On le sait, en France, il ne fait pas bon écrire des romans dits de "genre". Ceux-ci sont en effet considérés par une certaines caste de journalistes et intellectuels comme des écrits low cost destinés à la plèbe, et ce sans considération pour leurs qualités véritables. Ainsi, Pierre Lemaître, dont les polars sont des modèles de construction, a dû attendre d'écrire sur un sujet "respectable" (la fin de la première guerre mondiale) avant de décrocher le Goncourt en 2013. Certains auteurs ont en plus, toujours aux yeux de quelques snobinards, le mauvais goût de vendre. Beaucoup. Ce qui ne colle pas avec l'image de l'artiste maudit, crasseux et sans-le-sou que certains s'échinent encore à coller aux écrivains.
Musso fait partie des rares auteurs français alignant régulièrement les best-sellers (le dernier est tiré à 450 000 exemplaires, ce qui est énorme). Il nous a semblé intéressant, en se basant sur ce roman, de tenter de voir si les critiques (positives ou négatives) le concernant étaient fondées.
Bien entendu, tous les journalistes ne tapent pas sur Musso sous prétexte qu'il écrit des thrillers. Certains vantent sa plume de manière assez dithyrambique. Ainsi, Bernard Lehut, de RTL, parle du "livre de la maturité et de l'audace". Michel Dufranne, de la RTBF, insiste sur le fait que le roman est "techniquement maîtrisé". Cela tombe bien, car ce sont justement les aspects techniques que l'on va décortiquer. Et l'on va constater que, bien qu'il y ait largement pire en librairie, il est tout de même exagéré de parler de maîtrise...
Voyons tout d'abord l'intrigue dans ses grandes lignes. Gaspard, écrivain misanthrope et alcoolique, débarque à Paris, ville qu'il déteste, pour s'isoler et écrire sa nouvelle pièce. En arrivant dans l'appartement - ayant appartenu au célèbre peintre Sean Lorenz - qu'il a loué, il constate qu'une erreur de réservation l'oblige à cohabiter avec Madeline, ex-flic se remettant d'une tentative de suicide.
Ensemble, ils vont peu à peu découvrir la vie du peintre, mouvementée et marquée par l'enlèvement et l'assassinat de son fils.
Commençons par le positif, car il y en a.
L'on rentre facilement dans l'histoire, plutôt bien menée. Les personnages sont plus profonds qu'il n'y paraît malgré un côté caricatural (l'artiste maudit, l'écrivain replié sur lui-même, la flic dépressive). Certaines scènes sont assez émouvantes (les souvenirs de Gaspard, enfant) ou basculent même parfois dans l'horreur (l'auteur ose torturer un gamin, ce qui est plutôt bien... heu, le fait d'oser ça dans un roman, pas le fait de torturer réellement des gosses). Et il est vrai qu'il s'agit de ce que l'on appelle vulgairement un page-turner, autrement dit on a franchement envie de connaître la fin.
Par contre, deux énormes défauts nuisent au roman. Ce sont eux que l'on va essayer de voir en détail.
Le premier des défauts, qui saute eux yeux, est lié à la forme. Musso n'a pas un style désagréable, mais il utilise régulièrement des lieux communs ahurissants. Du genre "beau comme un astre", "libre comme le vent", "serrés comme des sardines", "aimable comme une porte de prison"... c'est bien simple, on dirait un dictionnaire d'expressions surannées. Et pour un écrivain (en tout cas un écrivain qui se respecte un minimum), c'est inacceptable.
Un véritable auteur ne se contente pas d'aligner des phrases toutes faites, il se doit d'inventer aussi ses métaphores et comparaisons. Un personnage pourrait éventuellement employer ce genre d'expressions, mais l'auteur lui-même ne peut ainsi les accumuler dans ses descriptions. Cela donne l'impression d'un amateurisme inquiétant ou d'un manque d'implication.
Le second défaut tient plutôt au fond et notamment à la conclusion du récit. Pour l'évoquer, il est nécessaire de dévoiler des éléments importants de l'intrigue, donc attention, ce qui suit est un énorme spoiler.
Gaspard et Madeline, pendant tout le roman, ont plutôt des relations houleuses. C'est d'ailleurs positif, car alors que l'on voyait venir gros comme une maison le fameux schéma classique du mec et de la nana qui ne peuvent pas se blairer et finissent par tomber dans les bras l'un de l'autre, Musso parvient à éviter l'écueil. Sauf que, à la toute fin, en 30 secondes (ils sont dans un véhicule et doivent faire un choix avant d'arriver à un embranchement), ils décident de vivre ensemble et d'adopter le gosse qu'ils viennent de sauver !
Non seulement c'est totalement invraisemblable par rapport à la psychologie et au vécu des personnages, mais ça sort vraiment de nulle part, sans aucune préparation. On n'est même plus dans le deus ex machina là, c'est du final euphorique sous ecstasy. Le pire c'est que cette fin absurde vient anéantir toute la partie dramatique (pourtant assez réussie) du roman.
Il est juste de souligner que Musso n'est pas le seul fautif. Il est très étonnant que l'éditeur, XO Éditions, ait pu laisser passer de telles maladresses. En effet, même si évidemment il ne dicte rien à l'auteur, rappelons que le rôle de l'éditeur consiste aussi, en amont, à apporter un regard extérieur aiguisé et attirer l'attention du romancier sur ses possibles erreurs ou égarements. Dans ce cas précis, ce travail n'est pas fait, ni sur la forme ni sur le fond.
L'on pourrait aussi évoquer le côté insipide du titre (la fadeur est très à la mode depuis quelques années : Où es-tu ? ; Et si c'était vrai... ; La prochaine fois ; Si c'était à refaire ; Elle et Lui ; Et après ; Seras-tu là ? ; Parce que je t'aime... et là, je me limite à Levy et Musso), m'enfin bon, disons que l'on va faire abstraction (mais c'est quand même idiot de ne pas soigner le titre, ceux des exemples ci-dessus sont tous interchangeables, ce qui est une bonne indication quant à leur manque de pertinence).
Du coup, que penser de ce roman ?
Eh bien, c'est mitigé. Il ne s'agit pas d'une merde, loin de là. C'est même plutôt un honnête thriller, avec ses bons moments. Cependant, la maladresse de l'auteur, conjuguée à l'impéritie (ou l'inaction) de son éditeur, font que l'on est très loin de quelque chose d'abouti et qu'il est impossible de parler de "maturité", encore moins de "maîtrise technique". C'est d'autant plus dommage qu'il suffirait d'un peu d'implication et de travail sur le texte (on est loin de l'inventivité d'un Pagel par exemple) pour clairement transformer ce qui reste tout de même un volatile souffreteux en aigle majestueux.
Ce n'est pas parce qu'un roman est destiné uniquement à divertir (ou à être vite lu et oublié) qu'il doit être bâclé.
Pas forcément déconseillé pour autant, surtout si vous n'êtes pas très regardant sur les finitions et la vraisemblance.
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