Pour aujourd'hui les matous, on fait une petite mise au point sur un concept bien trop galvaudé de nos jours. Quitte à énerver tout le monde.
Vous avez dit "spoiler" ?
Alors, un spoiler, comme son
nom l’indique, c’est un élément crucial d’un récit qui, une fois dévoilé, le
gâche complètement. Ça rend sa lecture ou son visionnage quasiment inutile.
Autant dire que les vrais spoilers sont très rares. Par exemple, si je vous dis
que Bruce Willis est un fantôme dans le film Sixième Sens, là, OK, c’est un
spoiler, ça fout en l'air tout le mécanisme du film. Pareil pour un whodunit, en polar,
où la recherche du « coupable » est un élément central.
Le reste, c’est juste de
l’info, plus ou moins banale.
Par exemple, en roman, ce
n’est pas possible de spoiler Le Seigneur des Anneaux. On se doute de la fin
dès le début. Ce n’est pas ça l’important.
Il est rigoureusement
impossible de « spoiler » la plupart des romans, BD ou films. Parce
que l’intérêt d’une histoire vient de la manière de la raconter, de ce que l’on
éprouve en s’attachant aux personnages, et non pas des simples faits.
Si je vous dis que maître
Martinaud est innocent, dans Garde à Vue, ça ne gâche pas ce huis clos non
plus. Ça ne le gâche d’ailleurs pas au point qu’on peut regarder ce film plusieurs
fois avec le même plaisir.
De la même manière, des tas de
gens sont allés voir le Titanic de Cameron, alors que tout est évident dès le
départ. À moins d’être totalement ignare, on sait que le bateau va couler, et à
moins d’avoir huit ans ou de voir pour la première fois un drame sentimental, on
sait très bien que Rose et Jack vont tomber amoureux, que Caledon va bien les emmerder, et qu’au moins un des deux va y passer. On sait tout ça dès le
premier quart d’heure, et le film, qui dure plus de trois heures, n’est en rien
gâché.
Malgré tout, "Spoiler" est devenu synonyme
d’info, et du coup, on a l’impression qu’il faut bannir l’info du moindre
article. Nous-mêmes, sur UMAC, cédons trop facilement à cette mode idiote en
multipliant les avertissements inutiles.
Du coup, nous allons établir
une échelle, qui va simplifier, au moins chez nous, ce « rapport au
spoiler ». Et comme on aime bien les acronymes, on lui a donné le doux nom
d’ERIS, ou Échelle Raisonnée de l’Information et du Spoiler.
En voici les niveaux :
Niveau 0 (zone bleue) :
Aucune information n’est donnée, le rédacteur de l’article réussit l’exploit de
parler d’un sujet sans en parler. Ou presque.
Niveau 1 (zone verte) :
Information totalement anecdotique (exemple : Bruce Wayne boit un jus d’ananas
dans le dernier Batman).
Niveau 2 (zone jaune) :
Information réelle mais ne gâchant absolument pas l’intrigue, soit parce que
l’information dévoile un élément attendu (exemple : les gentils gagnent à
la fin), soit parce que l’information ne remet nullement en cause le récit,
basé sur bien d’autres choses qu’un simple élément factuel (exemple : la
Mariée tue ses anciens complices dans Kill Bill, ça n’enlève rien du tout au
film, on sait déjà, dès le début, qu’elle va les buter).
Niveau 3 (zone orange) :
Information ne gâchant pas réellement le récit mais dévoilant tout de même un
élément important (exemple : Dark Vador est le père de Luke Skywalker, là,
c’est quand même mieux de le découvrir en visionnant le film).
Niveau 4 (zone rouge) :
Spoiler réel, information si importante qu’elle gâche totalement la découverte
de l’intrigue (exemple : Bruce Willis est un fantôme dans Sixième Sens).
Nous préviendrons donc
systématiquement, comme nous l’avons toujours fait, en cas de véritables
spoilers niveau 4 (bien que l’on évite en général de donner ce genre
d’information, sauf dans de rares analyses, longtemps après la publication de
l’œuvre, cf. la partie sur Rorschach dans le dossier Watchmen).
Par courtoisie, nous prévenons
aussi en cas de spoiler niveau 3 (car l’on peut parfaitement comprendre la gêne
occasionnée).
Par contre, le reste, ce n’est
EN RIEN du spoiler. Surtout quand il s'agit de films qui sont convenus au possible et suivent un schéma qui permet d’en déterminer le déroulement et la fin après cinq minutes
de visionnage. Dans une comédie française par exemple, en général financée sur
le casting et non le scénario, si vous avez un personnage A qui a des
difficultés à draguer un personnage B, vous savez que A va galérer, trouver un
moyen de conquérir B, moyen impliquant un mensonge ou un acte négatif, mensonge
ou acte que B va découvrir, ce qui occasionnera une rupture, puis la remise en
cause de A, qui, changé et plus sage, revient vers B qui, constatant sa
métamorphose et sa sincérité, accepte de lui pardonner. Ça, c’est 99 % des
comédies, il n'y a donc rien à spoiler, ou alors, dites-vous que la simple affiche vous spoile déjà l'ensemble du truc.
Quant aux intégristes du spoiler, qui ne supportent pas d'avoir la moindre info sur un livre ou un film, suivez ce sage conseil de félin futé : évitez de lire des articles ou regarder des vidéos qui s'y rapportent, ça vous évitera de venir vous plaindre ensuite.
Miaw !
Attention, un fantôme est caché dans cette scène. Seras-tu assez futé pour découvrir Bruce Willis ? Indice : il ne porte pas de jupe. |