Blandice - La BD sans dessus ni dessous

Le FIBD 2017 aura apporté son lot de nouveautés dans la presse BD. Outre Atom, consacré à « la culture manga », les éditions Tabou BD proposent avec Blandice [1] un magazine centré sur « le cul » et la culture.
Sous-titré « la BD sans dessus ni dessous », il parait tous les 3 mois et il mêle, sur une centaine de pages, interviews d’artistes, articles, dossiers thématiques, extraits d’albums, gags, prochaines parutions, concours et tutoriels.

Lier cul et culture est une riche idée. On peut donc s’attendre à découvrir des œuvres développant et interrogeant le sujet proposée dans chaque numéro, ce qui ne s'avère pas vraiment le cas. Dans le cas de l’Art nouveau, aucune BD présente dans le magazine n’interprète en ses planches ce courant artistique, réduit à Alfons Mucha [2], l’arbre qui cache la forêt. Car l’Art nouveau foisonne, en dehors de l’éternel cliché de la pose féminine maniérée dans un cadre floral stylisé, rejeton des affiches publicitaires du XIXe et du début du XXe siècle [3]. Mais le sujet apparaît fédérateur pour les lecteurs, rassurant, convenu. Dans le premier opus de Blandice, seul un tutoriel reprend l’idée de la pose à la « manière de Mucha ». Il en va de même pour le Romantisme, vaste, complexe, dont on aurait pu attendre une sélection de BD dans cette mouvance.... Le troisième numéro, dédié à la Rome Antique, dispose de plus d’œuvres en rapport avec le sujet, plus facile à trouver.

Le choix des thèmes, plutôt accrocheurs pour ratisser un large public, aurait tout aussi pu se recentrer sur la complexité de la sexualité, abordant la jouissance [4], le saphisme, la jalousie... à l’aide d’articles complets et érudits — pas forcément synonyme de jargon incompréhensible — par des plumes tels qu’Agnès Giard [5], une bibliographie sélective (BD, romans...), une filmographie (autant se cultiver à fond) et bien sûr, des planches de BD en lien avec le contenu, entrecoupées de pages de sorties à venir et des gags de Lubrikos [6] (dont le dessinateur semble être un fan du travail de Frank Cho [7] tant ses femmes ressemblent à celles de l’artiste américain).

Clairement, par le choix de présenter des extraits, sans un résumé pour se situer dans l’intrigue en cours, Blandice s’apparente à un catalogue publicitaire, montrant en majorité les productions Tabou BD. Si on peut y trouver de bonnes surprises telles Omaha, Lectures frivoles, Messalina, Heidi au printemps et Miss Deeplane, le reste demeure une affaire de goût. Les entretiens des auteurs sont toujours instructifs. Marini et Mitton apparaissent ainsi dans le troisième opus sur la Rome Antique.
La couverture indique des concours et des tutoriels, mais à l’intérieur, un seul de chaque. Le tutoriel, confié à un dessinateur, s'avère succinct. Il ne présente ni sa démarche, dans sa complexité, ni une liste de matériel détaillée, explicitant le choix de tel papier, telles marques de feutres, de logiciel... Le concours, qui permet aux lecteurs d’envoyer une illustration qu’ils ont réalisée, sur un thème donné, ne possède pas de lien avec le sujet du numéro en cours ou à venir.

La maquette lorgne vers celle des magazines de presse de divertissement avec une absence d’identité forte. Les corps de polices de caractère changent selon les articles. La lisibilité apparaît limite sur certaines pages (la faute à l’image de fond trop présente et à des éléments graphiques disgracieux (l’effet « page pliée »). Beaucoup d’iconographie sont de piètre qualité (pixelisées), et les crédits rarement mentionnés près de celles-ci. Il y a peu de sources citées dans des articles légers, légers... Blandice ne se frotte pas de manière frontale à son sujet : parler de cul et de la culture qui va avec. Des coquilles par-ci par-là (mélange dans les trimestres), jusqu’à l’intérêt des folios dédiés aux nouveautés et aux sorties prochaines des BD et des artbooks, sans un avis d’un chroniqueur, uniquement le résumé éditeur et dont on retrouve les mêmes livres d’un numéro sur l’autre, des textes à l’identique, le prix et la pagination parfois différents. Quel intérêt ? Ce ne sont pas les titres sexy qui manquent ! Comics, BD européennes et manga, tous en proposent. Sex criminal [8] entre parfaitement dans cette catégorie : une histoire de cul avec un scénario recherché. Que dire des hentaï, yaoï, yuri et bara [9] ?

Blandice qui se veut un magazine à parution régulière « dédié à l’art glamour, sensuel, grivois, coquin, érotique... » [10] peine à convaincre. Il reste sympathique à feuilleter pour s’occuper durant un trajet ou dans une salle d'attente, mais rate sa vocation à combiner érudition — même sous le couvert du divertissement [11] — et des fictions dans des thèmes communs autour de la sexualité.


[1] Terme désuet féminin qui s’utilise principalement au pluriel, désignant des flatteries, des techniques pour charmer ou séduire.
[2] Peintre, affichiste, illustrateur, architecte d’intérieur et décorateur à succès.
[3] L’Art nouveau émergea en Europe en 1892. Il se caractérise par un dessin linéaire souple, inspiré de la Nature : quasi-absence de coin et de contours pointus et aigus, utilisation d’entrelacs, de lignes flexibles et onduleuses, mélangeant des ornements issus de la faune et la flore. L’objet naturel est transposé, détaché de son contexte élémentaire et placé dans une nouvelle situation formelle et spirituelle. L’Art nouveau condense le procédé synesthétique en une réalité : les chevelures ondulées, les boucles ornementales, les arabesques végétales sont la transcription graphique de tonalités ; les fleurs, pures ou morbides, exhalent un arôme exquis. L’Art nouveau se veut un art « total ». Il s’élève contre la distinction séculaire entre les arts majeurs (les Beaux Arts) et les arts appliqués qualifiés de mineurs. Pour plus de détails, voilà un ouvrage conseillé : Gabriele Fahr-becker, L’art nouveau, Könemann, 2004.
[4] La revue Terrain, dans son n° 67, propose de s’attaquer à ce sujet complexe : articles fouillés, couverture superbe et maquette classieuse en font une lecture délicieuse, parfois ardue, mais sans BD, hélas.
[5] Anthropologue, écrivain et journaliste française, spécialisée dans les questions de sexualité. Plusieurs de ses livres s’intéressent aux pratiques nippones.
[6] BD gag paraissant dans Blandice : un jeune satyre, ses copains, des jeunes femmes et toute la clique mythologique détournée.
[7] Scénariste et dessinateur de bande dessinée américain connu pour ses jolies pépées et son œuvre Liberty Meadows se déroulant dans un refuge pour animaux.
[8] Comic book écrit par Matt Fraction et illustré par Chip Zdarsky publié en France depuis avril 2015 chez Glénat. Les héros découvrent qu'ils peuvent figer le temps lorsqu'ils jouissent simultanément. Ils décident de profiter de ce pouvoir pour cambrioler une banque et sauver une bibliothèque de la fermeture.
[9] Catégories de manga ; respectivement : pornographique, homosexuels, mais plutôt pour un public féminin, lesbiens et aussi majoritairement public féminin et BD gay.
[10] Voir édito du premier numéro.
[11] Un divertissement peut avoir du fond, du sens sans être ennuyeux ou professoral. On reconnaît les grandes œuvres à cette alchimie. Contrairement à ce que pense une frange du lectorat pour qui divertir et réfléchir sont deux termes antinomiques.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le mélange cul et culture.
  • Le prix.
  • Le nombre de pages.

  • Pas de résumés pour les BD en cours.
  • Des articles légers.
  • Des BD ayant pas ou peu de rapport avec le thème du numéro.
  • Un seul concours et un seul tutoriel, contrairement à ce qui est annoncé sur la couverture de chaque numéro.
  • Pas d'avis de chroniqueurs sur les sorties (à venir ou déjà parues).