Dean Koontz est un auteur prolifique mais terriblement irrégulier. Si certains de ses romans sont très bons (cf. cette sélection UMAC), d'autres peuvent aisément être qualifiés de "romans de gare" dans le sens où ils font preuve d'une étonnante indigence, non sur la forme mais le fond.
La Voix des Ténèbres est un ancien roman de l'auteur, publié en 1980 sous le pseudonyme de Brian Coffey. L'on pourrait penser à une erreur de jeunesse si La Nuit des Cafards, bien plus abouti, parfois même très émouvant, n'était publié la même année. Quel est l'intérêt du coup de parler d'un vieux roman pas terrible ? Eh bien différencier justement l'aspect technique, irréprochable ici, de la "profondeur" du récit.
Il est nécessaire à ce stade de préciser tout de suite que l'inclination personnelle n'a pas plus à voir dans l'analyse du fond que dans celle de la forme. D'ailleurs, j'ai plutôt trouvé la lecture de La Voix des Ténèbres assez agréable, c'est même en cela que l'analyse en est intéressante. Il n'en reste pas moins que le roman est mauvais. Objectivement mauvais [1].
Voyons déjà en gros le pitch.
Colin, un adolescent timide et solitaire, est ivre de joie depuis que Roy, son exact opposé, sûr de lui et populaire, est devenu son ami. Problème, Roy a un hobby particulier : tuer. Des fourmis, Roy est passé aux chats et il aimerait maintenant que Colin tente avec lui l'assassinat d'êtres humains. Peut-être aussi un petit viol histoire de se marrer un peu...
On le voit, le sujet est sulfureux, plein de possibilités, pourtant il va être traité d'une manière très sage voire aride.
Koontz fait en réalité étalage ici de tout ce qu'il est possible de mal faire d'un point de vue littéraire. Il accumule avec une régularité effarante les clichés, les facilités, les manœuvres téléphonées, tout cela dans un manichéisme désespérant.
Pourtant, comme précisé plus haut, techniquement, le roman ne souffre d'aucune maladresse (si ce n'est quelques répétitions dans la première partie). Le personnage principal est sympathique (l'on s'identifie d'autant plus à lui qu'il est malmené par son père et délaissé par sa mère, cf. cet article sur le processus d'identification), les scènes censées être tendues le sont réellement, le "méchant" est suffisamment inquiétant et la narration parfaitement fluide.
Mais à part ça, rien ne va.
Koontz reste à la surface de son sujet en évitant à son héros d'être confronté à un dilemme moral. Dans la première partie du roman, Colin ne croit pas un mot de ce que dit Roy. Puis, tout bascule et il est automatiquement en lutte contre lui dans la seconde partie. Lui-même ne doute jamais, tel un "chevalier blanc" confronté à l'ogre malfaisant. L'on est loin des méandres glauques de la psychologie enfantine ou adolescente arpentés par King (cf. cet article). L'idée de transgression ultime, pourtant noyau central du récit, est automatiquement mise de côté, comme s'il était évident que non seulement il ne fallait pas y céder mais qu'en plus il était inconcevable d'y réfléchir.
Les personnages sont eux-mêmes très caricaturaux. Le gentil "rat de bibliothèque" au grand cœur, incompris et introverti mais plein de ressources insoupçonnées est opposé à un salaud charmeur et manipulateur, d'emblée détestable. L'on ne peut à aucun moment s'attacher à Roy, pas plus qu'il n'est possible de trouver Colin borderline.
Le Bien, le Mal, et une frontière nette qui les sépare...
Les facilités et clichés sont parfois à la limite du ridicule, comme la douce jeune fille qui, comme par enchantement, tombe amoureuse du héros juste au bon moment. Et au bon endroit. L'on sent ici bien trop l'intervention "divine" de l'auteur pour ne pas tiquer. Le gamin, gauche et apeuré, se sent pousser des ailes et la jeune fille, qui n'a aucune confiance en elle, n'a pas plus de raison de l'aborder que celle, bien médiocre, de faire avancer l'intrigue cousue de fil blanc.
La confrontation est aussi prévisible que décevante, le paroxysme du manichéisme étant atteint lorsque le héros se prend de pitié pour son ennemi, lui faisant alors une promesse ridicule de politiquement correct et dégoulinante de mièvrerie.
Même les actes de Roy vont finalement être justifiés par un élément déclencheur qui fait l'impasse sur sa responsabilité et son cheminement intellectuel : le méchant est méchant pour une bonne raison et le héros n'a non seulement jamais cédé à l'appel du Mal, mais il n'y a même jamais pensé une seconde.
Au final, l'on a l'impression d'être devant un roman pour adolescent, et encore, un truc gentillet et convenu, parce que même Gone, clairement axé ado pour le coup, était bien plus inventif et dérangeant.
La Voix des Ténèbres fait partie de ces romans suffisamment bien ficelés pour qu'on aille au bout mais trop anecdotiques pour que l'on en garde un souvenir immuable. L'idée était excitante, le traitement de Koontz l'a rendue quelconque. C'est peut-être cela finalement le pire pour un romancier, transformer le goudron malsain et tenace de nos pires pensées en un brouillard diffus que l'on traverse sans peine.
[1] Le goût n'a aucun intérêt dans une analyse parce qu'il n'est pas transposable. Si je vous dis que je préfère la poire alors que vous aimez la pomme, je suis dans l'incapacité de prouver que la poire est meilleure. C'est une histoire de goût. Pour un élément technique (comme l'on a pu en voir dans ce dossier par exemple) ou pour un élément artistique, pour que l'argumentaire soit valable, il doit être transposable d'un individu à un autre. L'on s'intéresse alors au temps de cuisson de la pomme, au fait qu'elle ait été cueillie trop tôt, à la technique de stockage, bref, à autre chose qu'aux stimuli du palais, car le fait qu'au final il y ait un "j'aime/j'aime pas" ne signifie pas qu'il n'existe pas des processus transposables à prendre en compte.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
|
|
|