Que vaut Jigsaw, huitième film de la saga Saw ?

Jigsaw est un vrai paradoxe : le film est le nouveau volet de la saga Saw mais ce qui était prévu comme un reboot n'en est pas un ; la campagne marketing le vend sous un prisme d'humour noir alors qu'on ne rigole pas des masses ; les affiches promotionnelles, hyper soignées, n'ont rien à voir avec le rendu à l'écran ; le fameux Jigsaw, John Kramer de son vrai nom (toujours interprété par Tobin Bell), est mort depuis le troisième film mais continue de trôner fièrement sur les posters ; aucune critique presse n'est recensée alors que la saga est extrêmement populaire et attendue ; chaque film est toujours violemment critiqué mais ils sont quand même vus et rapportent énormément d'argent ; interdit aux moins de seize ans, le public de Jigsaw est pourtant jeune. Un vrai paradoxe.

Explications et critiques garanties sans spoilers.


N'y allons pas par quatre chemins : oui cet opus est plus que correct. Il n'est pas extraordinaire mais il n'est pas mauvais non plus. Il se situe dans la droite lignée des épisodes 4, 5, 6 et 7 (donc les moins bons, clairement). Mais ce Jigsaw renoue efficacement avec les éléments forts de la saga. Un temps nommé Saw Legacy (L'Héritage) pour être une suite assumée du septième volet, sorti en 2010 (Saw 3D, appelé aussi Saw - Chapitre Final — le plus raté), le film est renommé et se veut un reboot ou un remake. Il est finalement annoncé comme étant une suite officielle tout en étant plus ou moins un reboot... En effet, Jigsaw réussit l'exploit d'être à la fois dans la continuité des précédents films et à la fois "indépendant". Pas besoin d'avoir vu tous les films de la franchise pour l'apprécier ! Idéalement, il faut connaître les sept longs-métrages, bien sûr, mais si l'on n'a vu que les trois premiers ou juste le tout premier (qui reste le meilleur et est désormais culte par bien des aspects), cela n'est pas gênant pour la compréhension de ce nouveau volet. Et si le spectateur n'a même jamais vu un Saw eh bien... il ne sera pas perdu en voyant Jigsaw ! Le film est donc très accessible et se suffit à lui-même : la fin ne laisse pas envisager "une suite" (cela dépendra du box-office [1]). Les scénaristes pourront ajouter de nouveaux opus, écrits à l'avance (à l'instar de la "première" saga), mais ici ils ont joué la prudence (à raison). En somme, si vous avez aimé toute la saga, y compris les quatre derniers films, il n'y a aucune raison de ne pas accrocher à Jigsaw (qui contient les mêmes qualités et les mêmes défauts que les autres volets).

L'histoire est simple. Dix ans après la fin de l'affaire Jigsaw/John Kramer, cinq personnes sont emprisonnées et doivent participer à un nouveau "jeu" mortel. Les victimes sont exposées au fur et à mesure dans des lieux publics. La police peine à croire que John Kramer soit encore en vie, pourtant les preuves s'accumulent (voix authentifiée, sang retrouvé...) : il semble bien que Jigsaw soit de retour !

On ne rentrera pas dans les détails pour éviter de gâcher la surprise et les découvertes. Le style propre de la saga est toujours bien présent : des pièges "mortels" et quelques scènes gore (rien de foufou non plus), des retournements de situation (certains prévisibles d'autres non), le fameux "twist final", la tension et la musique (assurée à nouveau par Charlie Clouser, compositeur de chaque opus depuis le premier et qui a fait partie de Nine Inch Nails quelques années). Malheureusement, les autres éléments caractéristiques de la patte des Saw sont aussi là : des acteurs peu charismatiques (même Tobin Bell), des choses un peu "tirées par les cheveux" (mais qui gardent une cohérence notable avec les précédents films), une mise en scène quelconque (malgré la présence des frères Spierig, Martin et Peter, réalisateurs de UndeadDaybreakers et du très réussi Prédestination).
  
Jigsaw a plus l'apparence d'un téléfilm doté d'un bon budget plutôt que d'un film à moindre coût (ce qu'il est pourtant puisqu'il n'a coûté "que" 10 millions de dollars). Le casting met au premier plan des inconnus qui ne brillent pas particulièrement par leur présence (deux femmes embauchées pour leur plastique, des hommes dignes de rôles plus que secondaires...). C'était déjà le problème des autres volets.

Si le côté "indépendant" du long-métrage, d'une heure et demie, assure une visibilité à un plus large public, il est regrettable qu'il n'y ait eu aucune réelle nouveauté ou prise de risque dans ce nouveau volet. Sans forcément amorcer une nouvelle saga étirée sur une dizaine de films, ni promettre des suites, il aurait été intéressant d'avoir quelques originalités (une certaine modernité avec les réseaux sociaux ou nos technologies actuelles par exemple). La seule idée allant en ce sens est à peine esquissée : un musée (non officiel) et un site Internet pour les fans de Jigsaw.

La saga Saw est sous-estimée et snobée par la critique dite "professionnelle" (à l'exception du premier volet, et encore). Réduite à des films gore sans intérêt et versant dans le n'importe quoi, elle est injustement taclée. Pourtant, c'est l'une des rares franchises à avoir été scénarisée par le même groupe de personnes et quasiment "en une fois". Pour schématiser, des éléments mystérieux du deuxième film trouvent une explication logique dans le sixième, un plan du quatrième film est repris dans le septième pour le justifier, et ainsi de suite. Si évidemment, on sent parfois des imprévus ou des ajouts de dernière minute, il faut souligner la parfaite cohérence (à peu d'éléments près, comme la scène d'ouverture de Saw 3D) entre chaque long-métrage. N'en déplaise à ses détracteurs, derrière l'aspect horrifique (et encore, certains volets ne sont que des thrillers, à commencer par le premier), il y a un travail d'écriture très intéressant, navigant constamment entre passé et présent, simultanéité et convergence des actions, etc.

Saw souffre surtout d'un syndrome sériel : pour apprécier l'ensemble des films, il faut les binge-watcher, donc les voir à la suite. Comme si chaque opus était un (long) épisode d'une série télévisée. Un film en appelle un autre (sauf pour celui-ci), la saga prend une nouvelle dimension en étant visionnée sous cette forme. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle mérite "une seconde chance" pour ceux ayant décroché, pour cause de "ça part dans tous les sens et c'est n'importe quoi". Du reste, on peut se contenter de ce sympathique Jigsaw, ni révolutionnaire ni raté, mais qui sent bon la nostalgie et le "plaisir coupable" (même si cette expression tend à dire qu'on a honte d'aimer certaines œuvres alors qu'on voit mal ce qui justifierait un tel sentiment).



[1] Au 3 novembre 2017, le film a déjà rapporté 25 millions de dollars, une semaine après sa sortie aux États-Unis et deux jours après sa (faible) distribution en France. Une somme qui paraît peu élevée mais le budget de Jigsaw étant de "seulement" 10 millions de dollars, il est déjà remboursé et rentabilisé ! Le film a d'ailleurs pris la tête du box-office américain dès le week-end de sa sortie (le vendredi 27 octobre) et était l'une des nouveautés les plus vues à Paris également le jour de sa sortie (le mercredi 1er novembre). Peut-être que les distributeurs vont se remettre en question... ;o)
Au total, la franchise a déjà rapporté 900 millions de dollars pour à peine 55 millions de budget !


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Hyper accessible, que l'on ait vu ou non les précédents films.
  • La musique.
  • La "patte" Saw respectée.
  • Cohérent avec le reste de la saga...

  • ... mais toujours un peu tiré par les cheveux.
  • Aucune prise de risque.
  • Un casting à la noix.
  • Davantage un "téléfilm" (avec un gros budget) qu'un "grand film".