Aventures uchroniques et mondes parallèles sont au centre de l'excellent Au Cœur de l'Empire, seconde saga du cycle de Luther Arkwright.
Voilà déjà huit ans que nous vous présentions Les Aventures de Luther Arkwright, œuvre majeure et foisonnante de l'anglais Bryan Talbot (auteur également de Grandville ainsi que Grandville, mon amour). La suite directe de Luther Arkwright, publiée chez Dark Horse et éditée en France par Kymera, est constituée de trois tomes, tous disponibles. La forme est cette fois différente puisque les ouvrages sont d'un format plus petit et sont en couleurs.
Mais penchons-nous tout d'abord sur l'intrigue.
Le récit commence au sein du parallèle 00.72.87 et s'ouvre d'ailleurs sur une scène particulièrement forte et osée puisque l'on y voit un cardinal écouter un peu de musique tout en appréciant... une fellation prodiguée par une bonne sœur. Le ton est donné, Talbot se révélera donc plutôt irrévérencieux (et fera preuve également d'auto-dérision avec la fausse - et amusante - biographie présente en début d'ouvrage). Le fameux cardinal, une fois détendu, se rend à une convocation papale. Il se voit alors assigner une mission des plus radicales : se rendre à la cour de l'impératrice Anne pour réclamer rien de moins que son empire, au nom du Vatican. Si celle-ci refuse, le cardinal se devra de la supprimer.
Il ne s'agit là que d'une petite partie de la trame complexe conçue par l'auteur. Celle-ci se déroule dans un monde dominé par un empire anglais hégémonique à la technologie très steampunk. L'on va suivre essentiellement en réalité la princesse royale, fille de Luther, à savoir Mary Victoria Elizabeth Boudicca Miranda Cordelia Arkwright Stuart, que nous appellerons Vicky parce que c'est son diminutif et que ça nous arrange bien.
Vicky souffre d'un mal mystérieux et de l'absence d'un père, idéalisé dans la société, mais qui n'a pas été là pour elle. En rencontrant des révolutionnaires épris de liberté, la princesse va découvrir de multiples menaces, dont une émanant des propres services secrets de sa mère.
Talbot a conservé l'essentiel des grandes thématiques de la première saga, que ce soit les complots, la corruption, le système répressif ou encore une certaine décadence, le tout empreint de magie, de mythologie et de métaphysique.
Comme on l'a vu dans l'introduction, le sexe n'est pas absent, tout comme l'humour, assez corrosif d'ailleurs (la différence entre Kray, posant nu, dépouillé de ses accessoires, et son portrait est un exemple des petits moments savoureux dont Talbot a parsemé son histoire).
Le récit fait bien sûr quelques détours par le parallèle 00.00.00, siège du complexe W.O.T.A.N. où l'on s'active pour empêcher un désastre qui impacterait le multivers dans son ensemble.
C'est agréable à lire, inventif, riche et souvent astucieux.
C'est surtout l'aspect graphique qui apporte le plus de différences avec le premier opus, dont les dessins étaient ahurissants de complexité, de maîtrise et de sens multiples. Dans Au Cœur de l'Empire, Talbot (qui signe scénario et dessin) reste plus simple, sans ce foisonnement de détails qui était si caractéristique de cet univers. Ce sont surtout les paysages urbains steampunk qui vont souffrir de ce manque de panache et d'envergure, mais certaines planches (lors d'une longue scène érotique par exemple) sont tout de même très simplistes également.
Pire, c'est surtout la colorisation (infecte) qui va impacter négativement ces trois tomes. Même sans être un fan du noir & blanc, il faut reconnaître qu'ici, les couleurs sans nuances, trop flashy, agressent l'œil et parviennent même à gêner (un comble !) la lisibilité lors de certaines scènes (psychédéliques notamment) [1].
Malgré tout, Au Cœur de l'Empire reste une saga certes en dessous techniquement des Aventures de Luther Arkwright, mais passionnante et bien écrite. L'on se laisse vite emporter dans cet empire mythique, aux parts d'ombre inquiétantes et à l'atmosphère variant entre le glauque et le clinquant.
L'adaptation française est plutôt bonne (quelques coquilles cependant) si l'on excepte le lettrage, assez maladroit, le texte n'épousant pas toujours la forme des phylactères et venant même souvent toucher leurs délimitations.
Environ 300 pages en tout d'un savoureux voyage dans une uchronie au charme certain.
[1] L'on est donc loin de l'édition couleur d'un Bone par exemple, qui enrichissait les décors tout en conservant et amplifiant l'élégance du style de Smith.
Quelques planches issues de la première saga.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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