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Voyons tout cela en détail.
Attention, l’article revenant sur la dernière saison, il contient forcément des
spoilers (même s’ils seront atténués le plus possible).
Tout d’abord, il faut préciser que les
scénaristes ne disposent plus du support des romans de George R.R. Martin, ce
dernier accumulant les reports quant à la sortie des tomes 6 et (a fortiori) 7
de la saga (qui pourrait même en contenir huit, rien n’est encore sûr). Ils n’ont
donc que les grandes lignes, dévoilées par l’auteur, et ne doivent plus
simplement adapter le matériel de base mais le créer. Forcément, c’est plus
compliqué, ce qui peut en partie expliquer les nombreuses maladresses relevées
dans cette saison.
Le problème principal provient
de la manière, nouvelle et très étrange, de gérer les distances du point de vue
de la narration. Et pour bien comprendre de quoi il retourne, il faut en passer
par les concepts de suspension d’incrédulité et de fantastique.
Suite à un intéressant article
de Jacob Brogan, traduit et relayé par Slate, un internaute a eu une réaction curieuse, pourtant plébiscitée par toute une meute de hyènes moqueuses. En
gros, il prétendait que dans un monde où il y a des dragons, des marcheurs
blancs, de la magie, etc., il était ridicule de se préoccuper des distances
parcourues par les personnages. Il ajoute un smiley qui pleure de rire et est
aussitôt conforté dans son idiotie par des centaines de benêts, ricanant comme
lui de ce qu’ils ne comprennent pas. Ah, la magie des réseaux sociaux…
En réalité, le fait qu’une
fiction présente des éléments fantastiques ne permet absolument pas à l’auteur
de verser dans l’invraisemblance. Parce qu’un monde fictif, même fantastique,
obéit à des règles et se doit de conserver une cohérence interne.
Lorsque, par exemple, dans The
Walking Dead, l’auteur vous demande de croire que les zombies existent, c’est
là qu’intervient la suspension d’incrédulité. Il s’agit d’un pacte tacite entre
lecteur (ou spectateur) et auteur. L’un fait semblant d’y croire, pour
faciliter l’immersion, l’autre s’engage à rester vraisemblable et cohérent par
rapport aux règles qu’il expose. C’est exactement pareil pour la magie dans
Harry Potter ou la Force dans Star Wars. Les auteurs disent « dans ce
monde-là, cet élément surnaturel existe ». Cela ne veut pas dire que ces mêmes auteurs ont le droit de tout faire ou peuvent se permettre de ne plus se préoccuper de règles de
base, comme le déplacement des personnages.
Si l’on prend La Tour Sombre
(les romans, pas la merde sortie récemment au cinéma), c’est un univers où des
tas d’éléments « fantastiques » coexistent : mondes parallèles,
magie, robots, pouvoirs psychiques, vampires… pourtant, quand Roland poursuit l’Homme Sombre à travers le désert dans le premier tome, il met des jours pour traverser
cette région désolée. Tout bonnement parce qu’aucun des éléments surnaturels
présentés ne justifierait l’accélération de son déplacement.
Dans un polar, un personnage
qui part de Brest en vélo ne peut pas arriver vingt minutes après à Strasbourg.
C’est exactement la même chose dans un univers SF ou fantastique, sauf si l’auteur
trouve un moyen de justifier cette durée absurde.
Revenons précisément sur GoT. Il
y a des problèmes tout au long de la saison. Par exemple les corbeaux qui
semblent tout à coup avoir un réacteur au cul (c’est aussi rapide qu’un e-mail
ces bestioles-là !). Mais le pire intervient au moment où Jon et ses compagnons
sont attaqués par l’armée des morts, bien au-delà du Mur.
On ne sait pas pendant combien
de temps exactement ils sont encerclés, ils passent une nuit sur place
apparemment, donc, au maximum, l’action se déroule en 24 heures (estimation
déjà bien large). Pendant ce laps de temps, Gendry fait tout le parcours en
sens inverse, au pas de course, jusqu’au Mur. Ils envoient ensuite un corbeau
(nouvelle génération, le modèle « sport ») pour prévenir la blondasse
qui trace depuis Peyredragon pour arriver juste à temps.
Heu… ça fait beaucoup quand
même. Westeros, ce n’est pas une île ou un pays, c’est un continent. Un
continent très étalé sur un axe nord-sud en plus. Et la maman des cracheurs de
feu parcourt carrément la moitié du continent, minimum, pour arriver à la
rescousse.
Je vais me faire l’avocat du
diable, d’autant que l’on n’a pas vraiment d’échelle précise, même sur les
cartes officielles. Admettons que ce soit possible. Gendry tape le marathon de
sa vie, en 4 ou 5 heures, le pigeon (le rapide de la bande) file direct jusqu’à
la greluche (ça se voit que je préfère Cersei ou pas ?) en 12 heures, et la
cavalerie se pointe en 7 ou 8 heures.
Ça pourrait passer, mais ça ne
passe pas du tout en réalité, pour deux raisons.
D’une part, ce n’est pas aux
spectateurs à faire ce genre de calcul pour tenter de prouver que « c’est
jouable ». Ce sont les scénaristes qui doivent rendre la vérification
inutile (si l’histoire est bien racontée, on ne cherchera pas à prouver qu’il y
a une incohérence, mais l’on ne doit pas avoir besoin non plus de faire un
calcul pour se prouver que c’est « possible »).
D’autre part, même si ces
déplacements sont « possibles » (en étant quand même très gentil au
niveau des estimations), ils ne sont pas « bons » parce qu’ils sont
très mal mis en scène.
C’est en effet la narration
qui ne va pas du tout dans cette saison, et non juste un décompte mathématique
des kilomètres. Les scénaristes et les réalisateurs ne parviennent pas du tout à
seulement donner l’impression de temps, de distance, alors que l’on sait, depuis
de nombreuses saisons, que l’on est sur un très vaste territoire.
Pourtant, des tonnes de
possibilité s’offraient à eux. Citons-en seulement quelques-unes :
– le simple « panneau »
de texte indiquant qu’il s’est passé quelques heures, jours, etc. Pas forcément
le moyen le plus élégant, m’enfin, ça se fait quand même beaucoup ;
– l’utilisation d’un plan
visuel. Par exemple, le soleil qui se couche et se lève. Des nuages qui filent
à toute vitesse dans le ciel pour montrer l’ellipse temporelle. C’est déjà un
peu plus travaillé ;
– mais, surtout, quand on
dispose d’un machin comme la corneille à trois yeux, qui voit le passé et le présent, il y a quand même moyen de prévoir le coup en lui faisant voir un peu l'avenir, ce qui permet de prévenir Daenerys avant que les faits se produisent, et
lui donne donc largement le temps de parcourir cette saleté de demi-continent !
Même si c’est bien la gestion
catastrophique et totalement aléatoire des distances qui gêne le plus, les
autres incohérences sont très nombreuses (on voit que Martin n’est plus là pour
poser les jalons).
Allez, quelques exemples :
– pourquoi diable tonton
Benjen choisit-il de se sacrifier ? « On n’a pas le temps »
dit-il, ah ben, c’est vrai que monter sur un putain de canasson, ça prendrait
bien une seconde ou deux, il a raison, il vaut mieux crever sur place.
Évidemment, il s’agit juste ici d’une maladresse narrative. Les scénaristes
veulent une scène dramatique avec le tonton qui se fait boulotter, le problème, c’est
que la scène n’est pas bien construite. En l’état, elle est juste débile ;
– le retournement de situation concernant le
trio Sansa/Arya/Littlefinger est un exemple parfait de ratage. Il existe
normalement deux manières de procéder. Soit la construction dévoile des
éléments, même légers, du retournement de situation (pour le justifier), soit
la justification vient après le dénouement, par le biais d’explications données
par les personnages. Là, il n’y a rien. C’est une maladresse qui ne passerait,
dans un roman, chez aucun éditeur sérieux. Bon, apparemment, il existerait une
scène coupée qui justifierait le binz… ça nous fait une belle jambe. Depuis
quand peut-on justifier les évènements d’un récit par ce qui est écrit mais que
l’on ne dévoile pas ? Bref, une couillonnade de plus ;
– le Mur, ce n’est pas
seulement un très haut machin, c’est aussi un mur magique. C’est d’ailleurs
rappelé à plusieurs reprises. Comment le mort (rapporté comme « preuve »
aux Lannister) a-t-il pu le franchir ? Alors, je sais, des tas de gens
vont avoir des théories, « la magie a été annulée », « elle n’existait
pas vraiment », très bien, mais on s’en fout, ce n’est pas à nous de trouver des justifications. Elles sont absentes dans le récit : c’est une faute.
Devant cette accumulation de
conneries (c’est malheureusement le terme adéquat), les auteurs ont tenté de se
justifier. Accrochez-vous, ça vaut le coup. Pour Alan Taylor, réalisateur de l’épisode
6, la vitesse à laquelle vole le corbeau (ce qui n’est vraiment pas le point le
plus gênant, en tout cas pas le seul) est une « impossibilité plausible ».
Il dit préférer cela à des « impossibles plausibilités » et reconnait
qu’ils ont (lui, les autres réalisateurs et les scénaristes) « mis le vraisemblable à rude épreuve »,
il espère cependant que le « dynamisme de l’histoire repose sur d’autres choses » (cf. l'article de Variety, en VO).
Ben non.
Tout faux.
Tout d’abord, le charabia sur
l’impossibilité plausible, mis à part le joli oxymore, ne veut rien dire. L’impossible
n’est, par nature, pas plausible. On ne voit d’ailleurs pas la différence avec
son inverse (l’impossible plausibilité). Le mec a bien baladé les journalistes
sur le coup.
La plausibilité n’est pas
négociable dans un récit. Même avec des dragons. S’il n’y a plus de
vraisemblance, la suspension d’incrédulité ne peut plus être maintenue, et c’est
la fin de l’histoire.
La déclaration la plus incroyable
reste cependant la comparaison entre la vraisemblance et le dynamisme du récit,
comme si l’un pouvait rattraper l’autre. Ahurissant qu’un conteur (qu’il soit
réalisateur, scénariste, romancier…) puisse à ce point ne rien comprendre aux
bases narratives (ou faire semblant de n’en rien connaître). Car, à l’évidence,
s’il n’y a plus de vraisemblance, bien peu importe le rythme, les effets ou les
coups de théâtre. C’est la vraisemblance qui permet de maintenir le lien entre
auteur et spectateur/lecteur, elle aussi qui permet de donner de la profondeur
au récit, de l’émotion aux scènes, de l’épaisseur aux personnages. Sans elle, pas la peine de s'emmerder, il n'y a rien. Si l'on n'y croit pas, si l'on sort de l'histoire, c'est mort.
La vraisemblance, pour un auteur, est la première des fondations essentielles à maintenir coûte que coûte.
Prenons une métaphore aéronautique, peut-être plus parlante. Pour un pilote, ce qui prime avant tout, c'est de maintenir son appareil dans le « domaine de vol ». Ce domaine de vol, ce sont les limites aéronautiques de l'engin, ce qui fait qu'il ne s'écrase pas au sol comme une merde. C'est la priorité absolue, évidemment. Sauf dans de rares cas particuliers, personne ne décroche volontairement, ou ne se met en vrille volontairement, ou ne provoque volontairement une forte augmentation du facteur de charge, etc.
Autrement dit, dans une situation difficile, on fait voler le bordel, le reste, on verra plus tard. Aucun pilote ne va faire passer le fait de maintenir son avion en l'air après le confort des passagers ou le respect d'un plan de vol.
La vraisemblance, c'est le domaine de vol. Si elle disparait, c'est terminé, on peut injecter des tas de conneries, faire un service express aux passagers, avec distribution de café et de whisky, allumer des loupiotes, passer un message radio, ça ne servira à rien, l'histoire, comme l'avion, vont s'écraser.
Dans le cas de l'avion, personne ne va se marrer. Dans le cas d'une fiction, les gens qui rendent compte de ces dangereuses sorties du domaine de vol vont se faire railler par des abrutis qui ne comprennent rien à la portance ou la trainée d'un récit [2].
Pas question pour autant de
dire que cette saison 7 était totalement ratée, il y a eu de bonnes choses. Et,
pour être franc, il y a déjà eu des incohérences dans les saisons précédentes
(ce connard de Tommen, qui laisse des illuminés emprisonner sa mère et sa femme…
il ferait presque regretter le petit Joffrey). Mais ces sept épisodes ont
vraiment accumulés les bourdes et les ellipses ratées.
Une manière finalement de
rappeler que ce récit, A song of Ice and Fire, ne se trouve réellement que dans
les romans de Martin. Le reste n’est qu’un ersatz, parfois habile, parfois
beaucoup moins.
[2] Attention, lorsque je parle d'abrutis ou de hyènes, je ne désigne pas les gens qui ne connaissent pas les principes techniques régissant la narration d'une histoire, des tas de gens ignorent tout de cela, et c'est parfaitement normal. Ce qui m'insupporte, ce sont les cons qui ne connaissent rien à un domaine mais parviennent tout de même à se foutre de la gueule de ceux qui, en toute connaissance de cause (comme ce brave Brogan), en font une critique argumentée et pertinente.
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