L'Innommable Illustré


Certaines histoires terrifiantes, au-delà des limites de la conscience et du réel, ne devraient pas être racontées... c'est pourtant ce que se propose de faire L'Innommable Illustré.

Album collectif rendant hommage au riche univers de Lovecraft, L'Innommable Illustré est une création de l'association lorraine Phylactères, dont on sait depuis maintenant un moment qu'elle bénéficie d'un énorme vivier de talents, lui permettant notamment de sortir des séries régulières de qualité (VHB, SpermagZone57).
Cette fois, il s'agit d'un one-shot à la thématique ambitieuse : rendre sur le papier les horreurs angoissantes et malsaines dont fourmille le mythe de Cthulhu.

Et il est peu de dire que c'est parfaitement réussi. La tâche n'est pourtant pas aisée. Citons par exemple l'adaptation BD de la nouvelle Les Montagnes Hallucinées, publiée il y a quelques années chez Akileos, qui visuellement était un désastre. Les dessins de Culbard, dans un style simpliste très ligne claire, échouaient complètement à rendre l'aspect imposant des lieux ou le côté effrayant des créatures, créant ainsi une dichotomie maladroite entre un texte abusant des superlatifs et un rendu graphique morne et plat.
Ici, les dessins parviennent à capter l'atmosphère glauque et malsaine de l'univers de Lovecraft. Les planches, sombres, inquiétantes, sont peuplées de personnages torturés, au regard halluciné, de créatures atroces et de scènes bien dérangeantes.


Niveau écriture, nous sommes en présence de brefs récits qui installent une ambiance plus qu'ils ne développent véritablement une intrigue. Il faut dire que 13 histoires en 96 pages, cela laisse peu de temps pour étoffer les personnages par exemple. Ceci dit, il convient de remarquer que le procédé s'accorde parfaitement avec l'habitude stylistique de Lovecraft qui, lui-même, faisait peu de cas de la psychologie des protagonistes pour se concentrer sur le récit, âpre, tendu et enfiévré, de leurs terribles (més)aventures.

Voix obsédantes, rêves impies, drogues et expériences vouées aux pires résultats s'enchaînent avec une réelle cohésion malgré le grand nombre d'artistes ayant œuvré sur le projet. Prenons le temps de les citer (attention, on prend une grande inspiration) : Loïc Muzy, Sandro Salvino, Stratégyk Platypus, Hellébore, Jérémy Semet, Adryann Sériel, Gueffier-Guillamaud, Tyson Kallender, Sylvain Costa, Jibi, Florent Baudry, Elie Guckert, Yves Pauquet, Anne-Sophie Hopp, Chandre, Jee, Jim'Haï, David Bulle, Michel Salvino et Axel Taczala.

Bien entendu les amateurs de Lovecraft seront en terrain connu et retrouveront des noms familiers (Herbert West, Arkham, Dagon...). L'on peut noter également une approche assez originale, avec deux pages de strips humoristiques (Cthulhu Life) permettant de donner une vision décalée du mythe et de faire office de respiration à mi-parcours.
Globalement, mise en page et construction sont très efficaces. Par exemple, Lâchez les chiens, une histoire de quatre planches seulement, parvient à installer une tension immédiate et un véritable malaise avec une simple lunette astronomique et des horreurs uniquement suggérées qui retranscrivent parfaitement l'aspect inhumain et inaccessible des Grands Anciens.
Bref, c'est propre et bien pensé.

13,50 €, 96 pages, 17 x 24, couverture souple.
Boutique en ligne et quelques planches sur le site Phylactère.

Un voyage bien angoissant dans les mondes lovecraftiens.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers graphique sombre et effrayant, convenant parfaitement au mythe.
  • Une approche fidèle à l'atmosphère des récits de Lovecraft qui permet toutefois quelques essais plus originaux (et réussis) qui s'écartent du cadre canonique.
  • Qualité du texte (une seule coquille récurrente).

  • Certains récits auraient sans doute mérité quelques planches supplémentaires pour exploiter pleinement leur potentiel.