Seuls est un film français, réalisé par David Moreau et librement adapté de la bande dessinée éponyme de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti.
L'on suit un petit groupe d'enfants et adolescents qui se sont retrouvés subitement seuls dans une ville (imaginaire) désertée de tous ses habitants. Menée par Leila, la bande va tenter de percer le mystère qui entoure cette disparition massive subite. Mais très rapidement, une menace va se dévoiler...
Il y a énormément à dire sur ce film atypique. Déjà, même si l'on a parfois de bonnes surprises au niveau des films de genre, il est vrai que c'est plutôt inhabituel dans un pays qui produit surtout des comédies franchouillardes à l'humour incertain, des films "d'auteur" dépressifs et chiants, et quelques polars.
Seuls mélange en fait différents genres (SF, épouvante, fantastique...) mais aussi scènes inspirées et passages complètement ratés. Nous allons essayer de voir tout cela sans spoiler.
L'exposition du personnage principal, Leila, est très réussie. Non seulement l'on constate que l'héroïne souffre et se prend quelques injustices dans la tronche (effet d'identification, cf. cet article), mais l'on comprend vite qu'il s'agit d'un personnage fort en la voyant réagir d'une manière musclée.
Les plans sur la ville déserte sont également efficaces et impressionnants, les décors sont variés, l'impression d'abandon constant.
Le rôle de Dodji (plutôt bien interprété par un Stéphane Bak que l'on reconnait à peine), un peu caricatural au début, s'étoffe par la suite. Les autres personnages, contrairement à la BD qui les traitait apparemment sur un pied d'égalité, sont moins développés, mais il est normal de devoir faire des choix pour caser l'essentiel en 1h30.
Toujours dans les points positifs, l'on peut évoquer un humour bienvenu (souvent apporté par Yvan), de l'émotion qui ne fait pas trop dans le larmoyant, et un suspense assez bien construit.
Malheureusement, il existe aussi de gros points négatifs qui rendent le récit parfois bancal, parfois presque ridicule. Ces points sont plus ou moins importants, mais certains ont vraiment du mal à passer.
Passons en revue quelques exemples.
À un moment, Leila et Dodji veulent absolument se refiler un flingue alors qu'ils doivent se séparer. C'est genre "prends-le", "non, prends-le toi", "non, tu le prends ou bien je viens avec toi", etc.
C'est assez convenu comme scène, mais on en comprend le sens. Cela montre, sans vraiment le dire, l'attachement qu'éprouvent Leila et Dodji l'un pour l'autre. OK. Sauf que, dans la scène suivante, alors que Dodji s'est enfin barré avec le flingue, Leila se précipite dans leur véhicule et en ressort avec... un fusil à pompe. C'est débile ! La scène précédente ne fonctionne que s'il n'y a qu'une seule arme, si le groupe en a plusieurs, il n'y a pas de raison que celui qui va au devant du danger refuse d'en prendre une. C'est complètement con, la scène du fusil flingue (c'est le cas de le dire) toute la scène précédente !
Autre exemple, plus anecdotique. À un moment, Leila doit soigner un personnage et elle lui sort "ne t'inquiète pas, mon père est médecin". Heu... ce qu'elle doit soigner, c'est une blessure grave au torse, par arme blanche. Et Leila est une lycéenne de 16 ans. En quoi le boulot de son père peut faire d'elle une spécialiste en blessures de guerre ? Et si son père était astronaute, elle saurait piloter des navettes spatiales ? Si encore son père avait un boulot qui explique le fait qu'elle puisse l'aider de temps en temps (par exemple, son père est agriculteur, donc elle sait conduire un tracteur, oui, ça, ça marche). Mais son père ne l'invite quand même pas à assister à des opérations !
En fait, la réplique est si stupide que l'on s'attend à une réponse humoristique de l'un des personnages. Mais non, c'est du premier degré.
D'ailleurs, Leila sait tout faire. Comme elle fait du kart, elle pilote du coup une voiture sportive, un véhicule blindé et même un bus. Dommage qu'ils n'aient pas eu besoin de piloter un avion, son oncle est steward.
Le comportement de Terry est également assez étrange vis-à-vis du "maître des couteaux". On ne sait pas pourquoi il veut à ce point lui sauver la vie ou lui épargner un interrogatoire musclé alors que l'un des leurs est en danger. Toujours pour rester sur le mec aux couteaux, le réalisateur ose nous refaire ce truc éculé des films d'horreur, avec le tueur qui avance lentement quand il poursuit sa victime (alors qu'il peut courir) et qui disparait comme par enchantement quand une autre personne arrive...
Pour l'instant, ce sont de petits détails énervants, mais l'essentiel de ce qui coince reste à venir.
Tout d'abord le méchant, qui est méchant... parce qu'il est méchant. On ne sait rien de ses motivations, il n'y a pas d'enjeu, le type n'a même pas de personnalité. Dommage que l'opposition aux héros soit si plate et fadasse.
D'ailleurs, ce n'est peut-être qu'une impression, mais il y a un drôle de message qui ressort du film. Un truc un peu nauséabond. Que le méchant qui est raciste au dernier degré soit une caricature de Blanc, très blanc et très blond, ça passe. Que les personnages secondaires Blancs ne soit pas énormément mis en valeur (un lâche, un gamin qui veut casser des banques et prend Dodji comme modèle, un handicapé mental, une fillette dont la seule utilité est de se faire enlever), passe encore. Pourquoi pas, rien à redire jusqu'ici, ça change après tout. Mais une scène importante donne un relief très malsain à tout cela. Alors que le méchant est entouré de dizaines, voire de centaines de personnages, l'on se rend compte qu'il n'y a pas un seul Asiatique, Arabe ou Noir parmi eux.
Or, si tous les figurants de cette scène sont Blancs, c'est donc volontaire. Si c'est volontaire, c'est que ça a du sens, une signification particulière. Qui serait quoi ? Les Blancs sont tous des salauds ?
C'est peut-être pousser le sens de la scène un peu loin, mais elle est pourtant bien construite dans un but précis, on ne caste pas uniquement des dizaines de figurants Blancs (habillés en blanc d'ailleurs) par hasard. Et on n'est pas dans une réunion du KKK, à ce moment précis du film, rien n'explique pourquoi il n'y aurait qu'une seule ethnie en train d'acclamer le méchant.
D'ailleurs, si cela avait été l'inverse, je ne pense pas que le film aurait pu échapper à une énorme polémique. Probablement qu'il n'aurait même pas pu être monté.
Enfin, il faut évoquer aussi le twist final, d'une facilité assez déconcertante. Facilité sur deux points au moins. D'une part, c'est loin d'être nouveau (un film, déjà ancien, va obligatoirement vous venir en tête lorsque vous prendrez connaissance des faits), et d'autre part, rien dans la construction de l'histoire ne permet de préparer ce dénouement.
En fait, lors de la scène explicative, l'on nous fait croire que d'énormes indices étaient décelables dans une autre scène. Sauf qu'en revisionnant la fameuse scène, l'on constate que ces "indices" sont cachés par quelque chose, qu'ils n'apparaissent que quelques secondes dans un coin, et que l'attention du spectateur est toujours détournée sur un autre élément. Un peu comme ces faux whodunit, ces intrigues policières où l'auteur vous donne l'impression que vous pouviez résoudre l'énigme alors qu'en réalité, il ne vous en a jamais laissé le loisir et que les indices ne prennent de sens qu'une fois le dénouement arrivé.
L'impression globale est mitigée. Ce n'est pas un film désagréable, la fin (qui apporte une réponse mais débouche sur une autre énigme) donne envie de connaître la suite, les acteurs s'en sortent pas mal, les décors sont sympa, mais il reste aussi un grand nombre de scènes mal écrites (sans parler d'une longue scène stroboscopique insupportable, si vous êtes épileptique et que vous ne le saviez pas, vous allez être fixé), des incohérences et des clichés énormes.
Alors, peut-être que certains seront tentés de dire que le twist final permet au moins d'expliquer les incohérences. Non, ça ne marche pas comme ça. Ce genre de révélation est censée ajouter un nouveau sens à des scènes qui fonctionnaient déjà très bien à la première vision. Le twist est censé enrichir, pas colmater.
Globalement, on va conseiller l'achat, parce que ça reste sympa, mais quel dommage que les faiblesses du scénario n'aient pas été corrigées.
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