (après tout, il a une vengeance à assouvir vu qu'on lui a enlevé sa femme) mais aussi de jugeote en plus de ses qualités naturelles : sa force, son extraordinaire habileté, son sens de la justice et sa compassion ne lui seront pas ici d'un grand secours ; il lui faudra se montrer résolu et rationnel. Ce n'est pas pour rien que les Bienveillants diront de lui qu'il est un peu moins bête que les précédents concurrents... 

Les dessins de Grzegorz Rosinski se sont nettement affinés depuis 1977 : les postures sont plus naturelles et les visages mieux détaillés que dans La Magicienne trahie. L'accent est également porté sur la colorisation qui permet de caractériser avec une réelle efficacité les différentes séquences et paysages, et l'emploi plus marqué des ombres renforce l'aspect inquiétant de certains passages ; on note aussi que les arrière-plans sont nettement plus détaillés. Quant au découpage, il devient plus ludique et certaines planches, parmi les plus réussies, savent se passer de bulles et autres phylactères pour conférer un plus grand impact visuel à ces scènes.

Sans constituer un sommet dans la saga (on peut déplorer que les personnages secondaires soient dépeints de manière assez sommaire), ce troisième épisode donne un excellent aperçu des capacités de notre héros, ses forces et ses faiblesses, et des possibilités de l'univers immense qui s'est un instant entrouvert pour lui - et pour nous, lecteurs.
 
Nombre des éléments abordés ici seront repris, réinterprétés et assortis à ce récit plus intense, plus puissant et émotionnellement plus éprouvant qu'est Au-delà des ombres (1983, Grand Prix Saint-Michel). Notons que plusieurs des personnages referont leur apparition tout au long de la saga, parfois brièvement, parfois en temps qu'élément récurrent. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un héros charismatique.
  • Une aventure enlevée dans des décors surréalistes.
  • Des brutes, des traîtres, des sortilèges, des mages et un paradoxe temporel.
  • Des dessins qui ont gagné en précision et en harmonie.


  • Des personnages manquant encore de profondeur.

Red Hood : Souriez !


Jason Todd est Red Hood. Bruce Wayne est Batman.
Ils furent un duo dynamique. Mais ça, c'était avant...


Jason Todd eut mille vies avant cet album et littéralement une mort véritable ! Renseignez-vous : il a été tué par le Joker... On vous résume ça vite fait ?

Initialement, il remplace Dick Grayson dans le costume de Robin alors que celui-ci prend son envol pour peu à peu devenir Nightwing. C'est petit à petit un Robin plus torturé qui se dessine, un Robin qui a même recours au meurtre. Ça dérape, Joker le fracasse à coups de battes pour obtenir la véritable identité de Batou (Un deuil dans la famille). Il est alors laissé pour mort et remplacé par Tim Drake dans la tenue du moineau. Il reparaît ensuite dans la peau de Silence, un criminel qui n'est en fait qu'un leurre créé par Gueule d'argile (Silence/Hush). Les rares fans de Jason ont été bernés. Sauf qu'il reviendra bel et bien mais ressuscité par Ra's al Ghul dans son Puits de Lazare (L'Énigme de Red Hood). Et comme c'est un fieffé galopin farceur, il aura pris pour son comeback le premier surnom du criminel qui deviendrait ensuite son bourreau : Red Hood, le futur Joker ! Sous cette identité, il va devenir la honte de la Bat Family, celui qui considère que le Joker aurait dû se prendre une balle dans le front bien avant de rencontrer sa route. Il va donc s'attaquer à la pègre de la façon la plus radicale qui soit, se mettant les pipistrelles à dos. Depuis quelques temps, il conserve ses armes à feu mais ne garde que des munitions incapacitantes, jugeant qu'il n'a pas plus que les truands le droit de prendre des vies. Sanguin, ce justicier borderline nous offre ici un tome intéressant et explorant les zones grises des vigilantes.

Dans cet album à la narration assez classique, Chip Zdarsky (Batman : The Knight, Batman : Dark City) nous invite à suivre Red Hood dans une enquête sur une nouvelle drogue qui fait des ravages baptisée "gouttes de joie". Désinhibant ses consommateurs et leur livrant des visions de bonheur, cette substance malheureusement souvent léthale (suite à des accidents subis lors d'hallucinations trop crédibles) fait forcément un carton dans les rues la ville la plus criminogène de l'univers DC : Gotham. Mais opérer sur le territoire de la Chauve-Souris signifie pour lui une modération accrue et un respect minimal des codes de Batman. Bien vite, en raison d'un jeune garçon risquant lui aussi à son tour de devenir orphelin, les deux héros vont se retrouver à enquêter bon gré mal gré sur la même affaire et vont devoir réapprendre à s'apprivoiser, tissant à nouveau un fragile lien de confiance malgré les débordements évidents de Jason et la psychorigidité digne d'une posture de parangon affichée par Bruce.

Le récit offre des flashbacks qui, une fois n'est pas coutume, s'avèrent bel et bien utiles en ce qu'ils permettront au lecteur d'apprendre ou de se souvenir des origines de la relation conflictuelle mais néanmoins poignante entre le jeune Jason et son ombrageux mentor. C'est que Jason Todd reste aux yeux de Bruce Wayne une sorte d'échec personnel... Or, les dernières pages vont offrir aux lecteurs une révélation bienvenue quant aux remords que nourrit le pourtant si vertueux Batman, lui qui porte son code moral de façon aussi visible que la cape dont il se drape... mais, comme sa cape dissimule son vrai visage, son code ne cacherait-il pas bien des doutes ?
Après tout, si Jason est devenu un assassin, n'est-ce pas parce qu'il a mal été encadré ? Mais, pire que tout, si Jason est mort, n'est-ce pas parce que Bruce n'a jamais, quant à lui, voulu franchir le cap et abattre le Joker alors que, pourtant, mille occasions s'étaient offertes à lui ?
Voyez ce tome au titre ostensiblement lié à Killing Joke comme une nouvelle réflexion sur le recours à la violence ultime pour mettre fin au parcours de criminels jugés irrécupérables ; un héros de Gotham doit-il se permettre l'usage des armes à feu au risque de prendre la vie d'autrui et de s'abaisser au rang de ceux qu'il combat ?
La relation tendue entre les deux hommes, le rythme haletant de la narration et les questionnements éthiques se devaient d'être soutenus par un dessinateur à la hauteur. C'est Eddy Barrows qui s'y colle avec une patte classique et mature aux traits expressifs légèrement contrebalancée par les couleurs très ombrées mais assez vives d'Adriano Lucas. Cela donne au volume une ambiance sombre mais très lisible loin d'être désagréable. 
Ajoutons à cela que le dessinateur ne lésine jamais sur les angles de vue audacieux, les postures héroïques les découpages originaux et les contrastes très prononcés et l'on a un comic qui tient ses promesses et est, au final, aussi sec et brutal que son personnage central.

Notons, en bonus bienvenu, les interventions de Barbara Gordon dans son rôle d'Oracle qui, à plusieurs reprises, semble être le Jimini Cricket de Jason, lui offrant de l'aide et une oreille attentive, rappelant au jeune homme que, même s'il est sorti du cadre depuis longtemps, la Bat Family reste pour lui un recours possible et une famille dont on ne se défait pas si facilement : Batman voudra toujours l'arrêter dans ses tueries, mais ne pourra jamais s'empêcher de tenter de le sauver et le voir comme un fils dont il se sent responsable ; Red Hood aura beau toujours en vouloir à Batman pour maintes raisons, il ne tolérera jamais qu'on mette celui-ci en danger sans pouvoir réagir.

Un album certes dispensable, mais très honnête et parfois un peu audacieux, dont le message est au final porteur d'espoir et d'une possibilité de rédemption pour un personnage parfois trop facilement relégué au rang de chien fou du Batverse...
Batman tire sa légitimité de son refus de tuer des criminels, mais au prix de combien de vies innocentes, en retour ? Partant de là, Red Hood est en réalité une création malheureuse de cette rigidité morale... comment un père pourrait-il totalement renier un fils dont il a indirectement provoqué la chute ?
 
[Retrouvez également la critique de Thomas, un brin plus élogieuse, sur son site consacré aux comics Batman.]


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit classique offrant un questionnement éthique intéressant.
  • Un personnage de Red Hood dont on peut entrevoir les prémices d'une rédemption toute personnelle.
  • Un dessin et une mise en couleurs cohérents avec le message global. 
  • Au final, l'album peut sembler être parfois une redite tant on a souvent vu Batman et Red Hood revenir sur ces questionnements.

Happy City



On se penche sur un petit jeu bien sympathique : Happy City

On laisse de côté, aujourd'hui, les grosses bastons en armure, les wargames complexes, les duels dans l'Ouest sauvage ou les jeux de foot pour vous proposer un jeu de société tout mignon dont le but est de construire la ville du bonheur ! Graphisme tout en rondeurs, couleurs pastel et monstres rigolos sont au sommaire de Happy City et de son extension, Grozilla

Concentrons-nous tout d'abord sur le jeu de base. La mécanique est simple : vous devez, à l'aide de jetons que vous gagnez à chaque tour, acheter divers bâtiments pour embellir votre ville. Certaines cartes vont vous faire gagner de l'argent, des habitants (des petits bonhommes) ou des points de bonheur (des cœurs). À la fin (quand un joueur a posé 10 cartes devant lui), le but est d'avoir la population la plus heureuse (on multiplie les habitants par le nombre de cœurs). 

La zone centrale est composée de différentes piles de cartes. Des cartes habitations (maison, immeuble, résidence de luxe) toujours disponibles, mais dont vous ne pouvez détenir qu'un seul exemplaire de chaque ; des cartes de bâtiments spéciaux (que vous n'achetez pas, il faut remplir certaines conditions pour pouvoir en obtenir une et une seule) et enfin une rivière alimentée par trois pioches. La première pioche regroupe des bâtiments valant 1, 2 ou 3 pièces, la deuxième des bâtiments valant 4 ou 5 pièces, et enfin, la troisième est composée de bâtiments valant 6, 7, 8 ou 9 pièces.

Lors de votre tour, vous pouvez soit obtenir une pièce (en ne jouant aucune carte) ou acheter et poser un bâtiment (ou obtenir un bâtiment spécial). Vous pouvez toujours choisir de remplacer une carte de la rivière (par une carte issue des trois pioches) et, bien entendu, s'il manque des cartes dans la rivière, vous les remplacez également (en choisissant la pile de cartes dans laquelle piocher, donc le coût des bâtiments disponibles).

Tout cela est relativement simple et accessible mais la part de stratégie et de réflexion est bel et bien présente. Il faudra non seulement développer sa propre ville mais aussi éventuellement empêcher les autres joueurs de poursuivre leur but. Une ou deux parties sont nécessaires pour se rendre compte de la richesse du jeu. L'ambiance est très agréable et renforcée par du matériel et des illustrations de qualité (avec bien souvent des références sympathiques à la pop culture).

Une extension, Grozilla, permet en outre d'ajouter un peu plus de sel à la compétition grâce à l'apparition de monstres qui vont avoir de vilains effets sur vos possibilités de jeu ou vos bâtiments.
L'extension propose également des cartes de bâtiments supplémentaires qui sont, elles, multicolores (ah oui, la couleur des cartes a son importance), ce qui rajoute encore de la profondeur de jeu. Notons que la position de vos cartes (vous devez construire deux lignes de 5 cartes) a aussi des effets non négligeables. 

Si l'on ajoute à ça deux modes de jeu (famille et experts), permettant de se familiariser avec l'environnement en douceur, et un prix modique (15 euros pour le jeu de base, 10 euros pour l'extension), voilà quasiment un sans faute ! C'est fun, simple mais suffisamment prenant et l'univers possède un véritable charme. 

De 2 à 5 joueurs, pour des parties n'excédant pas 30 minutes. 

Le conseil tactique de la Rédac : s'assurer des revenus suffisants dans les premiers tours pour pouvoir ensuite acheter des bâtiments offrant de gros avantages. L'essentiel est de bien déterminer à quel moment l'on bascule du mode "enrichissement" au mode "population & bien-être". 





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Système de jeu simple et efficace.
  • Graphismes tout mignons.
  • Des bâtiments (et donc des stratégies) variés.
  • Une extension bien pensée et amenant de véritables nouveautés sans dénaturer le jeu.
  • Petit prix.


  • La taille des cartes aurait pu être un poil plus grande.

Eternalis


C'est l'été et quoi de mieux qu'un bon roman policier truffé d'énigmes, de symboles occultes et de références historiques ? Parce qu'il n'y a pas que Dan Brown et Umberto Eco dans cette catégorie de plus en plus prisée, laissez-nous vous présenter quelques ouvrages naviguant dans ces eaux sulfureuses, où chaque enquête menace de mettre au jour une conspiration ou une découverte pouvant changer la face du monde...

Eternalis
est un roman de Raymond Khoury, édité en France aux Presses de la Cité en 2007, avec une traduction de Jacques Hubert Martinez

L'action commence d'abord à Naples, en 1750. Dans les profondeurs de la nuit, trois hommes armés pénètrent le palais d’un marquis, l’accusent d’être un imposteur et le somment de révéler un certain Secret. Ledit marquis réussit malgré tout à prendre la fuite, laissant derrière lui un palais en flammes… 
Puis nous voici en 2006, à Beyrouth. Mia a à peine le temps de faire connaissance avec sa mère, Evelyn, archéologue émérite et passionnée, que celle-ci est enlevée sous ses yeux. Un antiquaire venait de lui parler d’un codex orné d’un symbole antique, l'ouroboros – le serpent qui se mord la queue – et Evelyn avait compris la portée vitale d’une telle relique. Avec l’aide d’un agent de la CIA, Mia va tenter de démêler l’écheveau de cet enlèvement, lié à une conspiration qui pourrait bien, donc, "changer la face du monde…" (puisqu'on se tue à vous le répéter !).

Ceux qui avaient déjà lu Le Dernier Templier savent avec quelle efficacité Khoury promène son lecteur entre les lieux et les époques : ici, nous naviguerons au sein d'un bassin méditerranéen historique, depuis l'âge de l'Inquisition jusqu'aux Lumières, de Naples à Lisbonne en passant par Paris, jetant un regard aussi émerveillé que franchement critique sur cette société libertine qui, après avoir goûté aux espoirs humanistes, s'abreuvait de connaissances dans une débauche décadente tandis que grondait le peuple en mal de pain. Les palais et hôtels particuliers de la capitale française contrastaient par leurs fastes avec la puanteur d'une Seine surchargée d'immondices flottant entre deux eaux : des images aussi évocatrices que les geôles étouffantes de l'Inquisition dans laquelle œuvre Sebastian, personnage central de la partie historique, qu'on retrouvera sous différentes identités – dont celle, plus illustre, du Comte de Saint-Germain qui époustoufla (bluffa surtout) la cour du roi de France par ses dons prodigieux, son savoir étrange et… sa longévité.


Ces passages situés quelques siècles en arrière viennent ponctuer une enquête assez classique par sa facture, se déroulant essentiellement au Liban : une archéologue américaine vient de se faire enlever en plein jour par une bande lourdement armée. Officiellement, elle est soupçonnée de trafic d’œuvres antiques (dans une région qui a subi le pillage de son patrimoine depuis la Guerre du Golfe - il s'agit d'une accusation grave), ce qui plonge l’ambassade dans un malaise évident. Toutefois l'on découvre qu’elle est mêlée malgré elle, en raison d’une découverte qu’elle avait faite quelques années plus tôt, à la quête d’hommes soucieux de mettre la main sur un secret millénaire. Le symbole ornant la couverture, le titre français un peu trop évocateur mettront très vite le lecteur même profane sur la piste. Cette fois, même s’ils sont mentionnés, les Templiers [1] ne sont plus les dépositaires de la clef de l’énigme sacrée. On évoque ainsi aussi bien l’alchimie que la thérapie génique, la pierre philosophale ou les cellules souches. L’auteur cite aisément ses sources et l’on se surprend à voir dans certains personnages des éminences historiques (tel ce Di Sangro dont on peut voir une très belle chapelle à Naples ainsi que d'effrayantes « machines anatomiques »).

Le découpage du livre s'effectue par le biais de chapitres brefs, où l'action prédomine, afin de privilégier le suspense et les variations de rythme (l'agent Corben et Mia, tout en enquêtant dans le but de retrouver Evelyn, sont régulièrement aux prises avec les commanditaires de l'enlèvement ; fusillades, explosions et accidents scandent la progression de leurs recherches) : dès que cela commence à tirer en longueur, on saute à une autre époque. C'est parfois frustrant, souvent artificiel, mais cela permet d'entretenir la tension. En revanche, par rapport au Dernier Templier, les personnage semblent assez mal dépeints : l'on peine à éprouver de l'empathie pour Mia, pourtant volontaire et courageuse, et on définit mal les contours de la personnalité de Corben, de l'intrigant Kirkwood (un représentant des Nations Unies) ou de ce hakim sans nom, sorte de savant fou mâtiné de chef maffieux.

Cela dit, les décors sont engageants, même si l'auteur ne dédaigne pas insister sur les dessous de ces cités qui font rêver (le Paris ou la Lisbonne du XVIIIe siècle, la Beyrouth contemporaine) : cela n’en confère que plus de poids au contexte, sans s’appesantir outre mesure – il s’agit avant tout d’un livre fondé sur l’action.

La révélation finale, quoique poétique, est loin de remplir les espoirs qu'on pouvait décemment nourrir tout au long du périple de ces aventuriers : le gran finale s'avère bien pauvre, malgré quelques discussions intéressantes sur l'opportunité de dévoiler un secret qui bouleverserait la société humaine. Là où Spielberg choisissait de ne pas consumer la magie de la découverte et d'entretenir le mythe dans Indiana Jones & la Dernière Croisade, Khoury dévoile un mystère bien loin des attentes enflammées qu'on était en droit de nourrir.

Cela reste néanmoins divertissant et efficace.


[1] Les amateurs de Templiers ont déjà pu avoir sur Univers Multiples, Axiomes & Calembredaines un aperçu d'une petite partie de ce qui a été écrit sur ce sujet passionnant (en bande dessinée, comme dans la Fin des Templiers, en comics comme avec 1602 ou en roman avec le Secret du Treizième Apôtre).


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un mystère enveloppé dans un mystère.
  • Une écriture efficace avec un découpage et des changements d'époque maîtrisés.
  • Un contexte historique et des décors fascinants.


  • Des personnages manquant de profondeur ou aux motivations pas toujours évidentes.
  • Certains thèmes ne sont pas traités à la hauteur des attentes.